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    La Lande du Chêne Rond…

     

    Située au Puy-Saint-Bonnet sur la route de la Tessoualle, cet endroit est d’un intérêt tout particulier de par son paysage intact qui évoque les landes de genêts qu’ont connues les vendéens de 1793. C’est dans ce type de paysage qu’ont eu lieu tant de batailles et tant de tueries ignobles.

    RL

    Mai 2013

     

    La Lande du Chêne Rond.... 

    La Lande du Chêne Rond....

    La Lande du Chêne Rond....

    La Lande du Chêne Rond.... 

    La Lande du Chêne Rond....

     

    La chapelle, édifiée en 1862.

     


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  • « Essai sur la Terreur en Anjou », Camille Bourcier , 2° édition, Angers, Paris, 1870, extraits...

     Cliquer sur les images pour les agrandir.

    A Angers et à Lyon....

     

     

     A Angers, Nantes, Rennes...

     

     

    A Angers et à Lyon....

    A Angers et à Lyon....

    A Angers et à Lyon....

    A Angers et à Lyon....

    A Angers et à Lyon....

     

    "Saisissez vos armes, prenez vos piques, vos faux, vos fourches, vos leviers ; qu'au même instant le tocsin retentisse dans toutes vos communes, qu'il sonne la dernière heure des brigands, et qu'il ne s'arrête que lorsqu'il n'en existera plus un seul !"
    Le 25 frimaire an II
    Proclamation des représentants du peuple Bourbotte, Turreau, Prieur de la Marne

     

     

    A Lyon:

     

    A Angers et à Lyon....

     

    Ville affranchie, 17 frimaire an II
    ACHARD à GRAVIER, juré du tribunal révolutionnaire à Paris
    "Frère et ami,
    "Encore des têtes, et chaque jour des têtes tombent ! Quelles  (sic) délices tu aurais goûtées, si tu eusses vu avant hier cette justice nationale de deux cent neuf scélérats ! Quelle majesté ! Quel ton imposant ! Tout édifiait. Combien de grands coquins ont, ce jour-là, mordu la poussière dans l'arène des Breteaux ! Quel ciment pour la République !

     

     


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    Vieilles histoires à la Verrie…

     

    C’est toujours un réel plaisir de relire les histoires rapportées par Henri Bourgeois dans La Vendée Historique.

    Nous livrons ainsi à nos lecteurs quelques anecdotes recueillies par l’enfant du pays sur son village natal.

    RL

    Mai 2013

     

    Le coup de Sarceau de la croix de l’Anguille

     

    Parmi les familles de la Verrie qui furent le plus mêlées aux évènements de la Grande-Guerre, figure la famille Grolleau. Aujourd'hui divisée en plusieurs branches et disséminée, elle habitait alors le village de la Soulicière, situé presque sur les limites des trois paroisses de la Verrie, de Saint-Malo-du-Bois et de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Fidèles catholiques, comme le sont encore leurs descendants, tous les Grolleau en état de porter les armes firent bravement leur devoir de Vendéens à l'armée du Centre, sous les ordres des deux Sapinaud, et plusieurs trouvèrent une mort glorieuse sur le champ de bataille.

    L'un de ces Grolleau, qui était tout jeune à l'époque de la Grande-Guerre, vint s'établir plus tard au bourg de la Verrie et y exercer le métier de forgeron. Il y fit souche, et deux de ses descendants y frappent encore l'enclume, à l'exemple de leur grand'père.

    Ce Grolleau, que j'ai parfaitement connu, était un excellent homme ; mais il avait deux passions, ou plutôt, deux haines au coeur : la haine des vipères, et la haine des Bleus.

    Comme chasseur de vipères, il fut le précurseur de M. l'abbé Chabirand, curé de la Verrie, - un pasteur modèle auquel je suis heureux de faire la réclame en passant, et qui pousse la sollicitude envers son troupeau jusqu'à le délivrer des animaux rampants dont l'ancêtre joua un si vilain tour à notre premier père dans les vergers du Paradis terrestre.

    Mais Grolleau, qui était en tout de l'"ancienne mode", n'avait point encore découvert les procédés de chasse perfectionnés de M. le Curé Chabirand. Celui-ci, en effet, a trouvé le secret de prendre les vipères vivantes : si bien qu'on prétend, dans le pays, qu'il a un don, et qu'il les fascine ! ... Le bonhomme Grolleau, lui, avait tout simplement remarqué que les vipères, lorsqu'elles se voyaient surprises, se fourraient dans le premier trou venu qui s'offrait à elles ; en conséquence de cette observation, il se contentait de présenter aux vilaines bêtes le bout du canon d'un fusil ; puis, lorsque l'un d'elles avait la tête engagée dans le trou, il lâchait son coup, et ... voilà !

    Un beau jour, une vipère plus grosse que les autres étant entrée presque tout entière dans le canon du fusil et l'ayant bouché, l'arme éclata, et le bonhomme faillit en perdre le poignet. Cela le rendit plus prudent à l'avenir, et je crois même qu'il abandonna tout à fait un genre de chasse dont il avait expérimenté à ses dépens le caractère par trop dangereux.

    D'où lui était venue sa haine pour les vipères, je ne saurais le dire ... Quant à la haine qu'il portait au Bleus, on va voir qu'il était payé pour cela.

    J'ai dit que le bonhomme Grolleau était tout enfant à l'époque de la Grande-Guerre. Son père, soulevé dès le début de l'insurrection, avait fait toutes les premières campagnes de la Vendée militaire, y compris celle d'Outre-Loire. Après le désastre de la Grande-Armée, il était rentré au village, et n'avait point encore repris les armes lorsque les Colonnes infernales envahirent le pays.

    Le village de la Soulicière, retiré dans l'intérieur des terres, semblait à l'abri de ces bandes incendiaires et d'assassins, qui se contentaient généralement de brûler et de massacrer dans les bourgs et dans les fermes à proximité des routes ; aussi Grolleau, qui croyait n'avoir rien à redouter pour les siens, s'occupait-il tranquillement de ses affaires.

    Un soir, comme il rentrait chez lui après une absence qui avait duré toute la journée, et qu'il allait enjamber un échalier situé entre le village du Grand Boucher et celui de la Soulicière, il se vit tout à coup en face d'un cadavre sans tête, placé debout le long d'un gros chêne ! ... Ce cadavre était celui d'une femme, mais il n'était pas le seul ; à chaque sein de ce corps était attaché, avec des cordes, le cadavre - également sans tête - d'un tout petit enfant !

    Grolleau crut d'abord à une apparition, et il recula après s'être signé dévotement. Mais, comme il était brave, il revint presque aussitôt, et, après avoir fait un nouveau signe de croix, il enjamba l'échalier. Jetant alors les yeux aux pieds du cadavre, il reconnut avec épouvante ... la tête de sa femme ... et celle de ses deux plus jeunes enfants ! ...

    Le malheureux comprit tout de suite ... Les Bleus étaient passés par là ! ... il était veuf ... et les misérables lui avaient tué deux de ses petits enfants ! ...

    Des larmes de rage inondèrent son visage ... La main étendue sur le corps de sa femme et sur ceux de ses enfants, il jura de se venger.

    Dès le lendemain, suivant ses propres expressions, il se fit chasseur d'hommes. Après avoir rendu les derniers devoirs aux trois martyrs et mis en sûreté les autres membres de sa famille, il décrocha son fusil, chaussa ses sabarons, ferma sa porte à clef et quitta le village pour se mettre tout de suite en campagne.

    Tantôt sur un point, tantôt sur un autre, il guettait au passage les détachements républicains ; puis lorsque le gros de la colonne était passé, il attendait patiemment, caché derrière un buisson et le doigt sur la détente, qu'un traînard vînt s'offrir à ses coups. Malheur alors à celui-là ! Grolleau était un tireur de première force : tout Bleu ajusté par lui était un homme mort ! ...

    Combien il en démolit ainsi, au printemps de l'année 1794, lui-même avouait, plus tard, qu'il eût été incapable de le dire ..

     

    A l'occasion, Grolleau savait faire l'économie d'une charge de poudre, et il se contentait d'assommer les Bleus. Ce fut même ainsi, dans des conditions particulièrement dramatiques, que périt le premier qu'il put immoler à sa vengeance.

    C'était au lendemain même du massacre de la Soulicière. Les assassins, en sortant du village, s'étaient dirigés du côté de Saint-Laurent, et ils avaient passé la nuit, ainsi que la journée suivante, à brûler et à massacrer dans les environs ; puis ils avaient pris la route de la Verrie.

    Grolleau, qui s'était mis à l'affût à la Croix de l'Anguille, sur le chemin de Saint-Laurent à la Verrie, vit passer toute la troupe presque à le toucher, mais il ne broncha pas : tirer dans le tas lui eût été facile, mais c'était s'exposer à être aussitôt massacré par les bandits ; or, il voulait se venger sûrement et lontemps, et, pour cela, il était bien résolu à ne s'en prendre qu'aux Bleus isolés, aux traînards qui suivaient presque toujours les colonnes. Il attendit donc tranquillement.

    Son attente ne fut pas longue. Cinq minutes à peine s'étaient écoulées, lorsqu'il vit arriver dans le chemin creux un soldat qui marchait difficilement. Le Bleu, qui paraissait blessé à la jambe et à bout de forces, s'arrêta juste au pied de la Croix.

    Grolleau fut sur le point de lui envoyer une balle presque à bout portant. Mais il réfléchit que la colonne était encore tout près de là, et que d'autres retardataires pouvaient arriver du côté de Saint-Laurent, auxquels il importait de ne pas donner l'éveil.  Faut qu'j'assomme tchio-là sans faire de brit ! se dit-il à lui-même...

    En même temps, il aperçut à côté de lui un sarceau, abandonné là le long de la haie. (Les paysans du Bocage donnent le nom de sarceau à un instrument à deux pointes de fer, dont ils se servent pour sarcler le blé). Il s'en saisit, franchit le fossé d'un bond et sauta à la gorge du Bleu, avant que celui-ci eût pu se servir de ses armes pour se défendre.

    - Fais ton acte de contrition, lui dit-il, car tu es mort !  

    Tremblant, le Bleu se jette à genoux et demande grâce.

    - Grâce ! s'écrie Grolleau ... As-tu donc fait grâce à ma pauvre femme et à mes deux petits enfants ? ... Allons, dépêche-toi, et fais ton acte de contrition, où je j'envoie tout droit brûler en Enfer ! ...

    Le Bleu vit qu'il n'avait plus qu'à s'exécuter ... Comme un tas de soi-disant libres-penseurs que nous voyons aujourd'hui insulter la Religion tant qu'ils sont bien portants, mais qui se rappellent leur catéchisme lorsqu'il voient arriver la mort, il fit son acte de contrition en se tournant vers la Croix ...

    - Et maintenant, reprit Grolleau en brandissant son sarceau, fais ton signe de Croix !

    A peine le Bleu avait-il tracé le signe de la Rédemption, qu'il tombait mort, le crâne fracassé ! ...  

    - En voilà toujours un ! se dit Grolleau ... Puis il reprit le sarceau, dont les deux pointes s'étaient enfoncées jusqu'au manche dans le crâne du misérable, remonta le fossé et se remit à l'affût.

    Plus tard, lorsqu'il racontait à son fils ce premier acte de vengeance sur un blessé, le vieux Vendéen, qui avait toujours devant les yeux les cadavres mutilés de sa femme et de ses deux petits enfants, ne manquait jamais de conclure par ces mots : Ah ! man pauvre gâs ! la douleur en fait faire de pus d'une manière !

