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    Le village de la Rivière de Touvois incendié…

     

     

    Si la mauvaise foi était une constante chez les généraux républicains, elle est tout autant présente chez les historiens de la Vendée comme nous allons le voir avec cet article. Nous verrons bientôt qu’elle existe aussi tout autant chez ceux qui sont censés la défendre et qui le font bien mal, à vouloir trop en faire. Montesquieu disait : « Le mieux est le mortel ennemi du bien. » Mais pour l’heure, voyons un peu comment Savary, une fois de plus, a maquillé une lettre de l’adjudant-général Aubertin, afin de la rendre plus digeste, pour mieux faire retomber l’opprobre sur Turreau et les généraux de colonnes infernales dûment connus pour leurs activités incendiaires.

    La lettre que je produis ici est connue mais son texte intégral l’est déjà beaucoup moins (1). Vous trouverez en rouge, les phrases et mots occultés par Savary ; en vert, les mots ajoutés par celui-ci. Je vous laisse en tirer les conséquences qui s’imposent.

     

    « Au bivouac de Touvois le 30 Ventose de l’an 2ème de la République française une et indivisible.

    Aubertin à son camarade Prud’hon.

     

    En conséquence de l’ordre que j’ai reçu hier matin du général Haxo, je suis parti trois heures après avec sept cents hommes tirés de Machecoul pour me porter à mon choix au Val de Morière (2) ou à Touvois. J’ai préféré d’après les renseigemens qui me sont parvenus me porter à Touvois pour couper la marche des Brigands dans leur fuitte. Arrivés à environ deux heures dans ce dernier lieu, nous avons trouvés à peu près de trois à quatre cens de ces foutu-gueux, une quinzaine de cavaliers et quelques femmes en bataille sur un terrein difficile à aborder de suitte. Aussitôt qu’ils ont apperçu notre résolution à courir dessus, ils ont abandonnés fusils, fourches bâtons, picques et générallemenr tous leurs sabots pour se sauver dans la forêt de Touvois, mais mes tirailleurs avec ma petite cavalerie avoient pris le devant pour leur couper le chemin de la forêt, ce qui a parfaittement réussi. Cens sont restés (Un grand nombre est resté) sur le carreau, on y compte des prêtres, le reste à échappé par des faux-fuyans. Bon nombre de montres et de portefeuilles ont été la récompense. Je me suis porté de suitte au village de la Rivière (la Ferrière) où dit-on couché Charet (sic). Je vais m’occuper encore à la fouille de cette forêt en attendant que je reçoive des ordres du général ; je ne sais où le trouver pour communiquer avec lui. Si tu connois le lieu ou il est tranmets lui ma lettre. J’attendrai sa dépêche (réponse) jusqu’à deux heures à Touvois. J’irai prendre position ce soir entre la forêt de ce nom et celle de grande Lande, à Riche Bonne. Je ferai incendier tout, je n’excepterai rien, tous les lieux de ces cantons sont des repaires.

    J’attends impatiemment de tes nouvelles.

    Je te salue mon camarade bien fraternellement.

    Signé Aubertin

    Pour copie conforme

    Garreau

     

    Touvois : le village de la Rivière incendié....

    Le village de la Rivière en vue aérienne Géoportail de nos jours :

    Touvois : le village de la Rivière incendié....

    Dans ses mémoires, l’adjudant-général Aubertin change totalement de ton et assure que beaucoup d’ordres d’incendie donnés par Turreau n’ont pas été exécutés (3). On s’en doutait un peu…

    RL

    Mars 2019

     

    Notes :

    (1)  SHD B 5/8-89, v. 6 à 8/13, bulletin analytique compris. Savary, tome III, p. 301 et 302.

    (2)  Voir l’article sur le Val-de-Morière ici, avec la collaboration de Valentin Naud.

    (3)  Les Mémoires d’Aubertin qui était adjudant-général, et non général, sont consultables depuis les AD85, sur les archives de Vincennes, en SHD 1 M 491 ou en version imprimée sur Gallica ici, en avant des mémoires du général Hugo. Ma femme a donné une petite biographie du personnage ici.


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    Pierre-Jean Pillet, de Saint-Florent-des-Bois, 

     est abattu par une colonne républicaine.

     

       

     

    Pierre Pillet, de Saint-Florent-des-Bois....Le 26 Germinal de l'an deux (Mardi 15 avril 1794), au soleil couchant, une colonne républicaine évolue sur le chemin de Chaillé-sous-les-Ormeaux à la Bretaudière. Pierre-Jean Pillet est aperçu dans la Lande de Beau-Soleil près du lieu-dit la Croix, et est immédiatement abattu. Il se trouvait à environ deux kilomètres de son domicile situé au Pied Doré - (Puy Doré) à Saint-Florent-des-Bois.

    A cette époque, les Républicains sillonnaient de toute part la Vendée pour achever de détruire ce qui restait encore debout. Malgré leurs massacres et leurs incendies, l'état de leur affaires ne faisait qu'empirer depuis quelque temps : les soldats manquaient aux généraux qui en reclamaient vainement, et ces soldats trop peu nombreux marchaient souvent nu-pieds, couvert de gale et tourmentés par la fièvre, une armée de pouilleux en quelque sorte et je trouve que ce mot leur va bien. Une armée de gueux !

