• Le combat de la Vivantière…

     

    On connait les liens entre le massacre des Lucs et le combat de la Vivantière.

    Après avoir quitté les Landes de Bois-Jarry, la colonne de Cordelier se divise en deux à l’approche des Lucs, une aile aux ordres de Cordelier lui-même et l’autre de Martincourt. La première passe la Boulogne au moulin de l’Audrenière (non loin de Saint-Christophe-la-Chartreuse mais sur la paroisse de Mormaison) tandis que la seconde se dirige vers le Petit-Luc par la rive droite.

    Le moulin de l’Audrenière :

    Le combat de la Vivantière....

     

    Une première série de massacres s’en suit le 28 février 1794. Les bleus ont forcé un paysan à leur servir de guide vers les troupes de Charette stationnées à la Vivantière. Celui-ci parvient à s’échapper peu avant le hameau et court à toutes jambes jusqu’à Charette en lui criant : « Voilà les bleus monsieur Charette, voilà les bleus ! »

    La colonne de Cordelier arrive en effet par le moulin des Landes (désolé pour les fils électriques sur le cliché mais difficile de faire autrement. Avec un peu d’imagination, on peut apercevoir le toit du moulin de la Judice en arrière-plan).

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

     

    Les Vendéens sont en infériorité numérique et commencent à se démoraliser. Comme on le sait, l’arrivée inopinée de Guérin par le chemin de Beaufou et de cinq à six cents hommes de Ripault de La Cathelinière, cherchant à se mettre sous les ordres de Charette  va changer la donne et les 1 200 vendéens parviendront à chasser 4 500 républicains. Lucas de la Championnière raconte qu’un soldat républicain tente d’ajuster Guérin un genou au sol. Celui-ci lui lance : « tu me manqueras ! ». Le coup part sans toucher Guérin. Bien entendu, le républicain n’est pas loupé…

    La troupe commandée par Martincourt fait sa retraite sur Montaigu sans être poursuivie. C’est là que se déroule le grand massacre de l’église du Petit-Luc. Le reste tente de remonter vers Legé mais se trouve assez mal embarqué dans les chemins de la Perraudière, de la Devinière et du Retail (ces fermes et hameaux appartiendront à la commune des Lucs-sur-Boulogne jusqu’à la loi du 12 juin 1861, date de leur attribution à la commune de Legé).

     

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

    Le combat de la Vivantière....

     

     Là, les massacreurs se font à leur tour écharper. Malheur au bleu égaré ! Guérin aurait voulu les poursuivre jusque dans Legé mais Charette s’y opposa, jugeant plus prudent de se retirer au Poiré-sur-Vie. Au soir de la victoire, les troupes vendéennes camperont au château du Pont-de-Vie.

    RL

    Août 2016

     


    votre commentaire
  • Une « messe de minuit » en 1794…

     

     

    De quoi donner à réfléchir...

     

     

    L'histoire d'une messe de minuit que nous allons raconter s'est passée dans les moments les plus affreux de la Grande-Guerre, alors que le monde se croyait rendu à sa fin. La terre tremblait, les éléments étaient confondus, les nations éperdues se tordaient dans l'épouvante et la consternation, les démons déchaînés entraient dans le coeur des hommes pervers, les chefs s'habillaient de peaux d'hommes, s'abreuvaient de sang et se repaissaient de chair humaine. Ces monstruosités ont été commises, ces horreurs ont été vues, ici dans cette contrée, sur cette terre qui nous porte.

     

    Dans ces jours d'exécrable mémoire, la paroisse de Beaufou fut tout spécialement mise à feu et à sang. Elle devait cette haine des méchants à sa grande fidélité à la religion. Elle était la seule dans tout le pays où tout le monde, sans exception, était bon chrétien ; on n'y trouvait pas un seul ennemi du bon Dieu, pas l'ombre d'un traître.

     

    Une des bandes infernales venait de brûler une première fois l'église, le bourg, et de commettre des atrocités dans plusieurs villages. M. le curé Jousbert était persécuté par des espions des communes voisines qui voulaient le surprendre dans ses cachettes et le dénoncer aux Bleus. Un nommé Pichaud, surnommé la Navette, du Grand-Luc, venait fréquemment dans le bourg pour faire jaser ; on s'en défiait. Mais ces perfidies rendaient très périlleuse la célébration des sacrements. Il était bien difficile de tenir en grand secret le lieu où, le dimanche, se disait la sainte messe. M. le Curé pouvait plus commodément baptiser, confesser, voir les malades ; mais pour la sainte messe, il fallait bien désigner un endroit et le faire savoir au monde pour qu'on pût s'y assembler. Aussi, bon nombre de personnes se voyaient tristement privées d'y assister.

     

    A l'approche de la grande fête de Noël, la crainte de ne pouvoir la célébrer s'empara de l'esprit de plusieurs et fit couler des pleurs. Hélas ! disaient en se lamentant ces bonnes gens, que faisons-nous donc sur la terre ? Plus rien, plus de maisons, plus de biens, plus de joie, plus de repos, plus de religion, on nous enlève le Bon Dieu ... Alors ils versaient des larmes amères ..., puis, prenant leur chapelet à la main et le levant vers le ciel : "Sainte bonne Vierge, venez à notre aide ..."

     

    Il est à croire que la bonne Vierge Marie, si ardemment invoquée, entendit leur prière, car il descendit du ciel dans l'âme du curé une pieuse pensée. Pendant une longue et pénible insomnie, il pensait à ses bons paroissiens, ce bon prêtre. - Le diable est bien fort, se dit-il tout d'un coup, mais la sainte Vierge Marie est bien plus forte encore. Eh bien ! je veux donner une messe de minuit à mes paroissiens ; mais une messe de minuit solennelle, une messe de minuit comme on n'en a jamais vue. Puis il se rendormit tranquillement sur cette pensée. C'était la nuit de la fête de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge Marie. Il était couché dans une cachette sous terre, dans un buisson du bois de la Grève, près le village de la Canterie. C'était son logis du moment.

     

    A son réveil, il se rappela sa pensée et se décida à la mettre immédiatement à exécution. Il avait quinze jours devant lui ; pendant cette quinzaine, il dut visiter, sans interrompre ses autres fatigues, toutes les maisons, leur confiant tout bas son dessein et confessant toutes les personnes en âge de recevoir la sainte communion.

     

    Pas besoin n'était de demander si on voulait se confesser, ni de faire des préambules pour décider le monde. C'est le contraire qui eût étonné. Jamais visite de M. le Curé n'avait paru aussi agréable. L'annonce d'une messe de minuit fut accueillie avec une grande reconnaissance et apporta au milieu des tribulations qui torturaient les âmes un moment de joie et de consolation sensibles. Tout le monde s'y prépara par la prière, surtout par la récitation fervente du chapelet, prière favorite, et par des invocations réitérées au Sacré-Coeur de Jésus. M. le Curé annonçait que la cérémonie de la nuit et du jour de la fête se ferait dans le Bois des Rivières, non loin du village de Limonière (l’Imonière). Le secret de la messe et du lieu fut si bien gardé qu'aucun des espions qui sillonnaient les villages n'en connut rien si ce n'est après la fête. Tout allait donc pour le mieux et au gré de tous ; la fête s'annonçait comme devant être bien belle, surtout de dévotion. On en parlait déjà comme d'un jour du Paradis échappé sur la terre, quand l'enfer faillit faire évanouir toutes ces consolantes espérances. Hélas ! avec des âmes moins fortes et moins chrétiennes, avec des coeurs aussi lâche, qu'il y en a tant aujourd'hui, c'en était bien fait de la messe de minuit et de toute la sainte fête.

     

    Pendant tous ces pieux préparatifs, voilà qu'une nuit, une partie d'une colonne de Bleus, campée à la Roche-sur-Yon, passant par le Poiré, vint s'abattre sur les villages de la Chanussière (la Chamussière) et de la Morelière (la Morlière) et les mettre à feu et à sang. C'était dix jours avant la fête.

     

    En même temps, la nouvelle vint qu'une autre colonne de Bleus partait de Montaigu pour aller renforcer ceux qui étaient campés à la Roche. Heureusement, cette bande fut arrêtée et battue à plate-couture au Quatre-Chemins de l'Oie. Sans cette défaite, tous les hommes armés de la paroisse auraient été appelés immédiatement aux armes et la messe de minuit fût devenue impossible pour les femmes et les enfants abandonnés à eux-mêmes. Un autre contre-temps menaçait encore de tout troubler. Une pluie, une pluie glaciale tombait tous les jours, et pour peu qu'elle continuât elle rendrait les chemins impraticables et la cérémonie impossible dans un bois. Tout autre que M. le Curé Jousbert eût probablement perdu courage. Il y avait de quoi, et assurément il n'en faudrait pas autant aujourd'hui pour dégoûter tout le monde. Avec de belles routes qui permettent de marcher les yeux fermés, avec une église où l'on trouve un solide abri, et toutes les aises, avec toutes les facilités possibles de recevoir les sacrements, combien qui reculent, qui ne daignent même pas bouger ? Combien qui profaneront cette sainte fête, par une criminelle absence ! Il est vrai que les chrétiens d'autrefois étaient de solides chrétiens et que la plupart des chrétiens de ce jour, ayant changé de couleur, regardent du côté des impies et n'appartiennent point au Bon Dieu.

     

    Les paroissiens de Beaufou imitèrent leur curé ; ils ne perdirent point confiance. La sainte Vierge Marie récompensa leur piété en leur permettant de goûter tous les délices de la messe de minuit qui leur avait été promise. Les hommes du bourg et des environs repoussèrent les bleus de la Morelière. La bande des autres ayant été vaincue aux Quatre-Chemins, les hommes de la paroisse ne furent point appelés aux armes et quatre jours avant la fête, le vent, sautant au nord, chassa la pluie ; un froid sec sécha la terre, il gela très fort et un temps tout à fait clair vint embellir la fête. D'ailleurs, tout était prêt pour la circonstance, les coeurs bien disposés et une église bâtie, voici comment :

     

    Plusieurs jeunes gens des environs, toujours prêts quand il s'agissait de faire une bonne chose, eurent bien vite construit cette petite église improvisée pour un jour, juste au beau milieu du Bois des Rivières. Un espace convenable pour contenir les assistants fut déblayé. Le bois était vieux. D'un arbre à l'autre on suspendit nombre de longues perches recouvertes de genêts et de bruyères. On massa de grandes branches sur les côtés pour arrêter le vent. Des bruyères hachées formaient le carrelage ; un tout petit autel fut dressé à l'extrémité, du côté du soleil levant. Une journée suffit pour élever ce petit temple dans lequel on pouvait encore attendre une bonne pluie et ne pas trop s'apercevoir du froid, mais surtout prier en tranquillité.