    Ce dramatique épisode - tout ce qu'il y a de plus authentique - a naturellement servi de thème à l'imagination populaire, et la légende a tenu à y mettre du sien : aujourd'hui, nombre de paysans de la Verrie vous affirmeront gravement qu'ô r'vint totes lés nêts, à la Croëx d'l'Ondgille ! ... Et, si vous avez l'air de douter, ils auront soin de préciser en ajoutant qu'on y voit, à minuit, in çarqueil avec ine chondelle !

    Je doit ajouter qu'il n'y a pas que les simples paysans à croire au revenant de la Croix de l'Anguille : un M. de Rangot, qui habitait autrefois la propriété de la Fresnaie, à la Verrie, a souvent donné sa parole d'honneur à mon père qu'une certaine nuit, au retour d'une foire de Châtillon, il avait parfaitement vu, de ses yeux vu, à la Croix de l'Anguille, un cercueil avec une lumière, et que la frayeur lui avait fait faire un détour à travers champs.

    On dit que c'est l'âme du Bleu qui revient là-bas pour réclamer des prières. - Elle devait en avoir grand besoin !

    H.B.

    La Vendée Historique – 1899

     

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

         La croix de l’Anguille

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

    Histoire d’un fusil et exploits d’un « trébéchet »

     

     

    Tout enfant, mon plus vif désir était d'enrégimenter mes petits frères et soeurs pour "jouer à la Grande-Guerre". Ordinairement, ça n'allait pas tout seul pour commencer ; car c'était à qui ne ferait pas les Bleus, vous pensez ! ... D'autant que, suivant nos conventions, les Bleus devaient toujours recevoir une pile, - ce qui doublait l'humiliation à  nos yeux ! ... Je devais donc employer toute mon autorité d'aîné et faire jouer les ressorts de la plus souple diplomatie, pour décider les deux plus jeunes - quant aux autres, il n'y fallait point compter ! - à se laisser infliger la traditionnelle râclée qui faisait partie du programme ...

    La fierté vendéenne des deux moutards eux-mêmes était telle, qu'un beau jour - je me le rappelle comme si j'avais trente et quelques années de moins sur les épaules ! - il me fallut leur promettre, pour les décider à arborer la cocarde républicaine, de leur faire raconter par notre bonne vieille tante l'histoire du fusil du bonhomme Grolleau ! ...

    Ce bonhomme Grolleau - qui n'était autre que le fameux chasseur de vipères - avait réuni chez lui tout un arsenal d'armes de la Grande-Guerre : fusils à pierre, sabres, baïonnettes, espingoles ... sa maison en était remplie, et il y en avait jusqu'aux soliveaux ! Or, parmi ces vieilles armes, qui étaient à nos yeux comme autant de reliques, et dont chacune avait son histoire, se trouvait un énorme fusil, lourd comme un petit canon et long à proportion. Le bonhomme Grolleau avait pour lui un culte tout particulier ; aussi l'avait-il mis à la place d'honneur.

    Ce fusil, conquis un jour de bataille sur les Bleus en déroute, avait appartenu à un brave Verriais dont j'ai malheureusement oublié le nom, et qui était domestique au village de la Soulicière, à l'époque de la Grande-Guerre. De l'arme comme de son propriétaire, le bonhomme Grolleau ne parlait jamais qu'avec vénération, et voici l'une des anecdotes qu'il racontait à ce propos et que nous avions coutume d'appeler, entre nous, l'histoire du fusil du bonhomme Grolleau,

    Les détails m'en ont été confirmés, tout récemment encore, par mon excellent compatriote et vieil ami, M. l'abbé Guitton, curé de Beaurepaire, qui avait été mis en pension chez le bonhomme Grolleau lorsqu'il commença ses études de latin à la cure de la Verrie, et qui, soit dit en passant, pourrait nous tresser une si belle gerbe de souvenirs vendéens, s'il voulait se décider à mettre par écrit les curieux et dramatiques récits de son hôte aux veillées d'hiver ...

    C'était au printemps de l'année 1794, dans les jours qui précédèrent la prise de Mortagne par Marigny.

    Envoyé en reconnaissance pour examiner les moyens de défense de la ville, le domestique de la Soulicière avait longé les bords de la Sèvre jusqu'en face de la grosse tour du château. Arrivé là, il s'était glissé en rampant derrière un gros tétard, où il s'était mis en observation après avoir déposé son fusil à côté de lui.

    Au bout de quelques instants, ayant voulu se pencher pour mieux se rendre compte d'un mouvement qui se faisait sur les remparts, il fut aperçu par la sentinelle républicaine. Le Bleu, croyant qu'il avait affaire à un homme sans armes, commença par lui tirer la langue ; puis, faisant volte-face, il prit la position d'un homme accroupi, et, montrant de la main ... l'autre figure de son individu, il se mit à gouailler le Vendéen.

    Celui-ci ne bougeant pas, le Bleu trouva spirituel de renouveler sa plaisanterie, et il multipliait des gestes qui semblaient vouloir dire: tire donc !

    Le défi était trop insolent, et la tentation trop forte pour que le Vendéen pût y résister. Prompt comme l'éclair, il ramasse son fusil, épaule, lâche le coup, et le Bleu, touché en plein mille, dégringole du haut des remparts et vient se briser la tête contre un rocher, presque aux pieds de l'adroit tireur !

    Avant de raconter cette histoire au futur curé de Beaurepaire, le bonhomme Grolleau commençait par décrocher le fusil qui, suivant son énergique langage, avait si bien fait "péter le derrière au Pataud" ; il le tenait respectueusement entre ses mains tant que durait le récit, puis, l'histoire finie, il faisait embrasser l'arme à son jeune pensionnaire en lui disant : "Bise tchiô fusil, man p'tit gâs ! bise-le ! ... t'en verras jamais de sa force !"

    Le fusil qui avait fait un si beau coup fut donné par le bonhomme Grolleau à son vieux curé, M. l'abbé Guilloton ; celui-ci, à son tour, l'a passé à mon père, et j'ai tenu à lui confirmer son état-civil dans la famille, d'où j'espère bien qu'il ne sortira jamais !

    A l'exemple de son maître, dont il avait épousé la vengeance, le domestique de Grolleau s'était fait chasseur de Bleus, à la suite des atrocités commises au village de la Soulicière. Dans l'intervalle des expéditions régulières de l'armée du Centre, il guerroyait pour son propre compte et passait presque toutes ses journées à l'affût. Il aurait eu beaucoup de peine, lui aussi, à dresser la liste de tous les traînards qu'il expédia alors pour l'autre monde.

    Un jour, qu'il travaillait dans un champ de blé, il entendit tout à coup le cri de dgiette aux Bleus ! du côté de l'étang du Blanc, situé à peu de distance du chemin de Saint-Laurent à la Verrie. Laissant là son travail, et armé de son trébéchet, il courut vers la queue de l'étang et aperçut, sur la chaussée, deux soldats républicains qui s'étaient égarés et que poursuivaient les gens des villages voisins de la Morère et de la Girardière.

    Les deux Bleus avaient jeté leurs armes pour mieux courir et filaient comme des lièvres ; mais l'un était encore plus ingambe que son camarade et le distançait d'une cinquantaine de pas. Comme ils venaient tout droit à sa rencontre, notre homme les attendit tranquillement et, au passage, les assomma l'un après l'autre avec son trébéchet.

    Nombre de traînards des Colonnes infernales furent ainsi expédiés par lui autour de l'étang du Blanc, tantôt à coups de fusil, tantôt à coup de trébéchet. Après les avoir achevés, il faisait son signe de croix, attachait une pierre au cou des cadavres et les jetait au fond de l'eau. Plusieurs années après la guerre, lorsqu'on vida pour la première fois l'étang, on trouva une certaine quantité d'ossements. C'était tout ce qui restait des victimes du terrible valet de la Soulicière !

    H.B. - La Vendée Historique – 1900

     

    Le Fusil du père Grolleau

     

    A propos des histoires du bonhomme Grolleau, ... je m'étais permis, dans la Vendée historique du 5 janvier 1900, d'invoquer le témoignage de mon compatriote M. l'abbé Guitton, curé de Beaurepaire, et j'ajoutais que mon vieil ami pourrait nous tresser une bien belle gerbe de souvenirs vendéens, s'il voulait se décider à mettre par écrit les curieux et dramatiques épisodes qu'il avait entendu raconter autrefois ...

    Ainsi mis en cause, M. l'abbé Guitton me riposta, quelques jours après, par la lettre suivante, dont j'avais cru devoir ajourner jusque-là la publication pour varier un peu mes chroniques et mettre  en scène d'autres personnages que  le bonhomme Grolleau :

    "Vous me provoquez très aimablement dans votre dernier numéro de la Vendée historique, en laissant croire que je pourrais facilement vous tresser une belle gerbe de faits intéressants racontés autrefois par le Père Grolleau. C'est vrai, je vous l'ai dit, j'ai entendu de lui bien des récits, et dans le temps cela me donnait comme à lui la haine du bleu et m'impressionnait beaucoup. Mais malheureusement j'ai oublié une foule de choses. Et lorsque je travaille ma mémoire, je suis vite arrivé à la fin de mon rouleau.

    Pourtant, je me souviens encore de deux faits, en dehors de ceux que vous avez racontés : l'un qui met toujours en scène le héros de la Croix de l'anguille ; l'autre qui me rappelle le pistolet du fameux Diot (Puaud, de Saint-Mesmin), tué à la bataille de la Roulière, en 1832. Ce pistolet était précisément entre les mains du Père Grolleau. Je pourrais même vous donner quelques détails, si vous le voulez, sur le brave Diot : vous pourriez en tirer les éléments d'une histoire intitulée la mort du dernier Chouan. Je connais l'endroit où il a été tué ; mon père, mes oncles et ma mère m'ont raconté bien souvent ce dernier combat de 1832 dans nos champs de la Roulière, comme aussi les derniers moments de ce vaillant soldat de Henri V. Mais ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui, je vais vous parler seulement de ce qui regarde le héros de la Croix de l'anguille. Voici donc ce que je me rappelle avoir entendu raconter par le bonhomme Grolleau.

    C'était après la Grande-Guerre. Les grands chefs, Charette et Stofflet, étaient tombés sous les balles républicaines. La Vendée militaire était comme expirante, baignée dans le sang de ses défenseurs ; mais elle n'avait cependant point encore capitulé. Des patrouilles parcouraient encore les fermes et les villages, pour perquisitionner et saisir les fusils qui avaient été cachés lors du désarmement général ; on craignait un réveil de la Grande Morte.  

    Un certain nombre d'entre les survivants des suprêmes luttes avaient en effet caché leurs armes de guerre, ou bien avaient livré à leur place de vieux fusils hors d'usage. Vous devez penser que le Père Grolleau devait être du nombre de ces irréductibles : il était, comme vous le dites si bien, payé pour cela.

    Le Père Grolleau n'avait donc point voulu se défaire de son cher fusil de guerre : ce fusil qu'il avait conquis sur les Bleus, à la première prise de Cholet, ce fusil qu'il avait porté à toutes les batailles, ce fusil, le compagnon fidèle de ses triomphes et de ses malheurs ; ce fusil surtout qui avait été l'instrument de ses trop légitimes vengeances, après le massacre de sa femme et de ses deux petits enfants ; ce fusil enfin avec lequel il avait gagné sa ceinture de cocardes tricolores. Car il faut vous dire que chaque fois qu'il tuait un Bleu, le Père Grolleau (du temps qu'il s'était fait chasseur d'hommes) courait vite ramasser la cocarde du mort et en parait sa ceinture. Son fils m'a raconté que cette ceinture, à la fin, était toute garnie de pareils trophées.