     

    Une attestation de mort datée du 18 Pluviose an 5 va nous rappeler cette triste affaire :

     

    «Minutte d'attestation de mort de Pierre Pillet par Jacques Robelin et André Bocquier du 18 Pluviôse an 5.

    «Attestation de mort du 18 Pluviôse an 5 (6 février 1797) – Par devant nous nottaires publics et soussignés et pourvû de patentes du Département de la Vendée présidant au Tablier et Chaillé furent présents Jacque Robelin et André Becquier cultivateurs présidant au bourg et commune de Chaillé sous les Ormeaux. 

    Lesquels nous ont dit être accertainés et avoir parfaitte connaissance de la mort de Pierre Pillet vivant époux de Louise Martineau demeurant au Puy Doré (Pied Doré) commune de St Florent des Bois pour l'avoir trouvé mort par l'effet du feu d'une collonne de Troupes Républiquaines à la lande appellée de ''Beau Soleil'' size près ''la Croix'' sur le chemin de la Bretaudière à Chaillé, même commune, le vingt six Germinal environ soleil couchant de l'an deux, et pour l'avoir eux-même enterrés dans le cimetière du dit lieu de Chaillé le même jour.  

    Ce que les comparants nous ont affirmés sincère et véritable et demendé acte de leur déclaration et attestation pour servir et valloir ce qui il appartiendra ce jourd'huy dix huit Pluviose an cinq de la République une et indivisible sous le seing de Robelin, Bocquier ayant déclaré ne le sçavoir de ce enqui. 

    signé: Jacques Robelin – Cousturier, notaire – Martineau, notaire. » 

     

    Pierre Pillet, de Saint-Florent-des-Bois....

    Pierre Pillet est né le 4 juillet 1753 à Rosnay, il est le fils de Pierre Pillet et de Jeanne Gilbert. Au moment de la Révolution, il exerce le métier de tisserand au village du Pied-Doré, paroisse de Saint-Florent-des-Bois. Il se marie deux fois pour cause de consanguinité au 4ème degré et obtient une dispense. Le premier mariage a été célébré le 29 janvier 1782 et le second le 25 novembre 1785 à Saint-Florent. Il épouse donc Louise Martineau, fille de Jean Martineau et de Jeanne Gilbert de Thorigny.

    Egalement deux dates de décès  : La minute notariale nous annonce qu'il est tué au soleil couchant le 25 Germinal de l'an deux (15 avril 1794) et l'acte de décès de Chaillé, qui nous dit qu'il a été tué par les Républicains le 30 janvier 1794, à l'âge de 36 ans et enterré dans le cimetière de ce lieu.       

     

    Sources 

     

    . Archives Départementales de la Vendée tous droits réservés. Minutes notariales le Tablier -Etude B de Maître André Martineau  vue 212/452.(1778-an VII, an XII-1825) - An IV, an V. 

    . Cadastre napoléonien de 1812-1842 de Chaillé-sous-les-Ormeaux-Tableau d'assemblage 3P043/1 – gros plan sur le lieu-dit la Croix et le bourg de Chaillé. 

    .Registres état civil de Chaillé-sous-les-Ormeaux vue 5/9,1794-Saint-Florent-des-Bois, vue n° 3/11 1782, vue n°36/83 - Rosnay vue n°59/62 

    . Photo: de l'auteur.  

     

                                                         

     

    X. Paquereau pour Chemins Secrets 


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    « Une plaie qui est une gloire », la représentation hugolienne  de la Vendée insurgée dans Quatrevingt-Treize,  

     

    Par Amaury Guitard           

     

    "Quatrevingt-treize" de Victor Hugo....

     

     

    S'il est bien des ouvrages qui, dans la bibliographie de Victor Hugo, occupent une place particulière, alors Quatrevingt-Treize est incontestablement de ceux-ci. Publié en 1874, il s'agit du tout dernier roman écrit par l'auteur bisontin (mort neuf années plus tard), et connaîtra, dès sa parution, un succès retentissant. Avec le temps, l'ouvrage passera rapidement à la postérité, donnant lieu à diverses adaptations, théâtrales, musicales, et cinématographiques notamment.

    Ouvrage aussi adulé que décrié par ses contemporains, il dépeint une véritable fresque, articulée principalement autour de la Révolution Française, et présente l'aboutissement des réflexions éclairées qu'Hugo, en homme engagé de son temps, a mené depuis plusieurs années déjà, recherches documentaires à l'appui. En ce sens, ce roman de la maturité se veut aussi le reflet d'une époque (et de l'année 1793 plus précisément), mais également un témoignage original – certes romancé et parfois orienté, mais ayant malgré tout comme point d'ancrage des événements historiquement authentiques.

    Pour Hugo, mettre en exergue, sous sa plume, l'année 1793, revient à mettre en lumière une année charnière et particulièrement décisive dans le processus révolutionnaire, démarré quatre ans plus tôt. Force est de reconnaître qu'aborder 1793 devient alors le marchepied pour dresser un panorama qui soit le plus vaste et étendu possible, de l'actualité politique, idéologique,  et pour parler de la Terreur, du Comité de Salut Public, et des personnages qui ont intensément marqué ces quelques mois, tels Danton ou Robespierre... Mais c'est aussi l'occasion pour l'écrivain averti qu'est Victor Hugo de se pencher d'un peu plus près sur le contre-poids de cette mécanique révolutionnaire qui, faute d'être bien huilée, est agitée de soubresauts. Car qui dit 1793 dit bien sûr, aussi, aborder le sujet brûlant de l'insurrection vendéenne, de la Vendée Militaire, de la Chouannerie, et des vagues de révolte qui, bien sûr, secouent la France un peu partout à cette époque-ci, mais atteignent surtout le paroxysme de leur expression dans l'ouest du pays, le long de la Loire, avec ceux que l'on appelle désormais " les Vendéens ".