     

    Le plus difficile était d'arriver là. M. le Curé avait décidé que les deux tiers des grandes personnes assisteraient à la messe de minuit ; les autres, restant à garder les villages, viendraient à la messe du jour, étant remplacés à leur tour par une partie des assistants de la nuit ; pour éviter tout soupçons, il fallait éviter de marcher par bandes et de prendre les mêmes chemins. Les plus éloignés partirent la veille, au matin. Beaucoup firent semblant d'avoir des affaires ailleurs ; puis, quand on arrivait assez près du bois, on le contournait de façon à dérouter les traîtres, s'il y en avait eu sur le passage.

     

    Par une attention toute pleine d'une sage prudence, M. le Curé avait désigné une quinzaine d'hommes, postés à une certaine distance autour du bois, qui devaient avertir en cas de danger et en donner le signal en tirant des coups de fusil. Les premiers venus préparèrent des cachettes dans le bois et les buissons des champs voisins pour les personnes qui voudraient prendre un peu de repos. A dix heures, tout le monde était arrivé et l petite église entièrement remplie. Le plus grand silence régnait cependant au milieu de cette foule, ou, si l'on parlait, on le faisait discrètement et à voix basse. Il y avait tant de précautions à prendre, et l'on n'oubliait pas qu'on était à cette même heure au plus fort des orgies sanguinaires de la Révolution : que de malheurs un seul cri échappé pouvait attirer sur cette assemblée ! ...

     

    Les étoiles scintillaient au ciel ; un petit vent froid et sec, venant du Nord, soufflait dans les branches et jetait dans les airs un murmure sonore qui portait au recueillement ; deux bouts de cierges éclairaient le petit autel et de distance en distance, au milieu de la foule, des torches de bois résineux, plantées en terre en guise d'illuminations, prêtaient leur vacillante lumière aux personnes qui lisaient des prières.

     

    Quel touchant spectacle offrait cette petite assemblée aux regards du ciel et de la terre ! On dit que les anges descendirent du paradis pour les contempler. C'était en effet le seul endroit en France, où pendant cette nuit sainte s'offrait l'adorable sacrifice de la messe de minuit ; le seul lieu où il était possible à des hommes d'adorer ensemble le Dieu rédempteur du monde.

     

    Alors que l'Europe entière était en feu, que le sol de la France bouleversé par la plus horrible tempête tremblait sous les pas, que les églises étaient brûlées, la religion proscrite, le nom du Bon Dieu profané ; alors que la prière était un crime et que de toutes parts la guillotine abattait les têtes des chrétiens, dans cette humble paroisse du Bocage, en pleine nuit, sous la rigueur d'un froid glacial, au milieu d'un bois, tout un petit peuple bravant la fusillade et les canons, à genoux devant un autel champêtre, en adoration devant son Dieu, affirmant sa foi, fortifiant ses espérances et offrant à son Sauveur des coeurs du plus fidèle amour !!! Spectacle sans précédent dans l'histoire.

     

    M. le Curé commença la cérémonie par la sainte prière aimée de tous, le chapelet, suivi d'invocations au Coeur de Jésus. Puis avec une vive émotion, il souhaita la bienvenue à ses bien-aimés paroissiens accourus si ponctuellement à sa voix ; ensuite il leur parla du grand mystère qui s'était accompli en pareille nuit, bien des siècles auparavant, dans l'étable de Béthléem.

     

    La Sainte Vierge Marie et saint Joseph rebutés du monde, repoussés des hommes, obligés de fuir et d'errer de porte en porte, ne trouvèrent enfin pour s'abriter qu'un pauvre réduit, une méchante étable ouverte à tous les vents. Le bon Dieu permit qu'il en fût ainsi. Joseph et Marie s'y soumirent sans murmurer. Le ciel les en récompensa en leur donnant le saint Enfant Jésus : "Vous aussi, mes chers enfants, s'écrie M. le Curé avec un élan sublime, vous êtes chassés du monde, les hommes vous rebutent, vous poursuivent. Vous errez dans les bois et les déserts. Voici que maintenant cette humble grotte vous abrite ; comme Joseph et Marie, vous n'avez pas d'autre refuge ; le bon Dieu permet qu'il en soit ainsi ; comme Joseph et Marie, acceptez avec amour les saintes dispositions de la divine Providence, et comme eux vous recevrez la même récompense : le saint Enfant Jésus vous sera donné dans cette pauvre étable ; vous allez recevoir votre Dieu."

     

    On ne saurait se faire une idée de l'impression que fit sur tous les esprits ce sermon si approprié aux circonstances. Il se produisit un mouvement d'émotion tel, que M. le Curé interrompit la cérémonie pour laisser un libre cours aux élans de piété et de dévotion qu'on avait besoin de se communiquer les uns aux autres. On parlait, mais c'était pour dire ses sentiments d'amour pour le bon Dieu ; on pleurait, mais c'était des larmes de joie ; on tressaillait, mais c'était de contentement et de bonheur : pas un seul en ce moment qui eût consenti à échanger sa place pour une autre. "Oui, répétaient et répétaient toutes ces bonnes gens, malgré le monde, malgré l'enfer, vive Dieu ! Nous serons chrétiens quand même !".

     

    M. le Curé chanta la messe, mais à demi-voix.

     

    Que de ferventes prières s'élevèrent cette nuit-là de ce petit bois vers le ciel ! Seuls, pourraient nous le dire les Anges gardiens qui les présentèrent au Seigneur au pied de son trône éternel.

     

    Tous les assistants, les enfants exceptés, s'approchaient de la Table sainte. Qui eût osé se trouver là sans recevoir le Bon Dieu ? Elle fut sainte cette communion ! Ils étaient purs ces coeurs d'hommes, ces coeurs de femmes, tous les coeurs de cette jeunesse accourue au pied de cet autel au prix de tant de sacrifices !

     

    L'histoire nous apprend que la sainte Vierge Marie, aussitôt la naissance de son divin enfant, après l'avoir pressé sur son coeur, le remit entre les bras de saint Joseph, et tandis que saint Joseph, dans les élans d'un inexprimable amour, le pressait aussi sur sa poitrine, l'adorable petit enfant passa ses petits bras autour du cou du saint patriarche et le pressa affectueusement sur son adorable petit coeur.

     

    Nul doute, assurément, qu'une semblable faveur n'ait été accordée en ce moment à ces généreux chrétiens. Ils en étaient dignes. Qu'il était beau de voir ces rudes visages, ces valeureux combattants se relevant de la Table sainte en laissant tomber de leurs yeux des larmes brûlantes d'amour qui descendaient s'égarer dans leur longue barbe touffue et agreste ! Que d'actes d'amour dans cette sainte et petite assemblée, dans tous ces coeurs abrités sous la sainte image du coeur adorable de Jésus.

     

    C'était bien l'Église catholique des premiers jours, alors que l'Esprit saint descendait en langues enflammées dans le coeur de ses fidèles.

     

    Le monde ne le vit pas, mais la cour céleste le contempla du haut du ciel.

     

    Après la messe, deux vieillards vénérables par leur âge et leurs cheveux blancs, l'un du bourg, l'autre de l'Hardouinière (l’Ardouinère de Belleville-sur-Vie), s'approchèrent de l'autel. Ils remercièrent au nom de tous M. le Curé du bonheur qu'il leur donnait dans cette nuit ; puis d'une voix fortement émue : "Monsieur le Curé, s'écrièrent-ils, maintenant laissez-nous faire. Nous avons le Bon Dieu avec nous, nous ne craignons plus rien. - Eh bien ! oui, mes amis ; répond M. le Curé : Vive le Saint-Enfant Jésus !"

     

    Il fallait y être, nous dit une personne qui y était présente ; nous étions comme fous de joie et de bonheur. Nous ne craignions plus rien ; nous n'avions peur de rien. Les Bleus seraient venus que nous aurions chanté quand même. Nous chantions tous de notre plus grosse voix ; les vieux, les jeunes hommes, tout le monde, les femmes et les enfants comme les autres. Les uns étaient accroupis, les autres à genoux, d'autres debout ; on se remuait mais sans se gêner ; on chantait, mais tous ensemble : "Vive le Saint-Enfant Jésus ! ... Vive le Saint-Enfant Jésus ! ..." On devait nous entendre bien loin.

     

    Les hommes qui montaient la garde eurent tout d'abord grand peur, croyant que les Bleus étaient tombés sur nous autres. Mais quand ils comprirent nos chants ils firent comme nous et se mirent à chanter eux aussi. Oh ! qu'il y avait longtemps qu'on avait entendu chanter de cantiques dans les champs ! On chanta jusqu'à l'aurore. Alors, M. le Curé fit partir tous ceux qui devaient remplacer les autres, demeurés à garder les villages. Ceux qui avaient le bonheur de rester jusqu'au soir, s'égapillèrent dans le bois ou le long des haies des champs voisins pour s'y reposer un peu. On alluma, dans plusieurs endroits des champs, de grands feux pour se chauffer, car il faisait bien froid. Le bois ne manquait pas, les nobles dames de la Voisinière (la Vézinière) ayant permis d'en prendre à volonté.

     

    Au lever du soleil, dont les rayons perlaient entre les branches des arbres, M. le Curé dit une seconde messe, appelée la messe des bergers, pour les hommes qui avaient monté la garde pendant la nuit et qui étaient remplacés par d'autres, et aussi pour quelques infirmes qui, à leur grand chagrin, n'avaient pu venir pendant la nuit.

     

    A dix heures commença la grand'messe qui fut chantée à haute voix. On ne craignait plus rien. Les hommes chantèrent deux fois le Credo. Ils tenaient à affirmer leur foi en Dieu et à le dire bien haut. Ils auraient bien voulu, si c'eût été possible, le faire entendre à tous les Bleus, à tous les impies de France et du monde entier.

     

    Le monde, alors, n'entendit pas leurs voix, mais le monde sut, après, que ce petit peuple était bien, en toute vérité, un peuple chrétien, chrétien en paroles, chrétien en actions, chrétien quand même, chrétien toujours.

     

    Abbé FAUCHERON

    La Vendée Historique – 1902

    Nous avons indiqué entre parenthèse les noms que portent de nos jours les villages cités.

    RL et "La Maraîchine normande"

    Décembre, jour de Noël, 2012

     

     

    Une messe de minuit en 1794....

    Une messe de minuit en 1794....

    Une messe de minuit en 1794....

    Une messe de minuit en 1794....

    Une messe de minuit en 1794....

     


    2 commentaires
  •  

    Nous publions ce texte visible sur Gallica, via les ADV en y ajoutant quelques notes permettant de mieux localiser certains lieux. Il est probable que dans l'avenir, des photos prises sur place, viendront enrichir cet article.

     

    Nous noterons que l'incendie de la Bulletière et les massacres qui s'y sont déroulés datent de juillet 1794, donc bien après la fin des colonnes infernales, montrant bien que si le système de Turreau est supprimé, les ordres d'extermination sont toujours d'actualité. Ainsi, la lettre de Carnot qui ne laisse aucun doute...

     

     RL

     Novembre 2013

     

     

     

    LES SOUVENIRS DE MARIE TRICHET

     

     

     

    L'épisode - à la fois amusant et dramatique - qu'on va trouver ci-dessous est emprunté au manuscrit du digne prêtre, l'abbé Faucheron. Il a trait à l'incendie du village de la Bultière, en juin 1794.