    Le terrible chasseur d'hommes, pourtant, n'avait pas cru devoir conserver ces cocardes, et, en 1796, époque de l'évènement que je vous raconte, il les avait brûlées. Mais quant au fusil, encore une fois, il n'avait pu se résoudre à s'en séparer, et il le gardait comme un précieux trésor. Il l'avait caché dans la paillasse d'un lit qui se trouvait dans une petite chambre de derrière, communiquant par une porte avec la chambre principale de la maison de la Soulicière, son village.

    Vers les derniers mois de l'année 1796 (il m'est impossible de préciser au juste l'époque), quatre soldats bleus vinrent à la Soulicière et demandèrent au Père Grolleau à faire des perquisitions dans les étables et dans les maisons. Tout en les regardant de travers comme vous devez le penser, Grolleau obéit pourtant et il les conduisit d'abord aux écuries, où ils fouillent partout, mais sans pouvoir trouver aucun objet compromettant. Ils reviennent alors à la maison.

    Après avoir fureté dans tous les coins de la pièce principale, derrière tous les meubles et même entre les soliveaux, ils se mirent en devoir de défaire les lits et de fouiller dans les paillasses. Naturellement, on ne trouva rien dans les lits qui occupaient cette première pièce. Mais, apercevant tout à coup la porte fermée de la petite chambre : "Ouvre cette porte, citoyen ! s'écria le chef de la patrouille. - Ah ! pour ça non, par exemple, répond Grolleau. Vous en avez fait assez de désordre comme ça dans ma maison, et vous devez voir qu'il ne s'y trouve point d'armes. Allez-vous en donc et laissez-moi en paix !"

    Tout en disant cela, et voyant que les soldats se précipitaient pour ouvrir la porte de force, il se jette au-devant et lui fait un rempart de son corps.

    Alors eut lieu une bousculade, une lutte terrible entre les quatre Bleus et le Vendéen. Le fils Grolleau, celui-là même qui m'a raconté le fait, était présent : il entendait les cris de colère, les menaces, les blasphèmes des Bleus, et il voyait son père, qui était d'une force prodigieuse, tenant d'une main la poignée de la porte et, de l'autre, repoussant les agresseurs et les faisant rouler au milieu de la place.

    L'un des Bleus s'empare alors de la pelle du foyer ; il en frappe le Vendéen à la tête et lui fait même sauter plusieurs dents. Grolleau a bientôt tout le visage en sang ; néanmoins il ne veut pas céder et tient vaillamment tête à ses quatre adversaires.

    En voyant son père dans cet état, le jeune Grolleau avait couru à la porte de la maison et s'était mis à pousser des cris déchirants et à appeler au secours. Or, au moment où le Vendéen allait succomber, n'en pouvant plus et à bout de forces, voici qu'arrive à l'improviste le grand domestique de la maison, celui-là même qui, deux ans auparavant, avait tué plusieurs Bleus sur les bords de l'Étang du Blanc et fait descendre plus vite que son train l'insolente sentinelle de la grosse tour de Mortagne. Il avait entendu les cris de détresse du petit René (c'était le prénom du bonhomme Grolleau que j'ai connu) et, soupçonnant un danger, il s'était empressé d'accourir.

    Plein de sang-froid, il voit tout de suite ce qu'il y a à faire : "Arrêtez ! s'écrie-t-il, arrêtez ! misérables ! ... vous êtes perdus, car voilà les hommes du Grand-Boucher (village voisin de celui de la Soulicière) qui arrivent derrière moi et qui vont vous mettre à la raison, tas de gueux que vous êtes !"

    A ces mots, proférés d'une voix de taureau, les Bleus s'arrêtent subitement, lâchent Grolleau, reprennent à la hâte leurs fusils et se sauvent épouvantés. C'est ainsi que le brave Vendéen put encore garder son fusil. Il venait d'échapper à une mort presque certaine, grâce à son énergie et à sa force, aux appels désespérés de son fils et aussi à la présence d'esprit de son fidèle valet.

    H.B. - La Vendée Historique – 1900

     

    Le Pré aux bleus

     

    Située tout près du village de la Tour, à une petite demi-lieue du bourg de la Verrie, la "Pierre qui branle" est, sans contredit, l'une des curiosités archéologiques du département de la Vendée. C'est un gros rocher plat, miraculeusement posé en équilibre sur la pointe d'un rocher à fleur de terre. Un enfant le met en branle, et bien des fois, m'a-t-on affirmé, les gens du village ont essayé de le renverser en le faisant tirer par leurs boeufs, sans avoir jamais pu y parvenir. Ce rocher branlant est creusé en forme de corps humain, et la tradition prétend que c'était là que les Druides du pays venaient sacrifier leurs victimes.

    De fait, l'endroit était admirablement choisi. La "Pierre qui branle" se trouve au sommet d'un côteau escarpé ; en face, à droite, à gauche, d'autres côteaux non moins escarpés, et coupés par des gorges sauvages, forment comme une succession de vastes amphithéâtres, où des milliers et des milliers de guerriers pouvaient assister au spectacle sanglant. Comme site, c'est tout simplement merveilleux, et les touristes et les peintres vont souvent bien loin chercher des points de vue qui n'approchent pas de celui-là.

    Tout petit enfant, je ne me lassais jamais d'admirer cet impressionnant paysage, et lorsque j'avais été bien sage - ce qui m'arrivait ... quelquefois - je demandais régulièrement comme récompense une promenade à la "Pierre qui branle". Ma bonne tante - une sainte femme qui m'avait élevé après avoir élevé mon père - s'empressait alors de prendre son tricot, et nous nous mettions en route. D'abord, nous allions que tous les deux, puis avec ma petite soeur cadette, puis, peu à peu, en compagnie de mes autres petits frères et soeurs, à mesure que chacun d'eux prenait des jambes.

    A vrai dire, ce n'était pas seulement la "Pierre qui branle", ou le merveilleux spectacle des côteaux environnants qui nous attirait, mais aussi la certitude que nous attraperions, chemin faisant, quelques-unes de ces tragiques "histoire de la Grande-Guerre" que notre bonne tante savait si bien conter !

    De beaucoup plus âgée que mon père, elle avait connu presque tous les survivants des luttes de 93 dans le pays ; elle leur avait entendu raconter à eux-mêmes leurs exploits, et comme sa mémoire était aussi sûre que sa parole, nous avions en elle un livre parlé et vivant, qui finit par s'imprimer peu à peu dans nos imaginations et ne s'en effacera jamais.

    A la "Pierre qui branle", et avec notre bonne tante pour guide, nous étions sûrs d'entendre raconter l'histoire de "la serpe de Guitton et du Pré aux Bleus".

    Le "Pré aux Bleus" est situé au bas du côteau de la "Pierre qui branle", entre le village de la Tour et celui du Puy-aux-Moines. Il doit son nom à une série de sanglantes représailles exercées, à l'époque des Colonnes infernales, par le fameux Guitton.

    Ce Guitton habitait le village de la Tour, et ses exploits et sa force herculéenne sont demeurés légendaires dans le pays. Il survécut longtemps à la Grande-Guerre. Son neveu, le vénérable Père Brosset (qui habite le même village et qui, en dépit de ses quatre-vingt-quatre ans bien sonnés, ne manque jamais la grand'messe ... et la chopine du dimanche !) se rappelle parfaitement l'avoir vu, plus d'une fois lorsque les boeufs de la Tour boudaient sur les côteaux de la "Pierre qui branle", délier les pauvres bêtes fatiguées et traîner lui-même sa charrette ! ...

    Lorsque fut décrétée la levée de trois cent mille hommes qui amena l'explosion de l'insurrection vendéenne, Guitton, jeune conscrit de vingt ans, fut au nombre de ceux qui se rendirent auprès de Sapinaud de la Verrie et forcèrent le vieux gentilhomme à se mettre à la tête des insurgés de la paroisse. Il fit toute la guerre à l'armée du Centre. Après la défaite de Savenay, il avait remis son fusil au clou pour reprendre la queue de la charrue. Ce furent les horreurs commises par les Colonnes infernales qui le ramenèrent, comme tant d'autres, dans les rangs de la révolte.

    Les bandes de Turreau vinrent plusieurs fois à la Verrie, et chacune de leurs expéditions y fut marquée par d'épouvantables massacres. Presque tous les membres de la famille Guitton avaient été victimes de l'une de ces expéditions sanglantes : les bourreaux n'avaient respecté ni les femmes, ni les petits enfants, et l'ancien volontaire de l'armée du Centre avait dû recourir à l'aide de ses voisins pour ensevelir les cadavres profanés de sa mère, de ses soeurs et d'infortunés petits neveux et nièces encore à la mamelle, éventrés et coupés en morceaux par les misérables bandits !

    De pareilles atrocités appelaient la vengeance, et Guitton résolut de se venger.

    Mère, soeurs et frères, belles-soeurs et beaux-frères, neveux et nièces : dix-sept des siens avaient été massacrés - "J'en tuerai dix-sept ! se dit Guitton, et après...   je   verrai !"

    Son premier mouvement avait été de sauter sur son fusil et de se joindre aux insurgés qui, révoltés par les horreurs des Colonnes infernales, s'empressaient d'aller se remettre sous les ordres de Sapinaud de la Rairie et de recommencer la guerre. Mais, à la réflexion, ce projet lui parut trop hasardeux : une balle républicaine pouvait l'atteindre au premier engagement, et il lui fallait son compte de dix-sept victimes ...

    Toute la journée, toute la nuit qui suivit le massacre, le Vendéen rumina un plan de vengeance. Le lendemain matin, à la pointe du jour, après avoir fait dévotement sa prière, il se mit à aiguiser sa serpe. Lorsque celle-ci fut affilée comme le tranchant d'un rasoir, il la suspendit à sa ceinture, en ayant soin de la dissimuler sous le tablier qui lui servait pour aller ramasser les choux, puis il mit un morceau de pain dans sa poche, prit son bonnet de laine et partit, en sabots et en costume de travail, comme s'il se fût agi d'aller aux champs. Guitton avait trouvé son plan ! ...

    Toute la journée, il rôda dans les environs, suivant lentement les chemins creux, de l'allure d'un homme qui va au travail ou qui en revient. De temps en temps, son front se plissait d'impatience, et on eût pu l'entendre alors murmurer ces simples mots : "Il faut pourtant bien que le bon Dieu m'en envoie un aujourd'hui !"

    Le soir, au milieu du chemin de la Roussière, il se trouva tout à coup en face d'un Bleu : c'était une estafette que le commandant de la colonne infernale envoyait à Mortagne, et qui s'était égarée.

    Guitton eut peine à dissimuler un sourire de satisfaction. D'un air humble et soumis, il offrit au Bleu de le remettre sur la route.

    En voyant cet homme en costume de travail et sans armes apparentes (j'ai dit que Guitton avait pris la précaution de dissimuler sa serpe sous son tablier), le soldat républicain ne conçut pas le moindre soupçon ; il crut qu'il avait affaire à un trembleur, peut-être à un "Pataud", et il accepta avec empressement l'offre qui lui était faite du ton le plus naturel du monde.