    L'objet de cette étude, qui ne prétend nullement à l'exhaustivité, est d'essayer de comprendre la genèse et les rouages sur lesquels Hugo s'est appuyé pour rédiger cet ouvrage, mais aussi d'observer de plus près la représentation singulière qu'il dresse, au fil des pages, de cette Vendée de 93, qui « a désolé la France », tout autant qu'elle l'a enorgueilli...

     

    Le contexte familial de l'écrivain : une des clefs de lecture 

     

    Victor Hugo naît à Besançon (Doubs) en 1802. Son père, Léopold Hugo est un militaire de carrière. Homme robuste et fier, c'est un fervent patriote. En mai 1793, alors que la France est en guerre ouverte aux frontières du pays, le régiment du capitaine Hugo quitte le Rhin pour se transporter en Vendée. Léopold y restera quatre années durant. C'est là, dans l'ouest, qu'il fera la connaissance de celle qui deviendra sa femme, Sophie Trébuchet, future mère de l'écrivain, et fille d'un armateur nantais.

    Sophie Trébuchet, née en 1772 (la même année qu'Henri de La Rochejaquelein), possédait des origines vendéennes.

     

    D'un tempérament libre et indépendant, elle était loin de partager les opinions politiques de son père qui, tout comme une partie de sa famille, avait versé dans les idées nouvelles quand la bourrasque de 1789 avait soufflé sur le pays. Le frère et le grand-père de Sophie Trébuchet figuraient même par les collaborateurs de Carrier, à Nantes. Malgré cet environnement familial clairement révolutionnaire, le coeur de Sophie Trébuchet penchait pourtant pour la cause du trône et de l'autel, et au cours de la guerre de Vendée, il se disait même qu'elle avait eu bien des sympathies pour ceux que l'on appelait alors "les brigands".

     

    Nul doute qu'au moment d'écrire son Quatrevingt treize, Victor Hugo sera influencé par ce contexte familial dans lequel, enfant, il a baigné, et qui représente la synthèse de deux France, distinctes et idéologiquement opposées.

     

    Le contexte historique de l'écriture 

     

    Dès 1863, Hugo avait annoncé : « Je suis au seuil d'un très grand ouvrage à faire. J'hésite devant l'immensité qui en même temps m'attire. C'est Quatrevingt-Treize ».

     

    En 1867, il écrivait à son éditeur : « Le Quatrevingt-Treize à faire me crée une sorte de servitude ».

    Cinq ans s'écouleront jusqu'à ce qu'en 1872, il se retire dans l'île de Guernesey pour procéder à l'écriture de cet ouvrage. Le 21 Novembre de la même année, à Hauteville House, il écrit : « Je commence aujourd'hui à écrire Quatrevingt-Treize. J'ai sous mes yeux le portrait de Charles [son fils, décédé l'année précédente] et les deux portraits de George et de Jeanne [ses petits enfants]. J'ai pris l'encrier neuf de cristal acheté à Paris ; j'ai débouché une bouteille d'encre toute neuve et j'en ai rempli l'encrier neuf ; j'ai pris une rame de papier de fil acheté exprès pour ce livre ; j'ai pris une bonne vieille plume et je me suis mis à écrire la première page ».

     

     A la table de l'écrivain, l'attend un travail titanesque, monumental. Hugo épluchera des montagnes d'archives et de très nombreux documents d'époque sur lesquels il a réussi à mettre la main. A force de recoupements, observant les divergences et les analogies des sources, il fera un travail d'orfèvre pour donner corps aux personnages du roman. La toile de fond se déroule, lentement, patiemment. Le texte prend forme. Les grandes lignes se dessinent. Le tableau est saisissant. Sous la plume qui court à un rythme effréné (le roman sera écrit en six mois à peu près), les grandes tendances de l'intrigue  se mélangent. Les forces en présence se révèlent, se brouillent et s'éclaircissent, au fil des péripéties. Chacun des protagonistes du roman est l'archétype d'une idéologie, ou le serviteur d'une cause. Tantôt symboles du passé et du monde ancien, tantôt symboles du présent et de la Révolution. Ils résonnent comme une évidence. C'est le Marquis de Lantenac, emblème de l'aristocratie et de la monarchie, avec ses qualités et ses défauts, qui fait face à Cimourdain, l'envoyé du Comité de Salut Public, l'agent de la Révolution, à la tête enfiévrée, dure et inflexible. C'est  " la ligne droite qui, selon les propres mots d'Hugo, ne connaît pas la courbe" .

    Entre les deux, apparaît aussi un autre personnage, le petit-neveu de Lantenac, un déserteur passé du côté des révolutionnaires, et qui commande les forces républicaines. Hugo a décidé de lui donner le nom de Gauvain, en référence au nom de jeune fille de sa compagne, Juliette Drouet, et dont le père était un ancien chouan. Au fil des pages, les héros prennent de l'épaisseur. Ils se croisent,  et évoluent, au gré des péripéties, mis en relief par les événements historiques dans lesquels ils prennent pied.