     

     

    Cet incendie avait été provoqué par un misérable tisserand du Grand-Luc, qui, raconte l'abbé Faucheron, "fâché contre les métayers de la Bultière (1) qui ne le faisaient plus travailler, voulut s'en venger en amenant les Bleus les incendier". Le récit du drame fut décrit sous la dictée d'un témoin, Marie Trichet, âgée de quinze ans en 1794. Je copie textuellement la déposition de ce témoin.

     

     

     H.B.

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     

    Nous dormions tous bien tranquillement, quand un grand coup fut frappé à la porte et la fit trembler. Mon père dit aussitôt : "Sauvons-nous, nous sommes perdus!"

     Je sautai à bas de mon lit, attrapant d'une main mon cotillon. J'ouvre la porte et nu-pieds, sans regarder derrière, je cours tant que j'en avais de force du côté du bourg. Je ne savais pas où j'allais, j'allais comme une folle. Auprès de la Fosse-Noire, je tombai en bas à bout d'haleine ; je croyais les Bleus après moi. Je regardai alors, et me vis toute seule. Alors je pris mon cotillon et me mis à crier et à appeler ma mère ; mais je criais pas bien haut. J'étais si saisie, ma gorge était si serrée, que j'étouffais.

     

     J'entendais de grands bruits dans le village, puis de gros jurements. C'étaient les Bleus qui juraient, car le monde du village ne jurait pas. Je vis du monde accourir de mon côté, c'était mon père avec mes trois frères. Ils avaient pris le temps de prendre leurs culottes, mais c'était tout. Quand je vis mon père, je me jetai à son cou. Il pleurait, mon pauvre père, et mes frères aussi. - Où est-elle ta mère ?" qu'il me dit.

            Ma pauvre mère, un peu boîteuse, était sortie la dernière de la maison, par la porte du jardin, emmenant avec elle mon petit frère de sept ans, sans prendre le temps de lui donner sa robe (En ce temps-là, à Beaufou comme dans tout le Bocage, les petits garçons portaient la robe jusqu'à l'âge de sept ans.), et s'était sauvée par le champ d'En-Haut. C'était grand temps pour elle, car les Bleus entraient par la porte de la rue quand elle fermait celle du jardin, qu'elle nous a dit.

     

     Dans les autres maisons du village on s'était sauvé, comme nous autres, encore plus vite. Les quatres filles de la métairie d'En-Bas, plus mortes qu'en vie, s'étaient sauvées en chemise, ainsi que leurs deux grands frères. Un grand gâs de la métairie du Mitan avait fait de même. Pas un de ces petits drôles n'était habillé : tous s'échappaient de côté et d'autre.

     

     Une jeune veuve, qui venait de perdre son homme, tué à la guerre, se sauvait par le chemin de la Marlée (2) avec ses deux enfants, une petite de deux ans qu'elle portait à son cou, et un petit de quatre ans qu'elle traînait à la main. Entendant courir après elle, elle perdit la tête de peur, et laissa s'échapper, pour se sauver plus vite, la main du pauvre petit que les Bleus attrapèrent.

     

     Nous étions là, le long du buisson, tout transis, quand les filles du Bas vinrent de notre côté. Elles couraient comme des folles, en pleurant, et sans nous apercevoir. Mon père les appela. Elles tremblaient que ça faisait compassion ; je les embrassai. Elles dirent que leur père et leur mère étaient cachés dans le pré du Petit-Ruisseau. Mon père courut les chercher et les amena bien vite, avec les deux grands gâs. Puis ils retournèrent tous deux, mon père et le voisin, voir où étaient les autres, qu'ils trouvèrent dans un fourré, dans la prée de la Seigneurie.

     

            Ma mère, avec mon petit frère, venait par le chemin d'En-Haut. Elle ne savait pas que nous étions là ; elle allait se cacher dans le bourg. Elle eut grand'peur en nous apercevant, ne sachant pas ce que c'était. Nous étions contents de nous trouver ensemble. Nous pleurions, mais tout bas, de peur d'être entendus des Bleus. Ma mère était si épouvantée qu'il fallut lui jeter de l'eau au visage, ce que je faisais avec ma main ; cela ne l'empêchait pas de prier la Sainte Vierge. Elle priait, elle gémissait. Elle tenait mon petit frère, tout en chemise, dans sa dorne, car la fraîcheur de la nuit saisissait. Nous entendions de gros jurements, puis des bruits de coups que l'on frappait sur des planchers. Le feu passait par dessus les maisons. Oh ! là là ! nous pensions voir les feux de l'enfer ; que c'était affreux ! Une fois, nous nous crûmes perdus. Une femme du village criait au secours. Elle poussait des clameurs, des hurlements. Je me crus morte ; je croyais que c'était moi qu'on tuait. Ma mère se jeta à genoux et prit son chapelet. Nous étions tous si saisis que nous pensions étouffer. Mon père était hors de lui : "Il faut aller à son secours, criait-il ; venez, mes enfants", dit-il à mes frères. Oh ! dame, à ces paroles, ma mère se précipite sur lui, lui serre les jambes avec ses bras, je fis comme elle : "Mon cher ami de petit homme, criait-elle, n'y va pas ! mon bon ami, reste avec nous ! Tu seras tué, ils te tueront. Par la bonne Sainte Vierge Marie, n'y va pas ! mon ami, mon bon ami, mon cher petit homme !" Je pleurais, je me couchais à terre ; mes frères pleuraient aussi tout haut. Mais mon père s'arracha de mes bras et s'en fut avec mes frères du côté du village. Ma mère tomba anéantie. Je me trémoussais, je voulais crier, mais je ne pouvais pas, je ne savais ce que je faisais. Mon petit frère, tombé au bas, criait comme un petit drôle. Le voisin grommelait contre mon père : tout le monde murmurait.

     

     Cependant, le bruit avait diminué dans le village : le feu brûlait toujours, mais on n'entendait plus de cris. Hélas ! je croyais bien mon père et mes deux frères perdus pour toujours ! "Ecoutez donc, disais-je, pour voir s'ils ne nous appellent pas ? Le moindre coup me faisait tressaillir. "Tenez ! entendez-vous ? Oh ! là là ! On est à le tuer, mon père, mon petit père ! - Tu es folle, me disaient les autres, vois-tu pas qu'il n'est pas allé si loin ? J'étais bien folle, en effet, folle de crainte et de douleur...

     

    A un certain moment, je crus entendre mon père m'appeler à son secours. Désespérée, "il m'appelle, m'écriai-je, je cours ! ..."

     

     Heureusement, une de mes camarades me saisit à mon cotillon et m'arrêta. "Taise-te tu, follasse, qu'elle me dit, vois-tu pas que ta tête tourne ? C'est rien !" Mais quand je dis ces paroles : "Il m'appelle, je cours !" le bonhomme voisin, qui était grand ami de mon père, me dit en me parlant : "Marie, je vais avec toi." Mais, aussitôt, ses deux grands gâs, qui étaient là, tous les deux en chemise, se jetèrent sur lui. Ses quatre filles, aussi en chemise, accourent, et sa femme aussi, et les petits drôles, et ils le serrent si bien qu'ils l'empêchent de marcher. Si les Bleus étaient venus en ce moment, c'en était fait de nous autres.

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     Puis voilà que nous entendons du bruit, un bruit de pas. C'étaient mes frères avec mon père, revenant au galop. "Sauvons-nous, cria mon père, sauvons-nous, les voilà par ici ! Suivez-moi !" Et il nous emmène, en courant tous pêle mêle, par le chemin du Haut dans un champ de froment où il nous fit coucher dans un coin, sous des arbres, et où il nous fit tous abaisser en un monceau, les uns près des autres, les plus blancs au milieu pour ne pas être aperçus ; car mon père pensait à tout, et il nous dit de prier tout bas la Sainte Vierge de faire partir les Bleus. Lui et les autres hommes descendirent plus bas, pour voir ce qui allait se passer et nous avertir s'il fallait se sauver plus loin. Hélas ! nous étions comme de malheureux condamnés, accroupis les uns contre les autres, sans distinction, attendant la mort et croyant, au moindre bruit, voir les Bleus tomber sur nous.

     

     Les scélérats ne nous aperçurent pas. Ils passèrent cependant assez près, suivant le routin qui est au bas de l'autre côté. Le mauvais sujet du Luc, cette âme damnée, les conduisait à Saint-Etienne. Oh ! si, quand ils passaient, les petits drôles que nous avions avaient poussé des cris ! Aussi, nous les avions enveloppés dans nos dornes et leur mettions la main sur la goule. Quand ces assassins furent rendus assez loin, mon père vint nous le dire, pour nous mettre un petit à l'aise ; mais il défendit de nous lever encore. Il craignait, comme il était arrivé d'autres fois, qu'il y en eût de cachés pour nous surprendre.

     

     Au jour venu, il envoya les hommes faire la ronde autour du village : il n'y avait pas un seul Bleu de reste ; mais ils trouvèrent cachées dans les buissons les autres personnes du village, dont la plupart étaient sans vêtements, et qui nous croyaient morts, et ils nous les amenèrent. Leur venue nous consola un peu. On se compta, il manquait encore la jeune veuve avec les deux petits, et une jeune fille appelée Jeanne Biron. On sut plus tard que c'était elle qui avait jeté ces grands cris pendant qu'on la tuait ; apparemment qu'elle n'avait pas entendu le signal de la fuite.

     

     Cependant le jour était levé et nous fit voir toute la tristesse de notre situation. La honte de nous voir en si misérable état augmenta notre chagrin. Nous nous mîmes tous encore à crier, ça en valait la peine, car on ne s'en ferait sûrement pas une idée maintenant. Ma mère et les autres femmes présentes n'avaient que leur cotillon sur la chemise, avec leurs bonnettes de nuit. Jeanne, ma camarade, et moi, n'avions que notre chemise et un cotillon. Nous étions sans bonnettes, nous étions toutes échevelées. Les cinq autres grandes filles n'avaient absolument que leurs chemises. Ce qui faisait grand pitié, c'était de voir cinq grands garçons, des hommes faits, dans le même état : on ne savait ce que c'était. Il fallait les connaître pour les deviner. Les pauvres malheureux ne savaient quelle mine faire. Ils avaient honte ; mais ce n'était pas pourtant leur faute. Tous les autres hommes avaient pris leur culotte. Tout le monde était pieds nus, mais on n'y faisait pas attention ; s'il n'y avait eu que cela, on ne s'en serait pas plaint du tout. Tous les drôles étaient sans robes.

     

     Nous étions ainsi tout occupés à nous lamenter, quand les hommes qui étaient retournés pour examiner les alentours revinrent à nous. Le soleil était levé. Mon père nous dit que nous pouvions rentrer au village, qu'il n'y avait plus de danger. Hélas ! quel navrant spectacle ! Jamais je ne l'oublierai, devrais-je vivre deux cents ans !