    Pour mieux inspirer confiance, Guitton se mit à marcher devant.

    Il amena ainsi son homme jusque dans le bas du côteau de la "Pierre qui branle". Là, arrivé devant un échalier qui séparait le chemin d'un autre pré, il s'arrêta : "Voilà la route, citoyen, dit-il ; au bout de ce pré tu trouveras un sentier qui conduit tout droit à la Sèvre, et de là à Mortagne". Puis il s'écarta pour laisser passer le Bleu.

    Toujours sans défiance, celui-ci enjamba l'échalier. Mais alors, prompt comme l'éclair, Guitton brandit sa serpe, et la tête du soldat républicain roula dans le pré, tandis que le corps du misérable restait à cheval sur l'échalier ! ...

    Tranquillement, Guitton essuya sa serpe, fit une coche sur le manche avec la pointe de son couteau et se dit à lui-même : "En voilà toujours un ! ... Il m'en faut encore seize !" - Puis il monta le côteau de la "Pierre qui branle" et rentra se coucher au village de la Tour.

    Le lendemain matin, il prit une pelle et une pioche, descendit au pré, creusa un trou et y enfouit le corps du Bleu.

    A partir de ce jour, et pendant plusieurs semaines, Guitton continua de la sorte à servir de guide aux Bleus égarés ... Les coches s'ajoutaient aux coches sur le manche de la serpe, et les fosses aux fosses dans le petit pré ! ...

    Un soir, en rentrant à la Tour, Guitton compta les coches : il y en avait dix-sept. "Maintenant que j'ai mon compte, se dit-il, allons retrouver M. de Sapinaud !" Et, dès le lendemain, il courut reprendre son rang dans l'armée du Centre.

    Et voilà pourquoi le petit pré qui se trouve au bas du côteau s'appelle le "Pré aux Bleus" !

    H.B. - La Vendée Historique – 1900

     

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

         Dolmen et statue de « la pierre qui branle ».

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

       Votre serviteur et la pierre en question, qui n’est pas  sans rappeler le « Rocher Branlant » à Largeasse dans les Deux-Sèvres.

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

       Le sinistre Pré aux bleus où reposent toujours les 17 républicains.

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

     

     

    L’homme sans tête du Pré aux bleus

     

     

    Tout le monde, à la Verrie, connaît l'histoire de la serpe du Père Guitton et du Pré aux Bleus. Mais beaucoup ignorent celle de l'Homme sans tête, bien qu'elle soit la suite et le complément de la première. Avant de la raconter, permettez-moi de vous présenter en quelques lignes un nouveau témoin.

    Ce témoin s'appelait l'abbé Guilloton. C'est lui qui m'a baptisé. j'avais seize ans lorsqu'il mourut, plus qu'octogénaire : je l'ai donc beaucoup connu. Né en 1788, c'est-à-dire cinq ans avant la Grande-Guerre, vicaire aux Herbiers en 1813 et curé de la Verrie en 1815, il administra cette dernière paroisse pendant cinquante-six ans. C'est à lui-même que j'ai entendu raconter cette seconde partie de mon histoire, et mon père, qui l'avait entendu raconter bien des fois avant moi, pourrait au besoin confirmer mon témoignage.

    Il pouvait y avoir trois ou quatre ans - un peu plus ? ... un peu moins ? ... je n'oserais trop préciser - que l'abbé Guilloton exerçait son ministère à la Verrie, lorsqu'il vit un jour arriver Guitton, l'air soucieux et embarrassé.

    - M'sieu l'tchuré, lui dit à brûle-pourpoint l'ancien combattant de la Grande-Guerre, y m'trouve bé-n-en peine ! ... N'y a pus qu'vous tchi séjez à la main de m'tchirer d'ombarras ! ... O bé dan y sé un homme perdu ! ...

    - Qu'as-tu donc, mon brave Guitton ? s'empressa de répondre le Curé, qui avait tout de suite pris avec ses paroissiens ce ton de familiarité, qui rendait autrefois les relations si cordiales entre le pasteur et son troupeau ... Qu'as-tu donc pour m'arriver avec une mine pareille ?

    - Ah ! M'sieu l' tchuré, v'là pus d'quat' semaines qu'y n'ai poué fermé l'eil ! ... Y a-t-in r'venant, ine homme sons téte tchi vint tot'lé nêts rabatter au pied d'man yit ! ... P'r sûr et certain qu'ol é tchiéquin daux Bieus qu'y ai tués dau tomps d'la Grond-Dgierre ! ...

    - Bah ! bah ! reprit le curé, les morts sont bien morts, va ! ... Et pourquoi ceux que tu as tués reviendraient-ils ainsi te tourmenter la nuit ... ? Les misérables avaient bien mérité la mort ... et ta conscience n'a rien à te reprocher, car tu n'as fait que ton devoir sur les champs de bataille ...

    Guitton hocha la tête :

    - Tchiélé-là qu'y ai tués quemme vous ô dîtes ne m'fant poué poû ! ... O dét être tchiés qu'y ai sarpés à l'échallé d'la Pierre tchi bronle ... Tchiou tchi r'vint é-t-ine homme sons téte !

    - Oui ; oui, répliqua le curé, qui avait entendu raconter par le héros lui-même l'histoire du "Pré aux Bleus", je sais ! ... C'était peut-être bien un peu ... roide ! ... Mais on avait massacré les tiens, et tu avais bien quelque excuse ! ... D'ailleurs, tu as dû t'en confesser depuis ... Je te le répète : ta conscience doit être à l'aise ... Crois-moi, ne te tourmente plus ! Chaque soir, avant de te coucher, récite un Pater et un Ave pour le repos de l'âme de ceux que tu as serpés, et tu peux être sûr qu'ils te laisseront dormir en paix ! Si, malgré tout, l'homme sans tête revient encore, retourne me trouver dimanche, et je verrai ce que j'aurai à faire ...

    Guitton s'en alla en hochant la tête, et l'air nullement convaincu, malgré toute la confiance qu'il avait en son curé.

    Le dimanche suivant, en rentrant de la première messe, l'abbé Guilloton trouva notre homme qui l'attendait à la cure, l'air tout aussi soucieux que la première fois.

    - M'sieu l't churé, lui dit Guitton, l'homme sons téte ... y r'vint pus qu'jamais !

    - Ah-tu récité, chaque soir, la prière que je t'avais indiqué ?

    - Oui ! ... Mé rin n'y fait ! ... Y sé ine homme homme foutu !

    Le curé réfléchit un instant ; puis, s'adressant au pauvre diable et le regardant bien en face :

    - Voyons, lui dit-il, tu as tué des Bleus ... Dix, vingt, trente ..., peu importe ! ... Encore une fois, tu n'as fait que ton devoir ... Ou, du moins, tu es parfaitement excusable ... Mais réponds-moi franchement : n'as-tu bien fait que les tuer ? ... Est-ce que, par hasard, tu ne les aurais pas volés ... ?

    - M'sieu l' tchuré, v'là la chose tot quemme ça-t-arrivé. Lé seize premés qu'y ai sarpés, y les ai mis dans l'trou sons rin lû faire d'vontage ... O n'a que l'dernier ... Ol était in ptchit jéne, ine manière d'officier bé-n-habillé ... V'là qu'au moument qu'y allâs l'abrier avec ma palle, o m'a passé p'r argarder so sé hardes, et y ap'rçus in porte-feille avec daux papiers d'tot' manières, et pis aussi ...

    - Et puis quoi ... ? De l'argent ?

    - Oui

    - Combien ?

    - Cinquonte étchus !

    - Et qu'as-tu fait de ces cinquante écus ?

    - Dame ! ... m'sieu l'tchuré, y m' sé dit d'même que lé Bieux m'aviant volé mé boeufs ... qu'ol était bé l'moins qu'y m'rattrapis-je in ptchit ...

    - Tu as gardé l'argent ?

    - Dame ... oui !

    - Tu as mal fait ! ... Cet argent ne t'appartenait pas !

    - Y m-ô-z-ai dit bé daux foués ! ... Ol é p'têt' bé-n-o caôse de tchieu qu'l'homme sons tété y r'vint m'rabatter dempis tchiéque temps ... ?

    - Assurément !

    - Eh bé ! pisqu'ol é d'même, disez-m' dan c'qu'o faut qu'y fais-je ?

    - As-tu conservé les papiers trouvés dans le porte-feuille ?

    - Oui, et pis l'porte-feille aussi.

    - Va me les chercher tout de suite et apporte-les moi, en même temps que les cinquante écus ! ...

    Moins d'une heure après - juste le temps d'aller au village et d'en revenir - Guitton était de retour à la cure, avec le portefeuille et les cinquante étchus.

    L'abbé Guilloton ouvrit le porte-feuille et y trouva des papiers qui faisaient connaître la famille de la dernière victime du serpeur.

    - Donne-moi l'argent ! dit-il alors à celui-ci.

    Guitton obéit.

    - Et maintenant, reprit le curé, sois tranquille et dors sur les deux oreilles ! ... Je me charge de faire passer la somme aux héritiers de l'Homme sans tête, et celui-ci ne reviendra plus te tourmenter !

    L'Homme sans tête devait pourtant revenir encore ! ... Huit jours ne s'étaient pas écoulés, que Guitton reprenait le chemin du presbytère pour confier au curé que le revenant continuait toujours à faire des siennes ! ...

    Mais l'abbé Guilloton, qui savait désormais à quoi s'en tenir, arrêta son paroissien dès les premiers mots :

    - Guitton, s'écria-t-il en lui coupant la parole, tu as gardé de l'argent !

    - Ol é vrai, m'sieu l'tchuré ... cinquante étchus ! ... Mais t'nez ... les v'là ! ... Débarrassez-m'z'en bé vite, p'r qu'l'Homme sons tété y m'laisse d'mési trontchille ! ...

    Cette fois ce fut bien fini, et, depuis ce jour-là, jamais plus l'Homme sans tête ne vint tourmenter le serpeur du "Pré aux Bleus" ! ...

     

    Guitton était donc un voleur, diront peut-être quelques puristes ?

    Est-ce bien sûr ?

    Pour ma part, en bonne conscience, je n'oserais trop le soutenir, et je crois bien qu'à sa place, sur dix individus pris au hasard, neuf eussent dormi sur les deux oreilles, avec les cent écus du massacreur des colonnes infernales au fond de leur bourse ... car, comme dit la chanson, y avait compensation ! ... De même que c'était pour venger sa mère, ses soeurs, ses neveux et ses nièces, qu'il avait successivement serpé dix-sept bandits à l'échalier du "Pré aux Bleus", c'était pour se payer de ses boeufs qu'il avait gardé les cent écus trouvés sur l'un des assassins ... - Etait-il donc si coupable ... ?

    H.B.

    La Vendée Historique – 1900

     

    Le drame de la Croix de l’Emonière

    Parmi les nombreuses croix qui bordent la grande route de Mortagne aux Herbiers, et qu'on rencontre presque à chaque embranchement de nos petits chemins ruraux, il n'en est peut-être pas une seule à laquelle ne se rattache un souvenir du temps de la Grande-Guerre. Telle est, par exemple, la "Croix de l'Émonnière", située sur le territoire et à une demi-lieue du bourg de la Verrie. Je ne passe jamais devant cette Croix sans me rappeler que ce fut là que je tuai mon premier lièvre, et comment ce coup de fusil me valut le récit du dramatique épisode que je vais raconter.