     

    L'Histoire... Dieu sait combien elle est riche, au moment où Victor Hugo rédige son roman. Les très récents événements de la Commune de Paris en 1871, avec le soulèvement des ouvriers parisiens, résonnent encore dans l'esprit de l'écrivain. Voilà une autre insurrection. Différente, dans sa forme, aux soulèvements contre-révolutionnaires certes, mais somme toute assez semblable à ceux-ci dans leur expression et la répression des revendications...

     

    Il convient aussi de se souvenir que pour son travail d'écriture, Hugo a pu s'appuyer sur des ouvrages, récemment publiés, et appelés à devenir des références tutélaires autour de la Révolution Française : c'est le cas par exemple des travaux de Jules Michelet, avec son Histoire de la Révolution Française (1847-1853), et dont on ne peut douter qu'Hugo a pu avoir tout le loisir de consulter pour mieux se documenter.

     

    En 1872 - époque de la rédaction, Le Moniteur Universel vient de connaître l'une de ses plus  fameuses rééditions (1840-45). Ce ne sont pas moins de trente-deux volumes, qui illustrent et rendent compte de cette période houleuse où se mêlent compte-rendus de lois, débats, correspondances, séances et décrets...

    Autant dire une mine d'or documentaire pour qui veut, à l'instar d'Hugo (qui ne s'en est d'ailleurs jamais caché), se replonger dans le climat de cette période.

     

    Enfin, le 9 Juin 1873, dans une lettre adressée à Paul Meurice, Hugo écrit : « Ce matin, à midi et demie, j'ai écrit la dernière ligne du livre Quatrevingt Treize. Je l'ai écrite avec la plume qui vous écrit en ce moment. »

     

    Il aura fallu six mois à Victor Hugo pour mettre un point final à son roman, commencé en décembre 1872. Six mois d'un travail d'arrache-pied, nuit et jour, à une cadence folle. En achevant Quatrevingt-Treize, Hugo réalise un rêve, vieux de trente ans. Son idée a enfin pris corps. Et il suffit de jeter un coup d'oeil aux manuscrits originaux pour s'apercevoir que la trame hugolienne, particulièrement aboutie, a été minutieusement confectionnée. En 1873, Hugo rejoint Paris, en emmenant son livre avec lui. La graphie du titre ("Quatrevingt" tout attaché) répond à une volonté explicite de l'auteur. En marge de la première édition, Hugo avait écrit : " J'ai déjà fait observer que quatrevingt ne veut pas de trait d'union. C'est un seul mot. Ne pas l'oublier."

     

    Les premières éditions – comme il est souvent de tradition alors au XIXe siècle – sont agrémentées de planches, dessins et gravures, fruits d'un travail collaboratif entre plusieurs artistes. Chacune d'elles illustre un épisode essentiel du livre.

     

    La Vendée de 93, dans Quatrevingt-Treize 

     

    "Quatrevingt-treize" de Victor Hugo....

     

    Quand il publie Quatrevingt-Treize, Hugo n'en est pas à son coup d'essai littéraire au sujet de la Vendée. En 1819, au tout début de sa relation amoureuse avec la jeune Adèle Foucher, il avait publié son premier poème, alors intitulé Les Destins de la Vendée, poème de jeunesse dans lequel l'écrivain romantique célébrait les origines vendéennes de sa mère, au travers des héros royalistes (Charette, La Rochejaquelein...), et des hommes qui les accompagnaient, tous marchant vers un funeste sort lors du passage de la Loire et de la Virée de Galerne ensuite (Octobre-Décembre 1793).

     

    Avec Quatrevingt-Treize, la tâche est plus rude. Elle est d'une autre ampleur, considérable, et s'avère beaucoup plus complexe.

    Dans ce roman découpé en plusieurs parties et sous-parties, Hugo a choisi, entre autres, de dépeindre le moment fatidique où la Convention Nationale, alors en pleine crise, bascule entre les mains de Robespierre et de Danton, qui vont s'entre-tuer. Dans ce contexte de tension extrême, le soulèvement vendéen occupe une place prépondérante, et c'est d'ailleurs en Vendée que l'écrivain a choisi de situer le coeur de son intrigue. A titre d'exemple, les enfants de Michelle Fléchard sont ceux d'un Vendéen, mort pour son roi, son seigneur et son curé.

    Hugo consacre de longues pages sur la Vendée, de l'insurrection en passant par la Vendée Militaire, la géographie du pays insurgé, la mentalité de ses habitants.

     

    Ces pages, que nous ne pouvons citer ici intégralement sous peine d'entamer le plaisir de les relire ultérieurement pour mieux les (re)découvrir, sont les murs porteurs, la structure même du roman d'Hugo.

     

    Arrêtons nous, ne serait-ce qu'un bref instant, sur un passage tout à fait révélateur.

    Dans la troisième partie du livre, intitulée "En Vendée" (Livre Premier – La Vendée), Hugo explique :

     

    « L'Histoire a sa vérité, la légende à la sienne. La vérité légendaire est d'une nature autre que la vérité historique. La vérité légendaire, c'est l'invention ayant pour résultat la réalité. Du reste, l'histoire et la légende ont le même but, peindre sous l'homme momentané l'homme éternel ».