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     Mon père et les autres hommes allèrent devant, puis nous autres. Les drôles criaient, mais on leur fermait la goule, car on avait toujours peur des Bleus qu'on s'imaginait voir à tous les coins de champs. Tout ce monde à demi vêtu, en chemise, ça faisait vraiment pitié, ça arrachait les larmes des yeux. On nous fit reprendre le chemin de la Fosse-Noire, où nous avions passé une si vilaine nuit. Nous n'osions point rentrer dans le village. Nous tremblions ; si un seul Bleu avait reparu, nous nous serions encore tous sauvés, mais mon père et le voisin d'En-Bas nous encouragèrent. Oh ! là là ! A la vue de toutes les abominations faites pendant la nuit, tout le monde se cacha le visage dans ses mains. Nous étions anéantis.

     

     Il y avait auprès de notre maison une petite croix de pierre, que les Bleus avaient laissée debout. Mon père tomba comme un mort devant cette croix, et se mit à crier. Quand on le vit crier tout haut et pleurer à haute voix, lui qui auparavant encourageait les autres, tout le monde se mit à genoux et se mit aussi à crier. C'était un ramage à fendre des cœurs durs comme des rochers. Moi, je ne pleurais pas beaucoup ; j'avais tant pleuré auparavant, et puis je n'en pouvais plus, et puis j'étais tout occupée à faire taire mon petit frère qui était mon filleul, moi étant sa marraine, et qui demandait du pain, le pauvre innocent. Ce ramage de pleurs, de gémissements, de lamentations, dura bien longtemps ; j'ai pensé qu'il y en avait qui voulaient mourir sur place sans se relever. J'entendis des hommes dire qu'ils ne voulaient point aller voir leurs maisons brûlées, personne d'ailleurs n'essayant à bouger. Comme je me remuais auprès des drôles, j'aperçus mon père qui versait des larmes tout bas et qui disait son chapelet. Il nous a dit après qu'en ce moment-là il avait prié la Sainte Vierge de nous donner le courage dont nous avions si grand besoin. C'était un rude chrétien que mon père, allez ! Oh ! comme il aimait le Bon Dieu et la bonne Sainte Vierge !

     

     Tout d'un coup, mon frère cadet pousse un cri, mais c'était un cri de joie : "Monsieur le Curé !" Ah ce nom, tout le monde se trouva debout, regardant du côté indiqué. M. le Curé arrivait par le bas du village avec précipitation, tout couvert de sueur. Oh ! s'il avait été là, nous n'aurions pas eu tant de misères : les Bleus ne nous auraient pas surpris, il nous aurait avertis à temps, et nos hommes, bien armés, les auraient bien arrêtés, surtout pendant la nuit. Mon père court et se jette à son cou. La voisine court aussi, puis les hommes, puis les femmes, puis tous, même les petits. On se jette sur lui, on lui prend les mains, on lui serre les jambes ; c'est à qui le touchera, l'approchera de plus près. Je ramasse son chapeau qui était tombé.

     

     Tout le monde criait et pleurait comme à un enterrement : "Oh ! Monsieur le Curé ! Monsieur le Curé ! mon pasteur ! mon père ! - Mes enfants, mes pauvres enfants, mes amis ! - Nous sommes perdus, c'est fini, nous allons mourir de faim ! - Courage, mon bon homme ! rassurez-vous, ma bonne, mes pauvres filles, me voici ... je vous sauverai, je suis venu exprès." Enfin, c'était toute une litanie de mots, de paroles à n'en plus finir. Moi, avec le chapeau que je retournais et retournais dans mes mains, même que je l'ai bisé j'étais par derrière, et je criais, et je criais plus fort que toutes les autres. Ca dura je ne sais combien de temps. Enfin ça finit par diminuer, et M. le Curé put se débarrasser des bras de mon père et du bonhomme voisin, qui l'avait embrassé plus de cent fois : je n'ai pas compté, pourtant, mais ça se voyait, tant le bonhomme était hors de lui. M. le curé nous dit alors : "Mes enfants, essuyez vos larmes, vous pleurerez plus tard, maintenant il faut vaquer au plus pressé : je suis venu exprès, dès que j'ai eu vent de votre malheur. Voyons, avez-vous du mal ? Etes-vous blessés ? Etes-vous tous ici ? Qui est-ce qui manque ?" On lui dit que nous n'avions point reçu de coups, mais qu'on ne savait ce qu'étaient devenus Biron, Victorine, la jeune veuve et ses deux enfants. "Il faut aller les découvrir, répond le bon M. le curé, peut-être sont-elles en grande peine ?" Puis, s'adressant à tous ces grands garçons et filles qui n'avaient point leurs habits et baissaient les yeux par honte : "Mes chers enfants, leur dit-il, n'ayez point honte, ce n'est pas votre faute, je vous aime tout de même. Je vas vous procurer des hardes, soyez tranquilles. Les Bleus ne seront pas toujours les plus forts. En attendant, mes garçons, venez m'embrasser". Les jeunes gens se précipitèrent dans ses bras, pendant que les filles lui baisaient les mains. C'était touchant. Le bon M. le curé, comme il pleurait pour empêcher les autres de pleurer ! mais c'était le contraire. Après cette scène : "Voyons, dit-il, à l'ouvrage, et que tout le monde écoute bien. Il faut aller au plus pressé, nous ferons le reste après. "Jacques, dit-il à mon frère, tu as de bonnes jambes, marche vite jusqu'à la Croix-Rouge de la Canterie. Tu regarderas bien pour voir si les Bleus ne reviennent point, par hasard, de Saint-Etienne : monte sur les arbres. Tu reviendras nous dire si tu as vu quelque chose, puis retourne vite. Toute la journée, tu feras huit fois le même voyage. Tu entends bien ? - Oui, Monsieur le curé", dit mon frère, qui se met à courir. M. le curé était si prudent ! Hélas ! si nous avions fait de même ! " Jean, Augustin, François, Jules, Georges (il appelait les cinq gâs qui étaient à moitié vêtus), approchez, mes enfants ; vous autres, courez à la Vézinière, au logis, et apportez tout le pain qu'on pourra vous donner. Il faut bien faire vivre tout ce pauvre monde. Vous direz de boulanger deux fournées ce soir sans manquer, je sais qu'il y a de la farine. Vous direz que c'est moi qui le commande. Allez et revenez au galop." Les gâs s'en vont comme un éclair. "Marie, Jeanne, - il s'adressait à moi et à ma camarade, les deux filles un peu habillées (le bon monsieur connaissait tout le monde) - vous autres, qu'il nous dit, comptez les pauvres gens qui n'ont pas de vêtements, les enfants, et allez en chercher où il y en a : vous en trouverez au logis, à la Vézinière, chez les métayers d'alentour. Marchez et apportez vite ce qui est nécessaire ; dites que c'est moi qui le commande, allons, en route ! "Pour vous autres, les femmes, les enfants, tous ceux qui n'ont pas de vêtements, demeurez ici devant la croix, et priez le Bon Dieu et la Sainte Vierge de vous garder. Les hommes, en attendant le pain à venir, allons à la recherche de ceux qui manquent, seulement autour des maisons brûlées."

     

     Ma mère commença aussitôt à dire le chapelet que chacun recordait. Moi et Jeanne, nous étions restées là par derrière en nous cachant un petit. Nous avions trop grand honte d'aller nous faire voir dans cet équipage aux belles servantes du logis et les faire se moquer de nous autres. Personne du reste ne fit attention à nous. Au bout d'un moment, M. le Curé revint vers nous ; il était pâle, il sanglotait : "Ah ! les misérables, criait-il, oh ! les malheureux ! Mon Dieu, miséricorde !" Il venait de trouver le cadavre de la vieille fille Biron. Les scélérats de Bleus l'avaient surprise dans son lit. Après l'avoir rouée de coups, ils l'avaient portée, enveloppée dans sa couverture, dans le petit pré à côté ; puis, à coups de sabre, ils lui avaient coupé un pied, puis l'autre pied, près les mains, puis le cou, puis ils l'avaient percée avec leurs baïonnettes. C'était bien elle qui avait poussé ces cris affreux que nous avions entendus la nuit. M. le Curé consola les femmes, et les fit demeurer à prier. Mais ce n'étaient point de belles prières, tant on avait de tremble et de frayeur. Puis, les garçons surtout, qui étaient là en chemise, murmuraient tout haut parce qu'on ne leur apportait pas de culottes : "Que font ces filles ? elles ne viennent pas," disaient-ils. S'ils nous avaient aperçues, c'eût été une belle chanson ! Mais aussi, étions-nous obligées d'attraper de la honte pour eux ? Et puis, si M. le Curé n'avait pas été là pour commander, il leur aurait bien fallu rester de même toute la journée, et combien de temps encore ! Sans laine, sans fil, sans le sou pour en acheter, il n'était pas possible de leur donner des hardes. Ils avaient donc grand tort de se fâcher contre nous autres.

     

     Voilà que les hommes arrivent au même moment. Ils apportaient le corps du petit de quatre ans que sa malheureuse mère avait délaissé dans sa fuite. Les Bleus l'avaient attrapé. Ils lui avaient percé la gorge avec un sabre et passé un bois dans le trou, puis ils l'avaient planté, en place de barrière, sur le bord du chemin. Dans sa petite main, crispée par les tortures de la mort, ils avaient mis un papier où il y avait d'écrit : "Vive la République !" A cette vue, les hommes reculèrent d'abord d'épouvante. Est-il possible qu'il y ait sur la terre des monstres pareils ? Il y en avait pourtant. Il y en a encore aujourd'hui, car les damnés d'aujourd'hui ne valent pas mieux que les damnés d'autrefois, et ils sont capables, dès que l'occasion s'en présentera, de commettre les mêmes abominations. Quel tort un enfant pauvre, âgé de quatre ans, pouvait-il causer à la République ? Là, trois femmes tombèrent sans connaissance. L'un des gâs présents, qui était parrain du petit martyr, prit le petit corps sur ses genoux jusqu'au moment de l'ensevelir. Après un moment, les hommes amenèrent la malheureuse mère qu'ils rencontrèrent avec la petite, blottie derrière la grange. Elle ne parlait pas, elle paraissait tout effarée. On lui cacha le corps du petit et elle sembla ne rien comprendre à ce qui se passait : elle était devenue folle. Au même moment, les gâs arrivèrent avec six grands pains. M. le curé, après avoir recueilli les membres de la fille Biron, vint aussitôt et dit à tout le monde de manger : on était guère entrain de le faire. Toutefois on mangea, surtout les petits enfants qui ne comprenaient pas trop nos malheurs. Je mangeais un petit, mais en me cachant la tête, quand un vilain gâs dit à M. le curé : "Oh ! Monsieur le curé, si vous saviez combien nous sommes mal à l'aise en chemise, en plein jour, devant tout le monde ! Ayez compassion de nous autres. Le désespoir nous prend. - Je le comprends, mes enfants, mais je ne sais pas ce que ces filles font là-bas. Je sais qu'il y a des vêtements, au moins pour le plus pressé, je connais les gens et on n'en refusera pas. Voilà un bon moment qu'elles sont parties, où sont-elles donc ? Patientez, mes pauvres enfants, patientez. Et vous, mes filles, vous pleurez ? Oh ! ce n'est pas la peine, je vous trouverai des hardes, soyez tranquilles. D'ailleurs, vos camarades, qui ont bon pied et sont de bonnes filles, vont arriver ..."