    Mon exploit de chasseur débutant avait eu un témoin, et, au moment où je venais de ramasser mon premier lièvre, j'entendis derrière moi une voix qui disait : "Voilà un beau coup de fusil !"

    Déjà fier de ma prouesse, je me sentis chatouiller à l'endroit où chacun de nous - et un chasseur encore plus que tout autre ! - tient en réserve sa petite fibre d'amour-propre ... Je me retournai vivement, et me trouvai en présence du Père Sorin.

    Le Père Sorin, cultivateur aisé, habitait le village voisin de la Terrière. C'était un vieux Vendéen dans toute l'acceptation du mot : pieux, généreux, affable et entouré de l'estime de tous. Adjoint de la commune, il fut pendant de longues années le collaborateur dévoué de mon père. Il est mort depuis, après avoir poussé jusqu'aux extrêmes limites de cette belle et verte vieillesse qui est généralement la récompense des gens vertueux.

    Doublement enchanté de trouver là ce brave homme, d'abord parce que je l'aimais beaucoup, ensuite parce que je n'étais pas fâché qu'il eût été témoin de mon exploit cynégétique, je lui serrai cordialement la main et lui donnai mon lièvre à peser.

    - Sept livres, pour le moins, Monsieur Henri ! me dit-il. Dame ! oui ! c'est un beau coup de fusil ! ça me rappelle un de mon défunt père, juste au même endroit ... du temps de la Grande-Guerre.

    Je devinai tout de suite une de ces histoires de Bleus comme j'aimais tant à en entendre raconter lorsque j'étais enfant, et je ne voulus pas laisser échapper celle-là :

    - Il faut que vous me contiez ça, Père Sorin ?

    - Je ne demande pas mieux, mais à condition que vous allez venir trinquer un coup avec moi à la Terrière ?

    J'avais chaud, et l'invitation n'était pas de refus, comme on dit chez nous. J'acceptai donc avec empressement un marché doublement avantageux, et voici, chemin faisant, ce que me raconta le Père Sorin :

    C'était à l'époque où les Colonnes infernales firent leur apparition dans le pays. Personne ne bougeait plus depuis la bataille de Savenay, l'armée de M. de Sapinaud n'était pas encore reconstituée, et chacun se tenait tranquille chez soi, en attendant des jours meilleurs.

    Un soir, comme les hommes revenaient des champs et rentraient au village à l'heure de la soupe, ils entendirent des plaintes en approchant des toiteries. Ils hâtèrent le pas et se trouvèrent en présence d'un horrible spectacle ... Les femmes et les enfants, laissés seuls à la maison, étaient étendus par terre, massacrés et hachés en morceaux ! ... Deux des petits enfants étaient cloués à la porte de la grange ... et les ruages étaient inondés de sang ! ... L'une des victimes respirait encore, et c'était ses plaintes que les hommes avaient entendues en approchant du village ! ...  

    Une bande de Bleus était passée par là ! ... Ne trouvant que des êtres sans défense, les scélérats avaient massacré tout à leur aise, et comme ils avaient eu soin de ne point tirer de coups de fusil, mais de se servir uniquement de leurs sabres et de leurs baïonnettes, afin de ne pas donner l'éveil aux hommes du village, ceux-ci, occupés à travailler à une assez grande distance, n'avaient rien entendu.

    A l'aspect de ces cadavres de femmes massacrées et violées et de petits enfants coupés en morceaux et crucifiés, les hommes de la Terrière jurèrent de se venger. De concert avec leurs voisins de l'Émonnière et de l'Audairie, où les mêmes atrocités avaient été commises, ils résolurent de se relayer désormais en embuscade à la Croix de l'Émonnière, pour y surprendre les estafettes républicaines qui passaient et repassaient presque chaque jour sur la route. Dès le lendemain soir, ils eurent l'occasion de commencer à exercer leurs vengeances.

    Mon père, mon grand-père et un de mes oncles s'étaient mis en embuscade derrière le fossé sur lequel se trouvait l'ancienne Croix de l'Émonnière. Trois des gens de l'Émonnière s'étaient postés de l'autre côté de la route, et tous les six avaient fait le serment d'exterminer sans pitié tout Bleu isolé qui leur tomberait sous la main.

    Il y avait à peu près deux heures qu'ils étaient à leur poste, et la nuit commençait à tomber, lorsqu'ils aperçurent un hussard à cheval qui montait la côte et se dirigeait vers les Herbiers. Ils le laissèrent approcher jusqu'en face de l'embuscade. Alors, sur un signal convenu de mon grand-père, six coups de feu retentirent : le cheval, blessé à mort, roula à terre, et, en un clin d'oeil, le cavalier démonté fut saisi, garrotté et amené au pied de la Croix.

    C'était un courrier de la colonne de Mortagne, porteur d'un ordre adressé au détachement qui était passé à la Terrière.

    Quand le Bleu se vit ainsi sans défense, il se jeta à genoux et demanda grâce, en jurant ses grands dieux qu'il était soldat par force, et qu'il n'y avait point de sa faute s'il était obligé de faire comme les autres ...

    - Tais-toi ! lui dit mon grand-père, qui était le chef de l'embuscade. Un soldat n'a point à obéir lorsqu'on lui commande de massacrer les femmes et de couper en morceaux les petits enfants ! ... Tout ce que tu pourrais nous dire est parfaitement inutile, et tu vas mourir, car tu es condamné à l'avance comme tous ceux des tiens qui tomberont désormais entre nos mains ! Mais comme nous sommes de bons chrétiens, et que nous ne demandons pas mieux que de t'éviter l'Enfer où tu mériterais d'aller tout droit, nous t'accordons cinq minutes pour te préparer à la mort ! ... Fais donc ton acte de contrition, et demande pardon à Dieu de tous les crimes que tu as commis ! ...

    Le Bleu vit bien qu'il n'avait aucune grâce à espérer. Mais alors, cherchant à gagner du temps, il réclama humblement les secours de la religion : "Menez-moi au moins devant un prêtre, s'écria-t-il, afin que je puisse me confesser !"

    La demande du misérable paraissait être sincère, et mon grand-père et ses compagnons étaient trop bons chrétiens pour la rejeter. Un prêtre était justement caché non loin de là, au village de la Telle : un des hommes de l'embuscade alla le chercher, et le Bleu obtint ainsi quelques instants de répit.

    Lorsque le prêtre fut arrivé, le hussard essaya de l'attendrir ; il se traîna à ses pieds et le supplia d'intercéder pour lui. Il fit tant et si bien que l'ecclésiastique finit par se laisser toucher et par demander grâce, en invoquant l'exemple de Jésus-Christ qui avait pardonné à ses bourreaux.

    - Jésus-Christ a pardonné à ses bourreaux et vous êtes ici pour pardonner à celui-là en lui donnant l'absolution, déclara mon grand-père en enlevant respectueusement son bonnet : nous ne vous avons pas fait venir pour autre chose. Mais le Dieu qui pardonne ne pardonne que moyennant expiation. Votre mission est de pardonner : remplissez-la. La nôtre est de faire expier : nous devons l'accomplir. Cet homme a mérité la mort par ses crimes ; confessez-le ... Nous nous chargeons de nous arranger avec le bon Dieu pour le reste ! ...

    Le prêtre eut beau insister, mon grand-père fut inflexible :

    - Il y a dans les environs, dit-il, d'autres femmes et d'autres petits enfants que les nôtres : nous ne voulons pas que ce misérable puisse aller recommencer ailleurs les massacres d'hier !

    L'argument était sans réplique : le prêtre comprit qu'il serait inutile d'insister davantage, et il engagea le Bleu à se préparer à la mort.

    Lorsque ce dernier comprit qu'il n'y avait plus d'espoir, il éclata tout d'abord en imprécations ; puis, cédant aux sollicitations de l'homme de Dieu, il finit par se confesser. Le prêtre lui donna l'absolution, et, deux minutes après, le hussard recevait six balles dans le corps ! ...

    Lorsque le Père Sorin, dont je me suis borné à reproduire presque textuellement le récit, eut achevé de me raconter cette dramatique histoire, je me rappelle qu'il ajouta ces simples mots : "C'était peut-être un peu dur ... ? Mais n'est-ce pas que c'était tout de même bien fait ?"

    C'est absolument mon avis. J'avouerai même qu'à la place des pieux paysans de la Terrière et de l'Émonnière, je n'aurais probablement pas poussé la charité chrétienne aussi loin qu'eux, car si j'avais tenu un soldat des Colonnes infernales au bout de mon fusil, après avoir vu massacrer ma femme et embrocher ma fille, je doute fort qu'il me fût venu à l'idée de lui faire réciter son acte de contrition avant de me faire justice !

    Que les "sensiblards" jacobins crient à la cruauté tant qu'ils voudront ! ... Pour moi, je le trouve tout simplement admirable, l'acte de ces Vendéens qui se contentaient de fusiller, après leur avoir donné le temps de se repentir, les bourreaux qui éventraient et violaient les femmes et embrochaient au bout de leurs baïonnettes les petits enfants.

    L'exécution du hussard républicain m'avait fait oublier celle de mon lièvre, et, la nuit suivante, je rêvai que j'étais posté à la Croix de l'Émonnière, canardant les Colonnes infernales et faisant une hécatombe de Bleus ! ...

    H.B. - La Vendée Historique – 1900

     

    Petite mise à jour de cet article avec La Croix de l’Emonière, dont l'emplacement m'a été signalé par un commentateur de ce blog. On se doute qu'il y a 220 ans, le paysage n'était pas pollué par de vilains panneaux publicitaires crasseux :

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

      

          Découverte non prévue au programme : trois chatons affamés, dans un tas de d'herbe coupée, au bout de la route, tout près de la croix. Espérons que la maman n'était pas trop loin pour revenir s'occuper d'eux.

     

    Vieilles histoires à la Verrie....

     

     

     

     

     

     


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  • Rapport de Barrère du 1er octobre 1793…

     

    CONVENTION NATIONALE

     

    RAPPORT SUR LA VENDEE

    AU NOM DU COMITE DE SALUT PUBLIC

    PAR BARRERE

     

    Dans la séance du premier octobre 1793

     

    Imprimé par ordre de la Convention Nationale

     

     

    CITOYENS,

     

    L'inexplicable Vendée existe encore, & les efforts des républicains ont été jusqu'à présent impuissans contre les brigandages & les complots des royalistes qu'elle recèle.

     

    La Vendée, ce creuset où s'épure la population nationale, devroit être anéantie depuis long-temps ; & elle menace encore de devenir un volcan dangereux. Vingt fois, depuis l'existence de ce noyau de contre-révolution, les représentans, les généraux, & le comité lui-même, d'après les nouvelles officielles qu'il recevoit, vous ont annoncé la destruction prochaine de ces fanatiques. De petits succès de la part de nos généraux étoient suivi de grandes défaites ; trois fois victorieux dans de petits postes, chacun d'eux a été vaincu dans une forte attaque.

     

    Les brigands de la Vendée n'avoient ni poudres, ni canons, ni armes ; d'un côté l'Anglais par ses communications maritimes, de l'autre nos troupes, tantôt par des défaites, tantôt par leur fuite, tantôt par des évènemens, qui ressemblent à des intelligences concertées entre quelques-unes de nos troupes, quelques charretiers d'artillerie & les Vendéistes, leur ont fourni de l'artillerie, des munitions & des fusils.