     

    Ici, en associant l'histoire et la légende, comme deux versants antinomiques et pourtant complémentaires d'une seule et même montagne, Hugo rend ces deux concepts littéralement indissociables, l'un étant nécessaire à de nombreux égards pour pouvoir pleinement expliquer l'autre, dans la mesure où tous deux tendent à poursuivre au final le même objectif : celui de déceler, dans le provisoire et l'éphémère, une parcelle d'immuable et d'éternité, destinée à devenir tout aussi bien légende que symbole. Et la force des symboles, c'est bien connu, c'est de dépasser ceux qui les brandissent. Pour comprendre la Vendée, tout serait donc question d'échelle. Et pour savoir l'estimer à sa juste valeur, indépendamment du besoin que l'on peut en avoir, force est de se positionner à la bonne hauteur.

     

    « La Vendée ne peut être complètement expliquée, poursuit Hugo, que si la légende complète l'Histoire. Il faut l'Histoire pour l'ensemble, et la légende pour le détail.

    Disons que la Vendée en vaut la peine. La Vendée est un prodige. Cette Guerre des Ignorants, si stupide et si splendide, abominable et magnifique, a désolé et enorgueilli la France ».  Il ajoute : « La Vendée est une plaie qui est une gloire ».

     

    La révolte vendéenne, héroïque et scandaleuse, pourrait donc se caractériser par cette espèce d'ambivalence : l'image d'une Vendée souffrante mais glorieuse, qui devrait avoir honte tout en étant fière à la fois, car la Vendée a  maculé l'histoire nationale [1], tout autant qu'elle l'a rendu sublime. Elle l'a couvert d'opprobre tout en lui donnant ses lettres de noblesse.

    Derrière ce paradoxe, pointe sans doute une part de vérité. Car les nombreuses archives et autres documents que nous possédons aujourd'hui continuent encore à nous le prouver : aux yeux de la postérité, il fallait, coûte que coûte, que la Vendée ait tort pour que la Révolution Française (socle mythifié sur lequel repose notre histoire nationale contemporaine) ait raison. Diaboliser l'une servait, il faut l'admettre, à magnifier l'autre.  Dès lors, ce n'est pas surinterpréter le texte d'Hugo que de légitimement se demander laquelle des deux, dans cette logique, est la plus glorieuse ou magnifique : la Vendée qui, s'étant soulevée, est sacrifiée pour préserver l'histoire de la Révolution en marche (et donc l'histoire nationale a posteriori) , ou bien celle qui, par ricochet, ne brille que d'une lumière empruntée à l'héroïsme nécessairement coupable d'une Vendée qui elle aussi, combattait pour sa liberté ? L'une ne pouvant être totalement comprise qu'à la lueur de l'autre, l'histoire du soulèvement vendéen fait la fierté tout en faisant la honte de l'histoire nationale, et vice-versa. Ce que pointe avant tout Hugo est l'Histoire de deux malentendus, ou bien alors deux Histoires autour d'un seul et même quiproquo, celui de la Liberté.

     

    "Quatrevingt-treize" de Victor Hugo....

     

    Selon Hugo, la force du soulèvement vendéen réside aussi dans le fait qu'il ait échoué, entre autres, à cause de la nature même de ses motivations, mais aussi, par la configuration du territoire insurgé. L'Histoire, c'est un fait, a toujours plus d'impact, aux yeux de la renommée, quand sa fin est tragique.

     

    Dans le passage intitulé « L'âme de la terre passe dans l'homme », Hugo explique :

     

    « La Vendée a avorté. D'autres révoltes ont réussi, la Suisse par exemple. Il y a cette différence entre l'insurgé de montagne et l'insurgé de forêt comme le Vendéen que, presque toujours, fatale influence du milieu, l'un se bat pour un idéal, et l'autre pour des préjugés. L'un plane, l'autre rampe. L'un combat pour l'humanité, l'autre pour la solitude ; l'un veut la liberté, l'autre veut l'isolement ; l'un défend la commune, l'autre la paroisse »

     

    Avant d'ajouter : « Pays, Patrie, ces deux mots résument toute la guerre de Vendée ; querelle de l'idée locale contre l'idée universelle ; paysans contre patriotes »

     

    C'est bien là que le bât blesse, et là aussi que tient l'une des grandes leçons de cette année 1793 : Pays, Patrie. Deux mots identiques, dont la couleur n'est ni bleue, ni blanche, mais ce sont aussi deux concepts derrière lesquels les uns ne mettent pas forcément les mêmes choses que les autres. Alors, faute de se comprendre pour mieux se rencontrer et se reconnaître, ils s'entrechoquent, fraternellement, dramatiquement, et s'unissent, hélas, dans une seule et même couleur : le rouge du sang versé. Car chacun s'est approprié différemment ces deux concepts pourtant identiques.

     

    Le roman de Victor Hugo nous montre l'image d'une Vendée qui, fidèle à elle-même et à ses valeurs, n'a pas attendu les palmes d'une reconnaissance improbable, ou les lauriers d'une victoire plus qu'incertaine pour se forger une légende, et concentrer en son sein le faisceau de tous les héroïsmes.

     

    "Quatrevingt-treize" de Victor Hugo....

     

    Conclusion 

     

    Même après avoir publié son roman, Victor Hugo, pourtant profondément républicain, s'est toujours refusé à trancher. Il s'est aussi toujours défendu d'avoir écrit un roman à thèse, au sujet d'événements brûlants, forcément clivants, car trop colorés idéologiquement.