     

             Je me serais bien voulue ailleurs. Mon pauvre petit coeur faisait tic tac. Jeanne me disait tout bas : "Nous sommes perdues."

     

             Tout à coup, M. le curé nous aperçoit : "Tiens, s'écria-t-il, elles sont encore là ! Eh quoi ! mes vilaines, pourquoi n'êtes-vous pas allées chercher des vêtements, comme je vous l'avais commandé ?" Nous ne disions rien, bonnes gens ! Nous baissions la tête sur nos genoux. Une femme dit alors tout haut : "Elles ne sont pas parties parce qu'elles ont honte de leur toilette. - Oh ! c'est cela, reprend M. le curé de sa grosse voix. Oh ! les petites orgueilleuses ! Nous allons voir !" Puis, cherchant des yeux mon père, qui était occupé à consoler la pauvre folle un peu plus loin : "Père Jean, cria-t-il, venez donc par ici, et tout de suite, venez vite !" Heureusement, mon père n'entendit pas, mais moi j'entendis bien, et sans attendre qu'il répétât, je prends mes jambes à mon cou, et dame, je trottais sur le chemin de la Vézinière. Jeanne me suivait en courant.

     

               - Nous l'échappons belle, qu'elle me dit. Si mon père avait été plus près de moi, j'en avais une volée !

     

                  - Moi, je l'attraperai sûrement ce soir, lui dis-je.

     

     Par bonheur pour nous, nous avions trouvé, à peu près, ce qui était le plus nécessaire. Nous sommes donc revenues bien contentes. On ne s'était point moqué de nous, bien le contraire. Même, Mlle de la Forêt (propriétaire de la Vézinière) nous embrassa en pleurant. Avec ce que nous apportions, on habilla tous les petits enfants, excepté mon petit frère. Il n'y avait point de robe pour lui, étant trop grand. Avec cela que ma mère me gronda fort, disant que je l'avais fait exprès : j'en pleurais. Je n'avais pas de chance. Les gâs et les grandes filles prirent ce qui leur allait le moins mal, si bien que Jeanne et moi étions les seules sans avoir d'effets. C'était notre tour. M. le Curé nous regarda, mais il fit mine de ne pas se rappeler notre fredaine. Il était si bon, le bon Monsieur ! Il était midi. M. le curé fit mettre les deux corps dans un coffre et mit deux filles à le garder, auprès de la petite croix, puis il dit : "Allons, mes enfants, maintenant que vous êtes habillés, venez avec nous autres travailler. Il faut sonder les ruines de l'incendie."

     

     Personne, jusqu'à ce moment, n'avait osé s'en approcher, ni regarder, tant on avait peu d'avoir tout perdu. Je crois bien que sans M. le curé on aurait laissé faire. Le feu fumait toujours. Puis il faisait si grand chaud ! On était pieds nus pour marcher sur les charbons. On commença par notre maison, qui était la plus près. Il n'y restait que les quatre murs. Nos lits étaient brûlés ; par un grand bonheur, le coffre où ma mère mettait les hardes du dimanche était sauvé, à cause d'un amas de pierres tombées dessus. Le soir, nous pûmes nous habiller tous convenablement. Mon petit frère eut enfin une robe : c'était la dernière qu'il garda jusqu'après la guerre. On ne pouvait pas faire autrement dans ces temps malheureux. Le blé, que mon père avait caché dans un creux, était sauvé, ce qui nous fit bien du plaisir ; nous étions sûrs de ne pas mourir de faim, au moins pour le moment. Il n'y avait qu'une partie de la grange de brûlée. Le restant servit beaucoup à tout le village, car c'est là qu'on se rassemblait ensuite, dans les mauvais temps. Tout le toit aux bœufs était consumé. Mais ce qui fit grand compassion et fit verser des larmes, ces démons de Bleus avaient bien éventré, à coups de sabre et de baïonnettes, toutes nos pauvres bêtes. Quelle rage d'enfer ! Quel mal ces pauvres bêtes faisaient-elles à la République ? (3) Mon père, oh ! mon pauvre père ! il s'en arrachait les cheveux de colère contre ces maudits. Il montrait le poing vers les Lucs, à ce failli gâs qui avait amené les Bleus.

     

     C'étaient, à peu près, les mêmes misères dans les deux autres métairies. Dans celle du Bas, les granges, les toits étaient brûlés, les bêtes tuées, la maison brûlée, sans y trouver un seul morceau de vêtement. Aussi M. le Curé fut obligé, les jours suivants, de chercher partout pour tout ce monde. La boulangerie était pourtant préservée avec trois pochées de froment, les pauvres gens pleuraient si fort que j'en étais malade. Pourtant M. le Curé les consolait bien et leur promettait de les secourir. Dans la métairie du Mitan (4) on put sauver la moitié des hardes, à peu près, et tout le froment caché sous terre. Toutes les bêtes étaient tuées et les bâtiments à demi consommés. La maison de la fille Biron était brûlée. Dans les trois autres petits ménages, on sauva plus de la moitié des choses. Dame, que c'était triste ! Oh ! là ! là ! Sans M. le Curé nous serions tombés dans le désespoir. Mais lui, il nous consolait, il nous encourageait, il nous parlait du Bon Dieu, de la Sainte Vierge. Il nous disait que ces malheurs ne dureraient pas toujours.

     

     Dans la soirée, M. le curé envoya les jeunes gâs prendre le pain boulangé à la Vézinière. Mlle de la Forêt envoya aussi un peu de vin. Tout le monde mangea en silence, et M. le Curé avec nous, du pain sec, bien entendu. En ce temps-là, on était bien heureux quand on trouvait son content de pain. Après ce repas, M. le Curé nous emmena au bourg, à l'enterrement de la fille Biron et du petit. Seule ma mère resta avec les plus petits à garder la folle. Comme c'était triste, ces enterrements ! Tous les gens du bourg vinrent pleurer avec nous dans l'église, qui était tout en ruine. On mit le cercueil dans la chapelle de la Sainte Vierge, qui était moins brûlée. On nous fit dire le chapelet, et M. le Curé récita des prières en latin.

     

     Le soleil était couché quand on rentra à la Bultière. Avec la nuit qui approchait la peur nous reprit tous, surtout après que M. le Curé nous eut dit qu'il s'en allait coucher à la Hardouinière, pour ses malades blessés.

     

             Toutes les femmes s'approchèrent ensemble et le supplièrent de ne pas nous abandonner. "Restez, lui disaient-elles avec supplications, avec vous nous n'aurons pas peur." Les hommes lui dirent aussi qu'il n'y avait pas moyen de passer la nuit dans le village, au milieu des ruines et des animaux, qui déjà commençaient à sentir. Que faire alors ? Chacun tirerait de son côté, on s'égapillerait et si les Bleus arrivaient on serait facilement massacrés. "Restez, ajoutèrent-ils et nous ferons tout ce que vous nous direz."M. le Curé était bien ébranlé, mais voilà ce qui acheva de le gagner. La femme de la métairie du Bas fit mettre à genoux, pendant que les hommes parlaient, toute sa petite troupe de drôles, devant M. le Curé. Alors, celui qui savait le mieux parler, âgé de cinq ans, levant ses petites mains, lui dit tout haut : "Oh Monsieur le Curé, venez coucher chez nous pour empêcher de tuer mes petits frères et mes petites soeurs." A ces paroles, M. le Curé, voyant les femmes pleurer, n'y tint plus. Prenant le petit dans ses bras, il l'embrassa en disant :  "Eh bien ! oui, mes chers petits, je resterai coucher avec vous cette nuit." Ce fut une bonne parole.

     

     Alors, M. le Curé nous dit de prendre tous nos effets et de le suivre. Ce fut bientôt fait : il y avait si peu de choses à prendre ! Il nous emmena, et la pauvre folle avec nous dans le petit chemin écarté qui mène au petit bois, au bout de la rangée de sapins. Là, on ne pouvait pas être vus, il y avait de l'herbe et de grands arbres pour faire des abris. Il fut facile de trouver des places pour nous coucher. M. le Curé fit la prière, puis la prière des défunts. Il nous demanda si nous avions bien nos cœurs. Les hommes étaient dans l'habitude de porter un petit cœur en plomb, suspendu à leur cou, et les femmes un cœur d'étoffe de couleur, cousu sur la chemise. Personne, alors, n'aurait voulu dormir sans avoir son cœur. Il dit ensuite à deux hommes d'aller du côté du Luc monter la garde, jusque vers le milieu de la nuit. Il envoya aussi deux gâs du côté du bourg, puis il nous bénit, nous souhaita une meilleure nuit, et, sautant par dessus le buisson, il se coucha de l'autre côté. De la sorte il restait bien avec nous, comme il l'avait promis. Bien vite, tout le monde était endormi, on était si épuisé !

     

     Je m'éveillai de bonne heure, je vis tous les hommes qui dormaient. J'aperçus M. le Curé qui faisait les cent pas devant les sapins, il lisait des prières dans un livre. Quand le soleil fut levé, il vint à nous, et dit la prière du matin. "Maintenant, nous dit-il, je m'en vas m'en aller à l'Hardouinière (5) ; je suis inquiet, car cette nuit j'ai entendu des coups de fusil de ce côté et je veux aller voir. Père Jean, donnez-moi un de vos garçons, je vous l'enverrai vous dire ce qui s'est passé." Ce fut mon frère aîné qui suivit M. le Curé et revint nous apprendre que l'affaire s'était passée à Saligny.

     

             Vous allez tous, dit M. le Curé, rentrer dans le village. Occupez-vous de nettoyer vos maisons brûlées. Faites-vous des abris en attendant mieux, car vous ne pouvez pas toujours coucher dehors. Aidez-vous tous, en commençant par un bout. Vous reviendrez coucher ici tant qu'il sera possible. Soignez bien la pauvre folle ; en attendant que vous puissiez boulanger, allez chez Mlle de la Forêt, demandez du pain en mon nom. Comme vous manquez de tout, j'y pourvoierai."