     

    L'armée que le fanatisme a nommée catholique royale paroît un jour n'être que peu considérable, elle paroît formidable le lendemain ; est-elle battue, elle devient comme invisible, a-t-elle des succès, elle est énorme. La terreur panique & la trop grande confiance ont tour à tour dénombré avec une égale exagération nos ennemis. C'est une force de prodige pour des imbécilles ou des lâches. C'est un rassemblement très-fort, mais non pas invincible pour des militaires, c'est une chasse de brigands & non une guerre civile pour des administrateurs politiques.

     

    Cette armée catholique royale qu'on a portée long-temps à 15, à 25, à 30 mille, est aujourd'hui, par le rapport des représentans du peuple près les côtes de Brest, d'environ cent mille brigands : on croyoit qu'il n'existoit qu'une armée, qu'un rassemblement ; aujourd'hui l'on compte trois armées, trois rassemblemens. Les brigands depuis l'âge de 10 ans jusqu'à 66, sont en réquisition par la proclamation des chefs. Les femmes sont en vedette, la population entière du pays révolté est en rébellion & en armées ; nous aurions une juste idée de la consistance de cette armée de révoltés en énumérant les différents districts qu'elle occupe, à quelques réfugiés près.

     

    On croyoit pouvoir les détruire le quinze septembre ; le tocsin avoit réuni vers le même but un nombre étonnant de citoyens de tout âge. Le pays s'étoit mis tout entier en réquisition avec ses piques, ses faulx, ses instrumens même du labourage & avec des subsistances pour quelques jours seulement. Des contingens prodigieux par leur nombre autant que par la difficulté de les nourrir, de les armer, de les approvisionner, des contingens nombreux, levés presqu'à la fois depuis Angers jusqu'à Tours, & depuis Poitiers jusqu'à Nantes, sembloient annoncer que la justice nationale alloit enfin effacer le nom de la Vendée du tableau des départemens de la République. Les contingens bivouaquoient, les uns gardoient le côté droit de la Loire, les autres devoient appuyer les colonnes de nos troupes.

     

    Jamais depuis la folie des croisades on n'avoit vu se réunir spontanément autant d'hommes qu'il y en eut tout-à-coup sous les drapeaux de la liberté pour éteindre à la fois le trop long incendie de la Vendée.

     

    Mais soit par défaut de principes & d'ensemble dans l'exécution des mesures & du plan de campagne, soit par toute autre cause que nous rechercherons plus sévèrement quand nous pourrons rapprocher tous les faits jusqu'à présent obscurs, compliqués, désavoués ou contradictoires, la vérité est que les citoyens des contingens ont été ralentis, découragés par le non-emploi ; que les contingens se sont fortement nui eux-mêmes par leur masse, se sont nui par le manque de subsistances ou par leur mauvaise & inégale distribution.

     

    On n'a pas su, on n'a pas pu en tirer le parti convenable pour frapper un grand coup & faire une guerre d'irruption, au-lieu d'une attaque de tactique.

     

    La terreur panique qui a toujours perdu & vaincu sans retour les grandes masses, la terreur panique a tout frappé, tout effrayé, tout dissipé comme une vapeur ; la journée du 18 a été désastreuse.

     

    Un plan de campagne avoit été conçu & long-temps discuté, & le partage d'opinions survenu dans le conseil de guerre au commencement de septembre, avoit été vuidé par l'approbation du comité, qui avoit pensé, après une longue discussion, que le principal moyen étoit de garantir les bords de la mer & d'empêcher toute communication des rebelles avec les Anglais.

     

    Le comité étoit fondé dans cette opinion principale, sur ce qu'il falloit garantir d'abord Nantes des brigands qui s'y portoient sans cesse, ensuite la ville de Nantes contre Nantes elle-même, c'est à dire contre l'avarice de quelques commerçans, l'aristocratie de quelques autres & la malveillance de quelques fonctionnaires publics ; le comité avoit appris par le représentant du peuple Goupilleau, que le 15 août, pendant la nuit & les trois journées suivantes, une partie de l'armée de la République avoit entendu les signaux en mer, les coups de canon répétés à onze heures, à une heure & et à trois heures, & de même pendant la nuit.

     

    Le comité avoit appris depuis cette époque que les représentans du peuple à Nantes avoient les preuves de la communication des rebelles avec les Anglais, & que plusieurs fois les fanatiques de la Vendée s'étoient plaints au commencement du mois d'août de ce que les anglais ne leur envoyoient pas les six mille hommes qu'ils leur avoient promis.

     

    Il résulte d'un rapport communiqué par le ministre de la marine & fait par un chirurgien nommé Jean-Baptiste Sanat, venant d'Angleterre où il a été amené prisonnier en revenant de Cayenne sur le navire Le Curieux de Rochefort, il en résulte qu'on connoît à Portsmouth dans l'intervalle de 24 heures tout ce qui se passe à Nantes & dans la Vendée, & qu'on recevoit des nouvelles & de l'argent pour les émigrés par le moyen de batteaux pêcheurs Français qui vont débarquer à Jersey & au Gernesey.

     

    Le comité étoit appuyé sur la considération majeure des manoeuvres pratiquées dans le port de Brest, & de l'appui de fédéralisme répandu dans les départemens de la ci-devans Bretagne. Il a donc fallu porter toute son attention vers Nantes, il a fallu renforcer cette portion de l'armée des côtes de Brest, qui devoit garantir la partie si intéressante de l'Ouest et chasser avec une armée agissante, les brigands qui attaquoient sans cesse la ville de Nantes.

     

    Quarante mille citoyens ont fui devant cinq mille brigands, & la Vendée s'est grossie de cet incroyable succès. La mort de plusieurs pères de famille a jetté la stupeur dans les contingens ; & le général Rossignol écrivoit le 22 septembre au général Canclaux : "les contingens n'existent plus, on n'a pas su en tirer parti, ils sont plus nuisible qu'utiles dans le moment. On se tient sur la défensive à Saumur & au Pont de Cé. On ne peut faire aucun mouvement.

     

    Quant au côté d'Ancenis, les tocsins auroient appelé des auxiliaires de la Vendée & non pas des défenseurs de la liberté ; le représentant Méolle s'est vu forcé d'y contenir les amis secrets des rebelles Vendéistes, & de faire brûler publiquement des drapeaux blancs.

     

    C'est d'après ces notions essentielles & ces motifs puissans, que l'on a vu l'armée sortant de Mayence se porter vers Nantes, pour attaquer vivement, quoiqu'un peu plus tard, les rebelles de Mortagne & de Chollet. Les troupes de cette garnison ont été, puisqu'il faut le dire, la pomme de discorde des deux divisions militaires des côtes de Brest & des côtes de la Rochelle. Chaque général vouloit commander à ces troupes disciplinées sortant de Mayence. Chacun pensoit être victorieux avec ces 16 mille hommes joints aux forces qu'ils commandoient auparavant ; on se divisoit sur ce point, & la République seule en a souffert.

     

    Au moment où le conseil de guerre tenu à Saumur, le 2 septembre, sur les moyens d'employer la force venue de Mayence, tous les représentans reconnurent que les rebelles étoient aux portes de Nantes, & que là étoient les grands dangers, si les rebelles avoient pu prendre les Sables & s'approcher des départemens maritimes voisins, dont l'esprit n'est pas bon pour la République.

     

    Après être partis de Saumur, les représantans arrivent au moment où les rebelles attaquoient Nantes, pour la quatrième fois depuis la fin d'août : ils avoient été repoussés déjà avant l'arrivée des forces de Mayence.

    Les dispositions étoient faites : la division commandée par Beysser, du côté de Machecoul & de Montaigu, vers la rive gauche de la Loire, après avoir balayé la patrie qui lui étoit désignée, devoit se réunir aux troupes venues de Mayence dans le bourg de Torfou. Les chemins mauvais, les abattis & peut-être des trahisons ont empêché l'exécution de cette mesure.

     

    D'ailleurs, comme la vérité est le premier tribut que le comité doit à la confiance dont la Convention l'a investi, il faut dire qu'une partie de nos troupes n'a pas conservé dans sa marche les moeurs que doivent avoir les armées de la République. On a pillé à Torfou, en reconnoissant ce poste ; & pendant le pillage, les soldats ont été cernés & très-fortement maltraités par les brigands.

     

    Le bataillon de la Nièvre, qui étoit à son poste, & qui gardoit les canons, a été investi par les brigands. Il a été étonné du nombre & de l'impétuosité des assaillans ; il a plié & les canons ont été pris. Vous avez déjà appris les détails de cette journée, dont le revers a été réparé dans la même journée par les mêmes troupes en avant de Clisson, lorsque le corps d'armée a repoussé l'ennemi.

     

    Ici se présente la journée des rebelles, celle dont les succès ont étonné un instant nos troupes. C'est la journée du 19 septembre dont je veux parler.

     

    Ce jour-là, les troupes de Mayence se battoient à Torfou avec grand échec.

     

    Ce jour-là, les troupes de Mayence se battoient à Paloi, aux portes de Nantes, avec grand succès.

     

    Ce même jour, les troupes, aux ordres de Rossignol, étoient repoussées de Vihier par les brigands ; & quoique la division de Santerre fût forte de nombreuses réquisitions, elle étoit entièrement battue à Coron, où elle a perdu son artillerie ; des pères de famille ont demeuré sur le champ de bataille, & la terreur a frappé les contingens.

     

    Que produisit cette triste journée, outre les malheurs qu'elle éclaira ? elle produisit des plaintes, des soupçons entre les chefs. Ils écrivoient de Saumur, pour se plaindre de ce que les brigands étoient renvoyés vers cette partie, tandis que les troupes de Mayence étoient occupées à se battre aussi, ainsi que la division de Beysser contre d'autres rassemblemens de brigands, à la fois à Torfou, à Mortagne & à Montaigu. La défaite de Saumur n'a pas été un contre-coup, mais une défaite.

     

    C'est à Montaigu que Beysser étoit battu, & qu'il lui devenoit impossible de faire la jonction avec les troupes de Mayence à Boussay, où il étoit attendu. La déroute de Beysser avoit aussi des suites fâcheuses, car elle a produit l'échec de la division de Mikousky, qui étoit au moment d'opérer sa jonction à Saint-Fulgent, avec la colonne commandée par Beysser.

     

    Les plaintes du côté de Saumur ont dû cesser alors que les représentans du peuple écrivent de Clisson, le 22 septembre, qu'il existe une armée plus nombreuse qu'on ne l'avait pensé, une armée de 100 000 brigands, dont 50 mille bien armés.

    Le 24, les représentans du peuple à Saumur leur répondent, que les divisions d'Angers & de Saumur ne peuvent que se tenir sur la défensive ; alors les représentans du peuple près les troupes de Mayence se sont occupés de rétablir les communications avec Nantes ; ainsi, tout n'a pas été en pure perte pour la République. Les troupes de Mayence ont préservé Nantes, contre les brigands, Nantes contre Nantes, elles ont préservé surtout les départemens de la ci-devant Bretagne.

     

    Tels sont les résultats sommaires de la correspondance reçue par le comité sur les évènements militaires de toutes ces journées ; tels sont les résultats que le comité a obtenus des conférences qu'il a eues samedi avec le général Ronsin, & dimanche avec Reubel & Tureau, représentans du peuple, arrivés de la Vendée dans la nuit.

     

    Le tableau des malheures de la patrie qui réjouit l'aristocrate, qui conente le modéré, n'est qu'une leçon pour l'administrateur public & un motif de courage pour le républicain.