    « Je ne veux ni du crime rouge, ni du crime blanc », avait déclaré celui qui, deux ans après la parution, fut élu sénateur de la Seine.

    Pour Hugo, écrire cet ouvrage est un moyen comme un autre de mettre l'Histoire en lumière, à travers le prisme du combat politique et social. Il célèbre tout autant la première république qu'il rend hommage à l'héroïsme exalté des insurgés vendéens, donnant par là-même à son Quatrevingt-Treize une dimension testamentaire, on ne peut plus actuelle et universelle aussi. L'histoire vendéenne grandit l'histoire de France, et inversement.

     

    L'ouvrage d'Hugo déploie en tous cas des problématiques tout à fait singulières, telles que la frontière, parfois ténue il est vrai, entre des notions philosophiques et politiques, parfois antinomiques et insolubles de prime abord, mais qui donnent cependant à réfléchir à qui sait y regarder de plus près : le concept de légitimité, face à celui de la légalité ; la loyauté de l'Homme à l'égard de ses propres valeurs ; le rôle de la conscience et du libre-arbitre des différents protagonistes, ou bien encore la place essentielle qu'occupe dans le roman le dilemme entre le Bien et le Mal, notions importantes s'il en est, qui plus est en temps de guerre civile... Autant de pistes omniprésentes qui émaillent, en filigrane, l'intrigue de Quatrevingt-Treize pour mieux l'éclairer.

     

    En ce sens, l'ouvrage d'Hugo inscrit définitivement dans le marbre de la littérature l'image paradoxale d'une Vendée glorieuse mais également endeuillée, vulgaire et mythique, claire et inexplicable, étriquée et immense, anodine mais exemplaire, provisoire et éternelle, plate tout en étant vertigineuse, aussi héroïque qu'absurde. Une Vendée qui serait à la fois une honte, mais aussi et avant tout un privilège, taillé pour la postérité, pétrifié par l'Histoire, vitrifié par la Légende. Image des premiers souffles et des derniers soupirs. Image d'une Vendée complètement inutile, mais tellement nécessaire.

    Pour Hugo, la Vendée est une énigme étonnante. Et c'est bien parce qu'elle se dresse et se refuse, et parce que ses rêves de grandeur sont la synthèse parfaite de deux parties d'une seule et même France qui pourtant se déchire, qu'elle n'a pas de limites et qu'elle a su entrer, de par le fait, par la grande porte de la Légende.

     

    A lire Hugo, on s'aperçoit alors que rien n'est plus précis que la Vendée de 93, mais qu'en même temps, rien n'est moins dicible ou explicable... Souvenons-nous de la phrase de Barère qui justement, en Octobre 1793, vociférait à la barre de la Convention en parlant de « l'inexplicable Vendée ».

    Et à quoi bon, d'ailleurs, expliquer la Vendée ? N'était-elle pas alors, dans son ensemble, en son temps et dans l'époque, telle qu'elle devait être ? Le combat des Vendéens a t-il vraiment besoin d'être parfaitement expliqué, dans le roman, pour pouvoir espérer être pleinement compris dans son âme et sa substance ?

    Nul besoin d'être fin connaisseur et d'aller se perdre dans les méandres de tel ou tel détail pour se rendre compte que la Vendée d'alors est, tout simplement, une prouesse en même temps qu'un prodige.

    A la lumière de ce qu'il raconte, Hugo donne l'impression qu'il cherche moins à expliciter l'essence même du soulèvement vendéen, ne fût-ce que de façon désabusée, que d'en observer le mystère, d'en souligner la grandeur, en prenant en compte les causes qui l'y ont conduit, les éléments qui l'ont influencé, les conséquences qu'il a provoquées, ou bien encore l'impact qu'il a pu produire.

     

    La Vendée est un colosse. Un colosse aux pieds d'argile. Fragile mais terriblement héroïque. Terriblement monumental aussi. La Vendée de Quatrevingt-Treize, c'est la victoire des vaincus, enveloppés dans un linceul de panache. C'est la victoire définitive de l'Humain sur l'inhumain.

    Aux radicalités idéologiques de tous bords, Hugo oppose la réconciliation. Et derrière l'image d'hommes qui se battent pour défendre une cause (révolutionnaire ou royaliste), pointe le désir, avant tout fédérateur, de léguer, à travers cet ouvrage, un testament d'humanité.

     

                                                                                                  Amaury GUITARD

     

     

     


    [1]    Le verbe "maculer" semble tout à fait convenir ici, si l'on s'en refère à l'étymologie latine de ce terme : macula =  la tache

     


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    Mathurin Flandrois est exécuté près du château de la Gerbaudière

     

                            

     

    Mort d'un traître au Tablier....Ce n'est pas bon signe lorsque des cavaliers vendéens viennent frapper à votre porte lorsque vous êtes républicain. C'est soit pour vous, ou c'est que dans le secteur un traître est passé de vie à trépas.

    Les cloches ayant été confisquées afin de ne plus sonner l'heure du Bon Dieu, le tocsin ne vous préviendra pas.