     

     En effet, quelques jours après, il nous avait ramassé, par ci, par là, ce qu'il nous fallait de linge et de vêtements. C'était à n'y pas croire. Comment faisait-il ? Le Bon Dieu seul le sait et la Bonne Vierge Marie. Quel homme, Sainte Bonne Vierge ! Il nous dit encore que le dimanche suivant il dirait la messe au logis de la Vézinière, et qu'il fallait en prévenir les personnes des environs. Il dit aux hommes qu'ils devaient s'entendre pour monter la garde la nuit, chacun à leur tour. Il dit à mon jeunes frère, Jacques, qui courait comme un lièvre, que son devoir à lui était de monter la garde le jour, le pauvre enfant fit ce métier six mois durant. Il était si bon, ce cher frère, il n'a jamais désobéi de sa vie. C'était un petit ange. Avant la guerre, il servait la messe à l'église. Mes deux grands frères l'avaient servie aussi, auparavant. En voilà, des jeunes gens ! C'étaient les modèles de la paroisse. Ils étaient dévots comme M. le Curé. Avant la guerre, ils allaient communier tous les dimanches avec mon père et ma mère. Moi j'étais la moins bonne de la famille, un peu volage. Pourtant, soit dit sans me flatter, il y en avait beaucoup de plus méchantes que moi. Enfin il nous dit à revoir et s'enfuit avec mon frère par la route des Sapins. Tout le monde le regardait s'en aller jusqu'à ce qu'il eût disparu. Je pleurais tout bas de le voir partir. Allons, dirent plusieurs hommes, « à l'ouvrage, maintenant ! » Et tout le monde rentra dans le village. C'était le mercredi. Je vous assure que, durant ces quatre jours, nous avons fait de l'ouvrage. Le samedi, à midi, nous avions des chaumières où nous pouvions au moins dormir à l'abri. Ce soir-là, tout le monde coucha dans le village.

     

     Le dimanche matin, il y avait la messe dans le logis de la Vézinière. On y avait mis l'autel dans la grande porte du corridor, et tout le monde se tenait dans la grande cour. Il y avait du monde. C'était plein. Dame ! on priait. Vous auriez entendu tomber une feuille ; ce n'était pas comme maintenant, où les filles regardent de tous côtés et rient, où les jeunes gens parlent et s'amusent. Oh ! non.

     

           M. le Curé parla un bon petit moment. Je vis mon père aller communier, et puis mes trois frères, puis vraiment presque tous les hommes. Il y en avait je ne sais combien. Ce que je sais bien, c'est que je dis plus d'un chapelet pendant qu'ils communiaient.

     Ma mère fut communier aussi avec toutes les femmes de la Bultière, et les filles et d'autres personnes. Mais il n'y en avait pas autant que des hommes. J'avais bien remarqué, avant la guerre, que le dimanche, quand M. le Curé donnait à communier, il y avait toujours plus d'hommes que de femmes. C'est le contraire qui arrivait maintenant, je ne sais pourquoi. Tout de même, j'eus honte, quand je vis mes camarades communier, puis pas moi ; ma mère me l'avait défendu, à cause que j'avais désobéi à M. le Curé quand il m'avait commandé d'aller chercher des vêtements. Je me rappelle aussi que mon père disait souvent que s'il ne communiait pas, il perdrait courage : "Quand j'ai communié, disait-il, je ne crains rien, je traverserais la mer, s'il le fallait." Après la messe, M. le Curé nous quitta pour aller confesser les malades au Retail (6) et baptiser une vingtaine d'enfants.

     

     Le soir, nous étions tous assis à la porte de notre taudis, à prendre le frais en attendant la prière que mon père faisait toujours en famille. Il nous parlait du sermont de M. le Curé et de la messe. Tout à coup, mon petit frère, le plus petit, celui qui avait la robe et qui s'amusait entre les jambes de mon père, me dit sans malice, bonnes gens : "Petite marraine, pourquoi as-tu pas été avec maman à l'autel ?"

     Je lui répondis en lui faisant les gros yeux, mais mon père avait entendu:

     - Qu'est-ce que tu dis, mon mignon ?

     - Dame, ce matin, quand maman m'a laissé tout seul pour aller à l'autel de la messe, petite marraine est restée avec moi.

     - Ah ! est-ce par hasard tu n'as pas communié ce matin ? me dit mon père en me regardant.

            Moi je ne le regardais point, je baissais les yeux ; mon coeur battait fort, je tremblais, je ne dis rien.

     - Entends-tu ? qu'il me dit d'un ton plus haut, parleras-tu à ton père, enfin, voyons ?

     

              Je me risquai et tout bas je répondis que non.

     

    - Qu'est-ce que cela veut dire ? dit mon père en s'adressant à ma mère.

     

    - Voilà, répondit ma mère, ce qui est arrivé.

     

            Cette vilaine drôlesse, quand M. le Curé, l'autre jour, lui dit d'aller avec Jeanne chercher des vêtements pour les malheureux qui n'en avaient pas, n'y est pas allée, au point que M. le Curé a été obligé de t'appeler pour la faire marcher. Tu ne l'as pas entendu, mais la drôlesse m'a fait avoir grand honte, je t'assure. Pour la punir, je l'ai empêchée d'aller communier ce matin. Elle ne le méritait pas plus que sa camarade Jeanne que sa mère a laissée communier, mais cela la regarde. Je voulais pourtant te le dire pour la corriger. Pendant que ma mère me regardait, je me risquai à regarder mon père entre mes doigts qui cachaient ma figure. Bien m'en prit. Mais je ne lui donnai pas le temps de tomber sur moi. C'est moi qui défilais ! Heureusement encore que mes deux grands frères, qui m'aimaient, se mirent au devant de mon père et, le retenant dans leurs bras, lui demandèrent grâce. J'étais rendue au bout de l'aire.

     

    - Veux-tu rentrer ! me criait ma mère.

     

    Je n'avais garde de bouger, je tremblais, je pleurais, je me grattais les cheveux.

     

            Ma mère vint à moi ; et, me donnant une tape sur l'échine : "Galopine, qu'elle me dit, c'est comme ça qu'on se sauve de son père ! Marches-tu !" Et me poussant devant elle, et me cachant le visage dans mes mains, j'arrive tout doucement et toute saisie à mon père. Je me jette à son cou et lui dis que je ne le ferais plus. Je l'embrassais. Il ne me battit point. Mais le dimanche après, qu'il y avait la messe à la Caunière, (7) dans la cour du logis, il me fit attraper une paire de honte que j'en mouillai ma chemise.

     

     Après la messe, imaginez-vous, là, devant tout le monde, il me fit mettre à genoux devant M. le Curé et lui demander pardon pour ma désobéissance. Je le fis, mais sans trop savoir ce que je faisais, tant j'avais honte. Avec cela que toute la paroisse apprit, par là, ma malice, tandis que ma camarade Jeanne, qui était encore plus fautive parce qu'elle était plus âgée, n'attrapait rien. C'est que mon père n'entendait pas le badinage : avec lui, il fallait marcher droit. Il ne gâtait pas ses enfants. La preuve, c'est que nous n'étions pas gâtés du tout.

     

     

    FIN

     

     La Vendée Historique

     1905 n° 193

     

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     

     

    Notes :

     

     

     (1) La Bulletière se situe au Nord-Est de Beaufou, sur cette dernière commune. Sur l'IGN et le cadastre de 1838:

     

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     

     (2) La Marlaie. Contrairement à la famille Trichet, qui fuit vers le bourg de Beaufou, la jeune veuve fuit avec ses enfants dans la direction opposée et marquée par une croix rouge sur le cadastre. Il n'y a pas de « cellule psychologique » à cette époque, et pour cause, puisque c'est l'état qui terrorise et massacre le peuple. La pauvre veuve aura traîné cette abomination toute sa vie. Ci-après, vue de l'endroit possible où l'enfant fut découvert la gorge transpercée :

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     Les souvenirs de Marie Trichet....

     

     (3) Ces animaux qui sont censés être confisqués par la république pour alimenter l'armée, sont souvent brûlés ou massacrés comme leurs maîtres. Les témoignages abondent dans ce sens dans tout le pays ravagé par les colonnes infernales. La rage idéologique est telle, que l'on ne doit laisser rien de vivant sur le territoire, de peur d'avoir à faire à des animaux royalistes. Pour mémoire un fait qui marque les annales de la république en matière de débilité et d'aveuglement idéologique.

     

     (4) « Mitan » signifie « milieu » en vendéen.

     (5) L'Ardouinière est un gros hameau à l'Ouest de Saligny, à un peu plus de 6 kms à vol d'oiseau de la Bulletière de Beaufou. Dépendant de Beaufou, il sera rattaché à Belleville-sur-Vie le 15 février 1849. 

     

     (6) Nous n'avons pas localisé à ce jour de lieu-dit de ce nom sur Beaufou mais plutôt sur les Lucs à l'époque concernée. Le Retail appartiendra à la commune de Legé à partir du 12 juin 1861. 

     

     (7) La Caunière se situe, à l'Est de Beaufou, non loin de la Vivantière, dont nous reparlerons prochainement.

     

     

    Mise à jour :

     

    Nous pensons que les faits racontés par Marie se sont déroulé dans la nuit du 19 au 20 juillet 1794. En effet, à cette date, le tristement célèbre Huché a, depuis le mercredi 16 juillet organisé quatre colonnes sous ses ordres.

     

    La première, commandée par Ferrand se forme à Montaigu.

    La seconde, commandée par Aubertin, venue de Machecoul arrive au camp de Fréligné.

     La troisième, commandée par Chadeau, arrive de Challans et rejoint la précédente.

     La quatrième, commandée par Levasseur, sort du camp de la Roulière (Les Sorinières).

     

     On sait que la première colonne manqua de surprendre Charette à Rocheservière le 17 juillet. Le lendemain, les quatre colonnes sont réunies à trois heures du matin,  et à cinq heures, investissent la Bésilière sans y trouver Charette.

     De là, les troupes partent sur les Lucs, puis Belleville-sur-Vie, Saint-Denis-la-Chevasse qui est incendié, les Landes de Jouineaux et Boulogne. Le 20, les troupes de Huché sont à Palluau et ont donc dû passer par Beaufou... Le chemin de la Bulletière étant probablement le plus court et le plus pratique pour rejoindre la route de Palluau. Alain Gérard dans son ouvrage "Vendée, les archives de l'extermination", pense à un détachement républicain qui aurait pu se diriger vers Saint-Etienne-du-Bois dans la nuit précédente (op.cit, p.474). Nous pensons plus simplement que la Bulletière s'est trouvée malencontreusement sur la route de Huché lors de son retour depuis Boulogne.

     

    A suivre...

     

     RL

    Novembre 2015

     

     

           Nos sources :   Savary, tome IV, SHD B 5/10-1

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     

    Les souvenirs de Marie Trichet....

     


    2 commentaires
  •  

     

     

    LE COMBAT DE LA MORELIERE… 

      

     

     Quand, au mois d'octobre 1793, les Bleus, conduits par un traître du Poiré, passèrent sans s'y arrêter aux villages de la Chamusière et de la Morelière, impatients qu'ils étaient de surprendre les habitants dans leur sommeil, ce ne fut point un sentiment d'humanité qui leur fit alors épargner ces villages, et afin qu'on le comprît bien quelques semaines après, ils se ruèrent sur ces pauvres gens avec toute leur furie d'âmes féroces. 