     

    Pour prendre dans l'affaire de la Vendée l'attitude qui convient à la Convention nationale, elle doit d'abord jeter un coup d'oeil rapide sur les progrès & ensuite sur le dernier état.

     

    Voici un rapide aperçu :

     

    Conspiration commencée par la Rouerie, & qui se rattache à des complots plus profonds & que le temps ne couvrira pas toujours de ses ombres ; conspiration mal déjouée, mal suivie par le conseil exécutif d'alors. Il falloit brûler la première ville, le premier bourg, le premier village qui avoit fomenté la révolte. Une ville en cendre vaut mieux qu'une Vendée qui absorbe les armées, les cultivateurs, la fortune publique & qui détruit plusieurs départemens à-la-fois.

     

    La Vendée a fait des progrès par les conspirateurs qui l'ont commencée, par les nobles qui les ont aidés, par les prêtres réfractaires qui s'y sont mêlés, par le fanatisme des campagnes, la tiédeur des administrations la trahison des administrateurs, par les étrangers qui ont porté de l'or, des poudres, des armes & des scélérats, par les émigrés qu'on y a vomis, par les parens de Pitt & de Gréenville, qui en calculoient, qui en achetoient les progrès effrayans.

     

    La Vendée a fait d'autres progrès, par l'insuffisance des troupes envoyées, par le choix des généraux traîtres ou ignorans, par la lâcheté de quelques bataillons composés d'étrangers, de Napolitains, d'Allemands & de Genois ramassée dans les rues de Paris par l'aristocratie qui nous a fait ce présent avec quelques assignats. Il y avoit même, dans les bataillons, des émigrés que le glaive de la loi a punis à Tours.

     

    La Vendée a fait de nouveaux progrès, par l'envoi trop fréquent & trop nombreux de commissaires de la Convention, par l'armée trop nombreuse de commissaires du Conseil exécutif.

     

    La Vendée a fait de nouveau progrès par l'insatiable avarice des aministrations de nos armées, qui agiotent la guerre, qui spéculent sur les  batailles perdues, qui établissent leurs profits sur les malheurs de la patrie, qui grossissent leurs trésors de la durée de la guerre, qui contrarient les dispositions militaires pour en prolonger les bénéfices & qui s'enrichissent sur des tas de morts.

     

    La Vendée a fait de nouveaux progrès, par l'intelligence qui doit exister entre nos ennemis, entre nos départemens rebelles, entre les Anglais, entre l'aristocratie & les complots obscurs de Paris, & ceux qui agissent dans nos armées.

     

    La Vendée a fait les derniers progrès, par la marche inégale de nos armées combinées, par l'esprit stationnaire de l'armée de Saumur, quand celle de Nantes avoit une activité victorieuse ; par la non-organisation de l'armée de Niort & l'inactivité que lui avoit communiquée son premier général.

     

    Comment nos ennemis n'auroient-ils pas porté tous leurs efforts sur la Vendée ; c'est le coeur de la République, c'est là que s'est réfugié le fanatisme, & que les prêtres ont élevé ses autels ; c'est là que les émigrés, les cordons rouges, les cordons bleus & les crois de St-Louis, de concert avec les puissances coalisées, ont rassemblé les débris d'un trône conspirateur ; c'est à la Vendée que correspondent les aristocrates, les fédéralistes, les départementaires, les sectionnaires ; c'est à la Vendée que se reportent les voeux coupables de Marseille, la vénalité honteuse de Toulon, les cris rebelles des Lyonnais, les mouvemens de l'Ardêche, les troubles de la Lozère, les conspirations de l'Eure & du Calvados, les espérances de la Sarthe & de la Mayenne, le mauvais esprit d'Angers, & les sourdes agitations de quelques départemens de l'ancienne Bretagne.

     

    C'est donc à la Vendée que nos ennemis doivent porter leurs coups ; c'est donc à la Vendée que vous devez porter toute votre attention, toutes vos sollicitudes ; c'est à la Vendée que vous devez déployer toute l'impétuosité nationale & réunir tout ce que la République a de puissance & de ressources.

     

    Détruisez la Vendée, Valenciennes & Condé ne seront plus au pouvoir de l'Autrichien.

     

    Détruisez la Vendée, l'Anglais ne s'occupera plus de Dunkerque

     

    Détruisez la Vendée, le Rhin sera délivré des Prussiens.

     

    Détruisez la Vendée, & l'Espagne se verra harcelée, conquise par les méridionaux joints aux soldats victorieux de Mortagne & de Cholet.

     

    Détruisez la Vendée, & une partie de cette armée de l'intérieur va renforcer cette courageuse armée du Nord si souvent trahie, si souvent désorganisée.

     

    Détruisez la Vendée ; Lyon ne résistera plus, Toulon insurgera contre les Espagnols & les Anglais, & l'esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la révolution républicaine.

     

    Enfin, chaque coup que vous porterez à la Vendée, retentira dans les villes rebelles, dans les départemens fédéralistes, dans les frontières envahies. La Vendée, & encore la Vendée ! voilà le chancre politique qui dévore le coeur de la République française ; c'est là qu'il faut frapper.

     

    C'est là qu'il faut frapper d'ici au 20 octobre, avant l'hiver, avant l'impraticabilité des routes, avant que les brigands trouvent l'impunité dans le climat & dans la saison.

     

    D'un coup d'oeil vaste, rapide, le comité a vu dans ce peu de paroles tous les vices de la Vendée.

     

    Trop de représentans.

    Trop de généraux.

    Trop de division morale.

    Trop de divisions militaires.

    Trop d'indiscipline dans les succès.

    Trop de faux rapports dans les récits des évènemens.

    Trop d'avidité, trop d'amour de l'argent & de la durée de la guerre dans une grande partie des chefs et des administrateurs.

     

    Voilà les maux, voici les remèdes.

     

    Première mesure. A trop de représentans substituer un petit nombre, en exécutant rigoureusement le décret politique & salutaire qui défend d'envoyer des représentans dans leurs propres pays, dans leurs départemens.

     

    Renouveller ainsi l'esprit de la représentation nationale près les armées, c'est l'empêcher de s'altérer, & perdre cette énergie, cette dignité républicaine qui fait sa force", c'est rompre des habitudes toujours funestes, c'est éloigner des ménagemens industrieux, presqu'inséparables des affections.

     

    Ainsi, quatre représentans suffiront dans l'armée agissante contre la Vendée, pour embrasser toute la surveillance des opérations. Il n'y a rien d'injurieux, rien de douteux dans cette nouvelle nomination de représentans. Le comité connoît trop les travaux immenses qu'ont fait à Nantes, à Saumur, à Tours & à Angers les représentans qui y sont dans ce moment, pour établir ce genre d'ingratitude, à la place des marques de satisfaction qu'ils méritent ; mais les nouvelles combinaisons prises par le conseil exécutif provisoire & par le comité pour une armée unique contre la Vendée, n'exigeront plus que quatre représentans.

     

    Seconde mesure.

     

    A trop de généraux succèdera un seul général en chef d'une armée unique, c'est là le moyen de donner de l'ensemble aux divisions militaires, de l'union aux moyens d'exécution de l'armée, de l'intensité au commandement, & de l'énergie aux chefs de troupes.

     

     

    Deux chefs marchoient contre la Vendée, deux chefs appartenoient aux deux armées des côtes de Brest & de la Rochelle ; de là point d'ensemble, point d'identité de vues, de pouvoir, d'exécution ; deux esprits dirigeoient deux armées, quoique marchant vers le mêle but ; & il ne faut à l'armée chargée d'éteindre la Vendée qu'une même vue, qu'un même esprit, qu'une même impulsion. La force des coups qui doivent être portés aux brigands dépend beaucoup de la simultanéité, de l'ensemble de ceux qui frappent, & de l'esprit uniforme qui les meut.

     

    Les généraux ont plus de passions & de passions plus actives que les autres hommes. Dans l'ancien comme dans le nouveau régime, un amour propre excessif, une ambition exclusive de la victoire, un accaparement de succès sont inséparables de leur coeur. Chacun, comme Scipion l'Africain, voudroit être Scipion le Vendéiste ; chacun voudroit éteindre cette guerre civile, chacun voudroient avoir renversé le fanatisme & exterminé les royalistes.

     

    Ambition généreuse sans doute, & digne d'éloge, mais c'est lorsqu'elle n'est pas personnelle, mais c'est lorsqu'elle n'est pas exclusive, mais c'est lorsqu'elle ne tourne pas à la perte de la République. Soyez fiers de vos succès, généraux de la République, mais ne soyez ni jaloux, ni ambitieux personnellement.

     

    Soyez jaloux de servir mieux qu'un autre la République ; soyez ambitieux de la sauver ; soyez ambitieux de la gloire générale & de la renommée de la patrie ; il n'est que cette passion qui peut vous sauver ou vous rendre célèbres.

     

    Il est des hommes cependant qui font dans l'art affreux de la guerre un vil métier, une spéculation mercantille, & qui ont osé dire : il faut que cette guerre dure encore deux ans ... Citoyens, seroit-ce donc un patrimoine que le droit de faire égorger ses semblables ? Seroit-ce une spéculation vénale, que celle de conduire ses citoyens à l'honneur de la victoire ? Seroit-ce à la merci des généraux, & des administrateurs militaires, que nous pourrions livrer ainsi le sort de la République, la destinée de 27 millions d'hommes & la dépense de la fortune nationale ?

     

    Pardonnez cette légère digression ; elle a été commandée par le sujet. La jalousie des généraux a fait plus de mal encore à la France que les trahisons.

     

    Désormais un seul général en chef commandera l'armée active contre la Vendée ; pour y parvenir, il a fallu faire un nouvel arrondissement pour cette armée. L'armée de Niort, celle de Saumur, celle de Nantes ne formeront plus désormais qu'une seule armée ; elle sera augmentée en territoire de tous le département qui contient Nantes, du département de la Loire inférieure. Cette armée portera le nom d'armée de l'Ouest.

     

    Troisième mesure.

     

    Il faut trancher ces deux divisions, armée des côtes de Brest, armée des côtes de la Rochelle, & n'en former qu'une seule, pour y adapter un général nouveau. C'est au conseil provisoire à présenter sans délai à votre approbation un général en chef, reconnu par son audace & son patriotisme ; car il ne faut que de l'audace contre des brigands, des prêtres & des nobles. Ils sont lâches comme le crime ; ils n'ont de force que celle que donne le fanatisme royaliste & religieux. Opposons-leur, non le fanatisme de la liberté, le fanatisme ne convient qu'à la superstition & au mensonge ; mais opposons-leur l'énergie des républicains, & l'enthousiasme que la liberté & l'égalité impriment à toutes les âmes qui ne sont corrompues.

     

    Depuis que l'art de la guerre a obtenu une grande perfection, il est de principe qu'il faut, pour avoir des succès, faire la guerre avec des grandes masses ; c'est un art militaire qu'on se lève en masse pour la victoire. Dieu, disoit un général fameux du nord, Dieu se met toujours du côté des gros bataillons.

     

    Pourquoi la liberté, qui est la divinité que nous servons, ne suivroit-elle pas cette tactique ? Pourquoi nos généraux divisent-ils, gaspillent-ils, disséminent-ils sans cesse nos forces, au lieu de les réunir & de les employer par grande & importante partie ? L'exemple du succès de la réunion & des forces combinées a été si souvent donné ! Espérons qu'enfin il va être suivi dans la Vendée. Vous n'avez qu'à l'ordonner.