      En ce temps des vendanges 1795, les royalistes commencent à régler les comptes de ceux qui aidèrent les Bleus dans les massacres et autres complicités malsaines... Mathurin Flandreau, laboureur à la Retière, est exécuté par des cavaliers Royalistes près de l'étang du château de la Gerbaudière* à l'âge de 31 ans et «transporté dans une pièce de terre voisine de l'endroit où il fut tué size près le vieil étang de la Boîsle.» Ce Bleu ne boira pas le vin nouveau de Mareuil ni de Rosnay, c'est regrettable, car on parle encore de la cuvée de 1795. On peut situer la date de sa mort entre le 21 septembre et le 21 octobre 1795.

     

    * Le château de la Gerbaudière a été incendié en 1794 et se situe à environ 6 kilomètres de la Retière. 

     

    Mathurin Flandrois-Flandreau est né le 4 septembre 1764 à la Couture, il est le fils de Mathurin Flandreau, laboureur à la Retière* et de Marie-Rose Bouniot. Il épouse le 22 mai 1792 à Mareuil, Françoise Vécaud-Verquau, fille de Michel Vécaud et de Jeanne Bouillé. Cette dernière épousera en secondes noces, le 22 janvier 1797 à la Couture, Pierre Vrignonneau.

     

    «Minute d'attestation de la mort de Mathurin Flandreau du premier nivôse an 5 (21 décembre 1796). 

    Par devant nous nottaires soussignés du Département de la Vendée et dhüement patentés résidant au Tablier et Chaillé sous les Ormeaux.

    Furent présents Jacques Martineau laboureur et Marie Anne Morin femme de Jacques Marquin demeurant en même communauté à la Gibardière* (Girardière) commune du Tablier, lesquels nous ont déclarés et affirmés avoir parfaite connaissance de la mort de déffunct Mathurin Flandreau vivant époux de Françoise Vécaud domicilié à la Retière commune de Saint André (1), pour l'avoir eux mêmes enterré sur les menaces qui leur feurent faitte de la part de ceux qui venoient de luy otter la vie, de les maltraiter sy dans une heure ils le trouvoient sans l'être : menaces qui pour lors les contraignirent à faire ce qui leur répugnoit à l'infini et qui les engagèrent à prendre les instruments qui leur étoient nécessaire pour le cacher en terre afin d'éviter les malheurs qui leurs étoient inévitables s'ils eussent manqués aux ordres qui leurs avoient été donnés par différents cavalliers Insurgés. 

    Que de suitte ils furent au lieu qui leur fut désigné où ils trouvèrent Flandreau sans existence ce qui fît qu'ils le transportèrent dans une pièce de terre voisine de l'endroit où il avoit été assassiné, size près le vieil étang de la Boîsle dépendant de la terre de la Gerbaudière et près le bois qui en dépend. 

    Nous ont pareillement déclaré les comparant que sa mort a eu lieu dans le temps des vendanges de l'année que l'on a compté mil sept cent quatre vingt quinze (vieux stile) et qu'il leur a parû âgé d'environ trente ans et enfin être accertaînés tant par eux même que par la voix publique que le même Flandreau est celuy qu'ils ont enterrés à l'époque susdit. 

    Desquelles déclarations ils nous ont requis le présent acte pour servir et valloir à qui il appartiendra; après nous les avoir affirmés sincère et véritable par le serment praisté et requis : ce jourd'huy premier Nivôse an cinq de la République française une et indivisible et nous avoir déclaré ne scavoir signer de ce enquis. 

    signé Cousturier, notaire – Martineau, notaire. » 

     

    * La Girardière se situe à environ 1km du château de la Gerbaudière.

     

    Lieu possible de la sépulture marqué d’une croix rouge sur le cadastre et la vue aérienne Géoportail :

     

    Mort d'un traître au Tablier....

    Mort d'un traître au Tablier....

     

    Sources 

     

    . Archives Départementales de la Vendée tous droits réservés. Minutes notariales le Tablier -Etude B de Maître André Martineau  vues 149,150 /452.(1778-an VII, an XII-1825) An IV, an V. 

    . Cadastre napoléonien de 1811 du Tabier, la Gerbodière – étang - 3P285/14 section A du bourg 2ème feuille - Bois G32 à futaie qui jouxte l'étang. 

    . Vue aérienne de la Gerbaudière Google map. 

    . Registres état civil de la Couture – Mareuil, vues 139/151 année 1764 -vue 3/5 du 22 mai 1792 – contrat de mariage du 6.5.1792 vues 218 et 219/367 Etude J de Luçon, maître Mariteau. 

    . Photo: de l'auteur.  

                                                     

    X. Paquereau pour Chemins Secrets

     

     

    Note :

     

     

    (1)  NDLR : le village de Saint-André-sur-Mareuil a fusionné avec Mareuil-sur-Lay sur ordonnance royale du 21 août 1827, en même temps que Beaulieu-sur-Mareuil. Son nom révolutionnaire était André-le-Vigneron. A son emplacement, se situe aujourd’hui le château éponyme. Il ne reste de l’ancienne paroisse que quelques vestiges de l’église et du cimetière. La Rétière, bien que proche de Saint-André, est située dans une quasi-enclave de la commune de la Couture. 


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    Un massacre à la Hérissière de Beaupréau ?