      On était à la mi-décembre. Les grands froids étaient venus ; la gelée couvrait la terre. Ce jour-là, poussée par un vent froid de l'Est, une pluie fine mêlée de verglas tombait depuis le matin. C'était une bien mauvaise journée. La nuit qui la suivit fut bien pire encore. Les gens des villages toujours agités par la crainte des surprises si fréquentes à cette époque, de lamentable mémoire, passèrent cette journée dans leurs granges ou à grelotter auprès d'un maigre feu.

     La nuit vint de bonne heure et s'annonça pour tous les malheureux campagnards comme une nuit de douleurs et de souffrances. Le vent soufflait plus fort. La lune cachée sous les nuages laissait perler une clarté douteuse et sinistre.

     L'eau glacée qui tombait ne faisait point fondre la glace et la surface de la terre offrait l'aspect d'un miroir sur lequel le pied ne pouvait guère s'appuyer sans exposer à des chutes périlleuses. Telle commençait cette nuit qui devait être fatale à plusieurs. Les portes des maisons fermées dès la brune, les gens avaient longtemps prié, puis tout disposé pour une fuite prompte, en cas d'alerte. On avait mis auparavant en des lieux sûrs en différentes cachettes ce qu'il fallait faire échapper au pillage ; on n'avait conservé que le strict nécessaire. Fidèle à la consigne, un homme montait la garde des villages à tour de rôle, pendant la nuit. Cette fois, c'était un homme de la Chamusière, de la métairie d'en bas, qui veillait. Chaussé de gros sabots, coiffé d'un chapeau à larges bords, enveloppé d'une épaisse couverte il s'était blotti dans un épais buisson d'ajoncs et de bruyères sur le chemin allant au Poiré. Le danger alors ne pouvait venir que de ce côté là. Ainsi caché et couvert, il pouvait défier la pluie et le froid, et attendre sans trop de peine la venue de l'ennemi, qui ne se fit pas d'ailleurs longtemps attendre.

    Par un raffinement de cruauté, qui ne soit pas étonner de la part de semblables monstres, les bleus choisissaient de préférence les temps les plus pitoyables afin de faire périr par le froid les infortunés qui échappaient à leurs coups. Le bruit de la colonne des bleus qui approche étant entendu et distinctement connu, l'homme qui veillait arrive au pas de course et donne aux deux villages le signal de la fuite. Comme on y était préparé, il n'y eut pas de déroute ni de désordre dans la fuite. D'abord on fait sortir le bétail des toits, et on le conduit dans les prés d'alentour pour le sauver de l'incendie, puis chacun se chargeant de draps, de couvertures, et de quelques autres objets que l'on pouvait emporter, ainsi que des petits enfants, les portes demeurant toutes grandes ouvertes, les habitants des deux maisons de la Chamusière vont se cacher à une certaine distance du village, dans un épais buisson à l'abri du vent et de la pluie. Au même instant ceux de la Morelière en faisaient autant, tous ensemble, dans le champ même où se trouve l'aire de la famille Guibert. On tenait à ne pas trop s'éloigner des maisons afin de voir et d'entendre ou de deviner les projets de l'ennemi. D'ailleurs s'il fallait fuir plus loin, la fuite était toujours possible dans les ténèbres ; on le croyait du moins, mais c'était souvent une imprudence.

     Arrivés à la Chamusière et ne trouvant personne, les bleus comprirent que leur coup était manqué. Les gens qu'ils venaient massacrer s'étaient enfuis, ils se ruèrent sur les bâtiments qu'ils brûlèrent en partie, laissant intactes pour cette fois les granges qui leur servirent d'abri contre la pluie et le verglas.

    Pas de chance pour la colonne infernale....

     Il y avait deux heures que les maisons brûlaient quand l'officier qui commandait la bande, forte de plusieurs centaines d'hommes, fit sonner la retraite et reprendre le chemin du Poiré, sans paraître s'occuper du village de la Morelière. C'était une ruse, il feignit de s'en aller pour mieux surprendre le monde : ce stratagème ne lui réussit que trop malheureusement. La métairie du bas était habitée par une famille de très braves gens composée de dix personnes : le père, la mère, deux belles-soeurs, quatre garçons et deux jeunes filles.

     Comme on vient de le voir, tous les gens du village se tenaient cachés ensemble dans le même champ. Dès que ces pauvres gens n'entendirent plus les cris des bleus, à la Chamusière, la plupart les crurent partis. Le père de cette famille dit alors aux autres : "Nous sommes trop mal ici, nous allons geler, puisqu'ils sont partis, rentrons à la maison nous chauffer et nous faire sécher ; il n'y a plus de risques. - "Plus de risques ? répond le bonhomme Guibert, chef de l'autre métairie : le pensez-vous, voisin ? Moi, je crois qu'ils ne sont pas partis du tout et qu'ils ne vont pas tarder à tomber sur nous autres. - Bah ! reprit l'autre homme, tant pis ! Puisqu'il faut périr, je l'aime autant à la maison que dehors". Puis, voilà qu'il s'en va et emmène toute sa famille. On fait du feu, on se sèche, puis on se met résolument au lit, et bien déshabillé. C'était une imprudence impardonnable.

      En ce même moment, les bleus entraient dans le village. Trouvant les portes des Guibert toutes ouvertes, la maison vide, ainsi que les autres toiteries du bas, le commandant parlait de s'en retourner sur ses pas : "Les moineaux se sont envolés, s'écrie-t-il avec colère, et frappant un coup de sabre sur une charrette, à une autre fois, allons-nous-en à l'abri. - Mais, commandant, lui dit alors un soldat, je vois la porte de la maison fermée, parions qu'il y a du monde. - Vas-y voir, répond le commandant, et si tu trouves du gibier, appelle".

     De l'intérieur de la maison, on entendait bien le bruit des paroles, mais par une étrange fatalité on s'imagina que c'était la famille Guibert qui, aussi elle, rentrait à son tour à la maison. L'idée des bleus ne vint à l'esprit de personne quoique tout le monde fût bien éveillé.

     Tout à coup, la porte s'ouvre et la pâle clarté que la lune laissait passer à travers les nuages permet de voir tout debout, sur le seuil de la porte, un grand estafier de bleu. Frappé de terreur, l'homme ne fait qu'un saut de son lit à la porte et lançant dans le ventre du bleu un violent coup de pied, le renverse par terre ; puis par la porte du pré se sauve à toutes jambes, comme un fou, pieds nus, sans autres vêtements que sa chemise. En moins d'une minute, toute sa famille le suit dans le même équipage. On ne crie pas, on suffoque d'épouvante. La pensée des bleus qu'on pense à la poursuite donne des ailes. On marche, on court, on se précipite sur la glace qui enfonce, on traverse le buisson sans voir les épines ; on ne sent pas la pluie de glaçons qui tombe. On saute dans le chemin rempli de terre à moitié gelée, du chemin on saute dans un champ d'épines, de ce champ dans un autre. C'est une course effrénée, une course désespérée. Enfin, à bout de forces, on s'arrête, plusieurs tombent à terre. Les coeurs battent, on étouffe. Le père, un peu revenu à lui-même, s'arrache les cheveux de désespoir ! "C'est moi, crie-t-il, qui en suis la cause ! Malheureux que je suis ! Ah ! ma femme, mes pauvres enfants ! je suis cause de votre mort..."

     Après un moment d'inexprimables angoisses, un peu de raison se fit jour dans ces têtes bouleversées. Le sentiment de la conservation reprit le dessus et fit chercher un abri. Un gros buisson double dans un champ, plus loin, leur offrit un abri. Toute cette infortunée famille s'y cache comme elle peut. Mais juste ciel ! dans quel affreux état ! A peu près sans vêtements, l'unique lambeau de linge qui les couvre tout imprégné de pluie et de neige fondue. Tout le corps vermoulu ; un temps exécrable. Qui peut y penser maintenant sans éprouver au fond de son âme une indicible horreur pour ces démons de révolutionnaires, cause de tant d'abominations.

      Cependant le bleu qui avait ouvert la porte, frappé si rudement, était tombé à la renverse sans pousser un cri ; il avait le ventre ouvert et était mort sur le coup. Les autres accoururent à son aide. Dans une seconde, la chambre est envahie. On jure, on blasphème, on hurle, on perce les lits à coups de baïonnettes. Les vêtements, les chaussures, laissés là, dénoncent l'état désespéré des fuyards : "Nous les aurons, ces brigands, hurle le commandant ; brûlons d'abord leur repaire". Le feu est mis en dix endroits à la fois. Malgré la pluie, la maison n'est bientôt plus qu'un vaste brasier qui projette au loin ses sinistres lueurs et porte la désolation dans le coeur des voisins, qui pensent en bonne vérité que toute la famille est ensevelie dans les flammes. Hélas ! cette pauvre famille voyait, sans presque le voir, l'incendie de sa maison, tant sa frayeur était immense, tant elle avait les sens bouleversés. Mais elle n'était pas encore à la fin de ses déboires.

      Ivre de colère et de rage, le commandant des bleus, pensant que les fugitifs échappés ainsi dans une complète nudité ne sont pas loin et ne pourront longtemps se soustraire aux recherches, forme plusieurs patrouilles et les lance de tous côtés à la chasse des malheureux. Ils ont ordre de suivre tous les buissons, de sonder tous les champs, de ne faire aucune grâce ni pitié. Il les menace de les faire fusiller s'il échappe un seul brigand. Il n'y a ni pluie, ni froid, ni ténèbres qui tiennent. Il faut coûte que coûte, trouver les brigands et les massacrer.

     Il n'était pas besoin de stimuler ainsi le zèle de ces démons maudits qui, depuis si longtemps, se repaissaient de sang et de carnage.

     Dès le premier moment, la famille Guibert, qui se croyait en sûreté dans son champ, faillit être surprise. La patrouille passait tout juste l'autre côté du buisson. On se fait une idée de l'épouvante. Vite, on décampe à petits pas, en se baissant, en retenant son haleine ; par un grand bonheur, au lieu, cette fois, de chercher un asile dans les champs où ils eussent été cernés par d'autres patrouilles, ils s'aventurèrent par le large chemin du bourg, où ils vinrent se réfugier et jeter l'alarme.

     Courant sans doute à leur poursuite, une patrouille s'empare d'un homme, à cheval, venant par le chemin de la Carterie. On sut après que cet homme était meunier de la Brouardière, allant porter de la farine on ne sait où. On s'est demandé, sans le savoir, comment il se trouvait là à cette heure. Les bleus éventrent son cheval à coups de sabre et l'entraînent lui-même dans le village, au milieu des coups de crosses et des imprécations. C'est à qui lui fera endurer le plus de supplices. On le traîne par les cheveux, par les pieds. On l'assomme à coups de crosses, on le foule aux pieds, enfin deux scélérats le prennent comme fagot au bout de leur baïonnette, le jettent dans le brasier. Il n'y a dans tout l'univers que deux espèces de créatures capables de commettre de semblables forfaits : les démons et les tîgres. Les cris affreux poussés par ce malheureux jetèrent une telle épouvante dans l'âme des malheureux cachés sous leur buisson, que la mère faillit s'en évanouir. Ils crurent tous que c'était le père Guibert qu'on martyrisait.