     

    L'indiscipline est le plus grand fléau des armées ; elle désorganise la victoire ; elle paralyse les succès ; elle intercepte la défense ; elle fournit l'arme la plus favorable aux ennemis : aussi n'ont-ils pas oublié de l'employer.

     

    Pour mieux s'assurer de l'indiscipline, nos ennemis domestiques inspirent le désir du butin. Le pillage, ce nom qui est la propriété des brigands & leur signe de ralliement, devoit-il souiller les pages de l'histoire des premiers défenseurs de la République ? Espérons encore que le nouveau général va faire punir, d'après vos décrets, les faits de pillage & l'indiscipline qui détruiroient nos succès, ou déshonoreroient les victoires, s'ils pouvoient être plus long-temps tolérés.

     

    Quant aux nouvelles exagérées, aux fausses victoires, aux rapports infidèles sur les évènements de la Vendée, le comité a, non à se reprocher, mais à gémir sur les fausses relations que la correspondance lui a données sur quelques évènements militaires, entr'autres sur les dépêches, qui annonçoient du côté de Saumur, que Mortagne & Cholet étoient pris, que 20 mille brigands avoient mordu la poussière, & qu'il n'en restoit plus que cinq mille.

     

    Qu'ils sont imprudens & coupables, ceux qui trompent ainsi les législateurs, & qui créent, ou trop de terreur par des revers légers, ou trop de succès par des succès mensongers. Le comité a les yeux ouverts sur les hommes de ce genre, & il les dénoncera aux tribunaux comme agens indirects de la contre-révolution. Ceux qui trompent sciemment les agens de la Convention nationale sur des évènemens militaires, dans un moment où toutes les âmes sont ouvertes à toutes les impressions, où l'inquiétude publique est exaspérée, & peut avoir de résultats fâcheux ; de pareils hommes sont répréhensibles, & seront désormais punis comme contre-révolutionnaires.

     

    Il ne reste plus qu'un mot à dire sur la Vendée, & ce mot est un encouragement national à tous ceux qui, dans cette campagne, chasseront tous les brigands intérieurs ou étrangers, car c'est la même famille.

     

    Un décret porte "que le traitement des généraux sera gradué sur le nombre de campagnes qu'ils auront faites." Oh ! combien il eût été plus humain, plus philosophique, plus révolutionnaire, de décréter un maximum décroissant par le nombre des campagnes ! Combien cette mesure auroit accéléré le terme de la guerre ! rarement les généraux la terminent ; les artistes ne ruinent pas leur art. Ce sont les peuples qui paient la guerre de leur or, de leurs travaux, de leur sang, qui terminent les guerres. Ce sont les Républiques qui favorisent la population & l'industrie, & non la guerre qui détruit tout jusqu'aux vertus, jusqu'aux premiers droits de la sainte humanité.

     

    Eh bien ! c'est nous qui donnerons une plus grande récompense à ceux qui auront le plus abrégé la durée de la guerre ; décrétons que la reconnoissance nationale attend l'époque de la campagne, pour décerner des honneurs publics & des récompense aux armées & aux généraux qui auront le plus concouru à terminer la guerre.

     

    Que les aristocrates qui se réjouissent impunément de nos revers, & quelquefois de la mauvaise exécution des lois révolutionnaires qui ne les atteignent pas autant qu'ils le méritent, que les aristocrates & les modérés ne voient pas, dans cette annonce solennelle, le besoin de voir terminer la guerre ; ils n'ignorent pas que les émigrés seuls ont donné pour aliment, à la sainte guerre que nous leur faisons, six milliarts de valeur territoriale & mobiliaire ; que les rebelles de Lyon, de Toulon, de Marseille, de la Vendée, & les conspirateurs de tout genre, viennent grossir de leurs biens la fortune publique ; ils n'ignorent pas sans doute qu'une nation qui remplit ses villes de manufactures d'armes, & qui couvre ses frontières de six cents mille jeunes citoyens, avec un décret de deux lignes, est une nation qui ne craint ni l'Europe, ni ses tyrans & qui doit être victorieuse.

     

    Il faut que le général d'une République voie, après l'honneur de la victoire, la Patrie lui prodiguant des honneurs & des récompenses. Nous faisons des lois pour des hommes & non pour des dieux. N'obéissons pas à leur avarice, mais soyons reconnaissans ; ne servons pas à leur vanité, mais ouvrons enfin à côté du trésor public le trésor inépuisable qui, chez les Français, contient les germes de toutes les vertus, la monnoie de la gloire civique.

     

    Le comité a pris des mesures ces deux jours pour l'état-major de l'armée révolutionnaire de l'Ouest, & pour la marche à suivre. L'état-major est épuré de ci-devant nobles, d'étrangers & d'hommes suspects.

     

    Ce travail, a pour principal objet, l'action du gouvernement & l'exécution des lois ; la concentration du pouvoir national dans la Convention ; le jeu & la circonscription des autorités constitutées.

     

    Le comité a chargé Billaud-Varennes de s'occuper dans ce moment d'un travail général sur les Représentants du peuple près les armées & dans les départemens qu'il faut réduire, rappeler ou changer de lieu. Nous plaçons ici à ce sujet une observation que nos collègues doivent entendre : le rappel des représentans n'est que la cessation ou le renouvellement dans les fonctions de représentans telle qu'elle est commandée par les décrets. Ainsi nul reproche, nul doute, aucun nuage ne doit tourmenter les représentans rappelés.

     

    Ce travail réduira à deux, & tout au plus à trois dans chaque armée, les représentans du Peuple ; ce travail aura pour objet le retour des autres représentans du Peuple dans les départemens & le placement de représentans nécessaires dans les places fortes les plus importantes.

     

    Ce travail ramènera, dans la main de la Convention, des pouvoirs trop disséminés ; il rétablira, dans un seul point, l'autorité nationale.

     

    C'est à l'entrée de l'hiver, c'est à la fin de la campagne, que la Convention doir reprendre toute l'activité, toute l'énergie & toute la pensée du gouvernement.

     

    Collot d'Herbois présentera un travail général sur la Vendée, son origine, ses progrès & ses trahisons. Il en démontrera les causes & les effets ; il en dévoilera les agens & les auteurs, & le glaive de la loi pourra frapper enfin ceux qui ont porté le fléau de la guerre au sein même de la République.

     

    Le comité s'est occupé aussi des mesures qui peuvent accélérer la destruction de la Vendée, & ces mesures peuvent être puissamment secondée par une proclamation simple et courte, à la manière des Républicains ; nous vous la présenterons aujourd'hui.

     

    C'est à la Convention a commander cette fois, le seul plan de campagne, celui qui consiste à marcher avec audace vers les repaires des brigands de la Vendée.

     

    La Convention doit donner à toutes les divisions de l'armée révolutionnaire de l'Ouest, un rendez-vous général d'ici au 20 octobre, à Mortagne & à Chollet : les brigands doivent être vaincus & exterminés sur leur propre foyer. Semblables à ce géant fabuleux qui n'étoit invincible que quand il touchoit la terre : il faut les soulever, les chasser de leur propre terrein pour les abattre.

     

    Non, elle ne sera pas sans gloire & sans récompense, l'armée qui aura terminé l'exécrable guerre de la Vendée. La même gloire & les mêmes récompenses attendent les autres généraux des armées de la République.

     

    Voici le projet de décret & la proclamation.

     

    La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du Comité de salut public, décrète :

     

            ART. Ier. Le département de la Loire inférieure demeure distrait de l'armée des côtes de Brest & réuni à celle de la Rochelle, laquelle portera désormais le nom d'armée de l'Ouest.

     

            II. La convention nationale approuve la nomination du citoyen Léchelle, général en chef, nommé par le conseil exécutif pour commander cette armée.

     

            III. La Convention nationale compte sur le courage de l'armée de l'Ouest & des généraux qui la commandent, pour terminer, d'ici au 20 octobre, l'exécrable guerre de la Vendée.

     

    La reconnaissance nationale attend l'époque du premier novembre prochain pour décerner des honneurs & des récompenses aux armées & aux généraux qui, dans cette campagne, auront exterminé les brigands de l'intérieur, & chassé sans retour les hordes étrangères des tyrans de l'Europe.

     

    Proclamation de la Convention nationale à l'armée de l'Ouest.

     

    SOLDATS DE LA LIBERTÉ,

     

    Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'octobre ; le salut de la patrie l'exige. L'impatience du peuple français le commande : son courage doit l'accomplir. La reconnoissance nationale attend à cette époque tous ceux dont la valeur & le patriotisme auront affermi sans retour la liberté de la République.

     

    DE L'IMPRIMERIE NATIONALE

     


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  • A la mémoire de Charette…

     

     A l’initiative des « Enfants de Charette » et des « Brigands du Bocage », une commémoration de la prise de Charette avait lieu ce jour dans le bois de La Chabotterie.

    Le rendez-vous était à 13 h 30 sur le parking du château de la Chabotterie et « Dame Gigi » s’affairait dans tous les sens, rameutant ses ouailles, cherchant costumes, drapeaux, armes et retardataires… La petite troupe se mit en marche au son de la veuze de Patrick Proust, direction la Croix de Charette, lieu d’arrestation du célèbre général bas-poitevin. Une minute de silence et des explications fort complètes et instructives furent données au public, avec beaucoup de détails, ignorés de l’historiographie habituelle. Après que les « Enfants de Charette » nous aient donné leur vision de la Vendée d’aujourd’hui, accompagnée d’une certaine philosophie que les vendéens de 1793 n’auraient sûrement pas désapprouvée, et tellement remplie de bon sens, en regard des médiocrités habituelles de notre société actuelle, ce furent les chants vendéens qui clôturèrent la petite cérémonie, ponctués par la musique de Laurent Tixier. Monsieur de Charette, n’était sûrement pas loin, peut-être un peu en retrait de notre petit groupe, quelque part dans les bois, à nous surveiller et à se dire : « Ils sont fous, mais bien sympathiques ». Les « Brigands du Bocage » entonnèrent ainsi les couplets dans une franche bonne humeur, pourtant toute en ferveur.

    De retour dans la cour du château, le ciel se couvrit d’un seul coup et une brise, peut-être venue des tréfonds de l’histoire se mit à souffler. Ce fut le moment où votre serviteur donna quelques explications sur les colonnes infernales et les différents massacres qui eurent lieu sur la paroisse de Saint-Sulpice-le-Verdon. Je reconnais que cet exercice ne fut pas évident, tant le conférencier improvisé eut du mal à gérer ses notes, que le vent cherchait à lui soustraire et le défaut de préparation dont il s’était rendu coupable. L’après-midi s’approchant de son terme, les jeunes Brigands choisirent de visiter le château de la Chabotterie, et nous de réintégrer nos pénates.

    Cette jeunesse, qui, encore une fois était présente dans une manifestation commémorant des événements du passé, mais avant tout et surtout une manière de penser autre que la culture « Paquet de chips/téléréalité », fait bien plaisir à voir, avec sa bonne humeur et sa motivation. Charette lui-même n’avait-il pas dit « Nous sommes la jeunesse du Monde ! »

     

    RL

    Avril 2013

    Quelques photos et vidéos, prises au hasard.

     

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

    A la mémoire de Charette....

     

     

     

    La Capture de Charette par Louis-Joseph Watteau.

     

    A la mémoire de Charette....

     


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