     

     

    Il y a déjà quelque temps, puisque nous étions en 2014, ma femme recevait le message suivant sur sa page Facebook à propos d’un massacre à Beaupréau :

    « Dans le champ en contrebas derrière la maison de la Hérissière, jouant enfant avec le cousin d’un ami à la Hérissière, celui-ci me montra l’endroit : « on entendait encore gémir les gens et le sang coulait tel un ruisseau jusqu’à la rivière ». Propos qu’il tenait de son grand-père (lui-même de son grand-père sans doute). Quand on parcourt le champ, celui-ci est gras et meuble en son milieu correspondant à une grande mare qui aurait été comblée par les cadavres. »

    Afin d’appuyer ses dires, notre correspondant nous citait la  « Notice historique sur le Collège de Beaupréau et sur M. Urbain Loir-Mongazon », par M. Bernier, chanoine d’Angers, paru en 1854 chez Cosnier et Lachèse à Angers (1). Voici ce que dit cet ouvrage aux pages 43 et 44.

    « Souvent M. Mongazon célébrait la sainte messe, soit à la Gâtine, soit ailleurs (2) ; c’était ordinairement dans une grange, et toujours sur un autel improvisé. Les bons Vendéens faisaient très volontiers de longues et pénibles courses pour assister à ces cérémonies nocturnes ; la plupart y recevaient la communion, et à cet effet, la première partie de la nuit était consacrée à l’audition des confessions. Le célébrant réservait, pour donner le viatique aux mourants, quelques hosties consacrées, qu’il portait avec lui dans une petite custode en forme de bourse, suspendue à son cou et cachée sous ses vêtements.

    Dans le cours de l’été 1794, M. Mongazon était parti un matin de la Gâtine, pour aller à deux ou trois lieues de là porter les secours de son ministère. Le soir, il revenait assez tranquillement, lorsque certains indices vinrent jeter dans son âme un commencement d’inquiétude et de frayeur. « Le soleil venait de se coucher, racontait-il, et j’avais encore plus d’une demi-lieue à faire. Je remarquai que personne ne paraissait ni sur la route ni dans les champs, et que la solitude devenait plus complète et plus morne à mesure que j’avançais. Je ne tardai pas à distinguer la lueur d’un incendie mal éteint, et bientôt je rencontrai, à quelques pas l’un de l’autre, les corps à demi dépouillés de deux hommes qu’on avait percés de coups. J’eus donc la cruelle certitude qu’une colonne républicaine avait, en mon absence, parcouru les lieux où je rentrais. Prenant alors des sentiers dérobés de préférence aux chemins battus, je pressais ma marche vers la Gâtine, l’âme agitée et le cœur serré par les plus sinistres pressentiments. A droite, à gauche, je voyais des hameaux brûlés : je rencontrais ça et là des vêtements, du linge, des paquets ; je remarquais des fermetures de champs renversées, des herbages foulés : tout dénotait de la part des habitants une fuite précipitée et désordonnée. Qu’allais-je trouver à la Gâtine ? Peut-être des ruines et du sang ; peut-être le cadavre de ma mère ! J’y arrivai enfin. Cette ferme n’avait pas été envahie par les bleus ; mais on eût qu’elle avait été mise au pillage. Je trouvai la port entr’ouverte, on n’avait pas même pris le temps de fermer les meubles, qui étaient à moitié vides ; tout était en désordre. Je cherchai et je ne trouvai personne, j’appelai, mais pas une voix ne répondit. Cette solitude me parut affreuse et elle me causa un saisissement inexprimable et une sorte de vertige. Instinctivement, et sans rélféchir, je courus jusque sur la partie la plus élevée du coteau, je montai sur le créteau du fossé, et me trouvant trop bas encore, je m’accrochai aux branches d’un arbre, pour satisfaire à l’impérieux besoin de voir et d’entendre. Je regardai aux alentours, mais je ne vis que quelques mâsures encore fumantes, et un brouillard blanchâtre qui s’élevait sur la rivière ; j’écoutai à plusieurs reprises, mais c’était partout le silence de la mort, si ce n’est que j’entendis deux ou trois beuglements d’un taureau égaré dans le vallon. Alors je tombais dans une profonde rêverie ; je restai longtemps immobile ; la nuit m’enveloppait et je ne m’en apercevais pas. Enfin, la pensée que je portais le saint Sacrement avec moi, et que j’étais accompagné de Jésus-Christ en personne, me fit sortir de cet état indéfinissable. Je m’acheminai, en priant, vers le taillis ; j’entrai en tâtonnant dans ma cabane où j’achevai mes prières ; j’adorai le saint Sacrement en ajustant la custode à mon cou et sur ma poitrine, et je me couchai en disant : « Mon Dieu, il y a longtemps que je vous porte et que je vous garde ; à votre tour, vous allez me garder. » Je dormis profondément jusqu’au lever du soleil. » »

    Bien que très intéressante, cette description ne nous informe pas sur un massacre derrière la maison de la Hérissière.

    Situation de la Gâtine et de la Hérissière sur l’IGN de Géoportail :

    Un massacre à la Hérissière de Beaupréau ?

    Petite erreur sur le cadastre de 1834 des AD79 (3 P 4/23/13) qui ne mentionne pas la Gâtine mais seulement la Hérissière :

    Un massacre à la Hérissière de Beaupréau ?

    Saura-t-on un jour ce qui s’est passé ici ?

    A suivre…

    RL

    Mars 2019

     

    Article connexe ici.

     

    Notes :

    (1)  Consultable sur Archive.org ici.

     

    (2)  L’abbé Loir-Mongazon se cachait également tout près d’ici, dans un petit bois, près de l’Augardière, sur la paroisse d’Andrezé.


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