     En même temps les gens de la Morlière, trahis dans leur retraite par les cris des petits enfants, étaient traqués comme des bêtes fauves de champs en champs et n'échappèrent que par une sorte de miracle en se réfugiant dans un bois-taillis. Les patrouilles, n'ayant pu y pénétrer pendant la nuit, attendirent le lever du jour, mais le jour changea les rôles, comme il sera dit plus bas. 

    Pas de chance pour la colonne infernale....

     

     Si pénible que la fuite avait été pour les gens des autres métairies, elle devenait à peu près impossible pour les malheureux incendiés dans l'état effrayant où ils se trouvaient. Cependant il fallait bien fuir. Une forte patrouille de soixante bleus fouillait tous les buissons en tirant des coups de fusils dans les fourrés. C'était la mort, mort inévitable, arrivant avec toutes ses horreurs et avec toutes les infamies. Des bleus étaient déjà passés dans le champ : "Nous sommes perdus, crie le père au désespoir, sauvons-nous", et il entraîne son monde vers un autre champ. Un épais buisson les arrête ; les jeunes le traversent quand même en laissant aux épines, avec leur sang, un lambeau du linge qui les couvre. Il faut arracher les femmes, en les tirant par les bras : "Venez par ici, crie le père ... Montez là-bas ... plus loin ... courez vite Ah ! les voilà !" Il perdait la tête, le malheureux homme. On court, on se précipite de côtés et d'autres, puis on s'appelle, on s'attend, on se rassemble, on s'embrasse, on se dit adieu. Puis on reprend une course désordonnée dans les genêts, les ajoncs : on tombe dans des trous ; les femmes poussent des cris, et, sans le vouloir, appellent ainsi les ennemis, qui tirent des coups de fusils. Cette débandade affolée de champs en champs, à travers les buissons, se continue plus d'une demi-lieue. A un moment, la lune perçant les nuages éclaire ce lugubre spectacle et permet aux bleus d'apercevoir les fugitifs dans leur détresse. Alors un cri de joie féroce fait retentir la vallée : "Là-bas, camarades, là-bas, les voilà ! nous les tenons !" Elle est forte, la pensée de sa propre conservation ; il est fort, le sentiment du désespoir ! Ce cri de mort ranime les forces des malheureux qui sautent dans le chemin qui mène à l'Auspierre. Ils marchent, ils courent, ils volent mais les bleus volent aussi, et encore plus vite. La femme tombe dans une ornière ; sa soeur aînée tombe aussi dix pas plus loin. Vingt bleus accourent, les percent de coups de baïonnettes, les pourfendent à coups de sabres, leur écrasent la tête à coups de talons.

     Au même instant, le clairon retentit au village de la Morelière. Il sonne la retraite, une retraite précipitée ; il appelle au secours. Là se passait une autre scène. Ce son du clairon fut le salut des autres misérables tombés cent pas plus loin, dans un recoin, pêle-mêle, anéantis. On eût dit autant de cadavres gelés couchés dans la boue. Le père reprend le premier ses sens ; il jette autour de lui des regards effarés ; il voit son monde étendu sans vie. Il veut crier, son cri expire sur ses lèvres. Il veut pleurer, ses yeux n'ont plus de larmes. Il veut se lever, il tombe ; il se traîne enfin ; il relève ces têtes défigurées par la douleur et la neige glacée ; elles respirent encore. Le froid qui les dévore les rappelle à la vie. "Ma femme, ma femme, s'écria soudain cet infortuné père ! Ma pauvre femme !" Elle n'était pas là. Il se lève ; ses enfants le suivent de loin ; ils le voient qui chancelle et qui tombe. Il était tombé sur le corps massacré de sa malheureusement femme. Les enfants se précipitent pour le relever. Il était mort. Trois cadavres dans le sang.  Le ciel seul pourrait dire ce qui se passa alors dans le coeur de cette malheureuse famille.

      Plus tard, dans la matinée, portant dans leurs bras, serrés par l'amour et le désespoir, ces trois corps ensanglantés, les survivants à ces scènes de carnage arrivaient au village de l'Auspierre. Une veuve les recueillit dans sa grange sur un tas de foin, seul abri et seul secours qu'elle pût leur donner. Un enfant s'en va dans le bourg porter la désolante nouvelle. Le premier qu'il rencontre est M. le Curé qui venait de lancer une trentaine d'hommes à l'attaque des bleus. Le coeur percé comme d'un coup de poignard, M. le Curé court à la Voisinière, prend un panier de vivres et suivi d'une charrette se précipite vers l'Auspierre au secours des infortunés qui, en réalité, agonisaient ; appeler à son aide tous les gens disponibles, faire allumer du feu, quêter des linges fut l'affaire d'un moment. Secondé par des personnes capables, ils frictionne et fait frictionner les mourants, les réchauffe peu à peu, leur fait renaître le sentiment, les rappelle à la vie. Des breuvages discrètement donnés leur donnent de la force. Ils parlent enfin. On espère les sauver. Le jour baissait quand la charrette, portant cachés sous un vaste drap les dix corps de personnes dont trois cadavres, s'achemina au pas lent des boeufs vers le bourg et le cimetière. A la Voisinière, dans l'arrière cuisine, sur des paillasses improvisées, on déposa les sept personnes survivantes et une heure après le père, la mère, la tante de cette famille affligée reposaient avec leurs ancêtres dans la terre bénie du cimetière.

     Les bons soins prodigués par Mlle de la Forêt rendirent assez promptement la santé à un des enfants qui, quelques semaines après, purent se rendre à la Morelière retirer de dessous les décombres les débris de leur pauvre mobilier.

    Pas de chance pour la colonne infernale....

     On a vu plus haut que la famille Guibert, échappant à la poursuite des bleus, était venue dans le bourg jeter l'alarme. M. le Curé, qui se doutait de quelque chose, était déjà en route pour aller voir. A l'annonce du malheur, il jette un grand cri d'alerte. Deux heures après, trente hommes bien armés étaient en sa présence. "Allez, mes enfants, leur dit-il, soyez gens de coeur, soyez prudents, mais sauvez vos frères. Je vous envoie, à la garde du coeur de Jésus et de la bonne Vierge Marie, Marchez !"

      La petite troupe arrivait silencieusement au cours d'eau qui coule en bas, quand, débouchant du chemin de la grande Roulière, une patrouille de vingt bleus contourne le coin du champ et s'engage dans le chemin de la Morelière.

     Une décharge de fusils en couche dix-neuf par terre. Ils tiraient bien les gars de Beaufou ! Le survivant prend la fuite à la Morelière et jette l'effroi dans le coeur de ses camarades en leur criant : "Le général Charette !" Ce nom terrible fait pâlir les scélérats qui, s'imaginant aussitôt avoir sur les bras toute une armée, tombent dans une incroyable confusion.

      En moins d'un instant le désordre est à son comble. C'est alors que sonna le clairon qui sauva les fugitifs sur le chemin de l'Auspierre.

     Cependant les trente hommes de Beaufou, fortifiés de dix autres accourus au secours, s'étaient avancés au pas de course. Au détour du chemin de la Carterie apparaît une autre patrouille emmenant des moutons. Une seconde décharge en abat quinze sur le terrain. Les autres se sauvent vers le village en y portant l'épouvante. Le commandant perd la tête : "Sauve qui peut" crie-t-il, d'une voie étranglée par la peur. Ce ne fut pas une fuite, ni même une débandade, mais un pêle-mêle, un tohu-bohu indescriptibles. Des cris de rage, des imprécations, des blasphèmes. Les uns veulent se cacher dans les granges, les autres sortent. On se foule aux portes, on s'écrase.

     En ce moment une partie de la petite armée se montre à l'entrée de l'aire et, poussant chaleureusement le noble cri : Vive la religion ! tire à bout portant sur cette masse de sacrilèges qui se culbutent, se foulent et se percent de leurs propres armes.

      Au même instant le restant de la troupe se présente de l'autre côté au coin de la maison des Guibert et au même cri, hautement enlevé: Vive la religion ! mitraille sans pitié la bande infernale.

      Cependant de tous les côtés d'où l'on entend la fusillade on accourt. Les gens de la Carterie, les fugitifs de la Chamusière, les hommes du Coudreau, et d'ailleurs. Ces intrépides jeunes gens arrivent armés de fusils, de fourches et de faulx, les femmes elles-mêmes prennent les armes. Par une circonstance providentielle les Guibert avaient, la veille au soir, laissé dans le chemin une charrette de landes qui obstruait complètement le passage.

      Cet obstacle imprévu dans un chemin bas, étroit, resserré entre deux buissons élevés, devint la cause d'une horrible mêlée. Les premiers à la fuite s'arrêtent, rebroussent chemin. On se heurte, on se culbute, on se foule, on se perce avec ses propres armes.

     Les gars de Beaufou tirent de meurtrières décharges, les balles sifflent. Du haut du champ par-dessus les buissons, les personnes armées de fourches et de faulx taillent à grands coups dans cette forêt de têtes. Le massacre est affreux.

     Enfin une issue à la fuite s'ouvre par les près de la Chamusière. Poursuivis sans relâche par une partie des combattants, traqués partout par les gens des villages, les scélérats échappés de leur défaite rentrent sans armes au bourg du Poiré, où dans la nuit suivante ils furent tous exterminés par les habitants du bourg.

     Cependant à la Morelière le spectacle était épouvantable. Des centaines de démons à figures humaines gisaient-là dans les étreintes de la rage du désespoir et de la mort. Des cris, des hurlements, des horreurs ; des flots de sang coulèrent à la rivière. On eût dit des monceaux de vipères qui grouillaient.

     Les nombreux cadavres des scélérats furent enfouis au fond d'une carrière par les blessés eux-mêmes que les balles vengeresses des Vendéens précipitèrent ensuite pour combler le vide. Les misérables ne demandèrent pas une grâce impossible en face des maisons incendiées et de tant d'honnêtes personnes si indignement massacrées.

     Le soir la petite armée, forte à la fin de soixante-six combattants, rentrait en triomphe dans le bourg où, pendant toute la durée de la bataille, les vieillards, les femmes, les enfants avaient récité le chapelet et invoqué le Sacré-Coeur de Jésus. C'était leur manière de combattre. Ils chantaient ces braves, dont aucun n'était blessé, les louanges du Bon Dieu : "Bénissons à jamais, le Seigneur dans ses bienfaits". Ils entrent en chantant dans l'église sur un monceau de ruines ; ils se mettent à genoux devant l'autel renversé et remercient le bon Dieu et la bonne Vierge Marie de leur victoire. Ils chantent les litanies de la Sainte Vierge et trois fois l'invocation si chère à leur coeur : Coeur trois fois saint de Jésus, ayez pitié de nous !

     A leur sortie de l'église, arrivèrent les trois corps victimes de l'atrocité des bleus. Ces héros, tout à l'heure si terribles, versent des pleurs d'attendrissement ; ils les prennent dans leurs bras, les présentent à l'image vénérée de la sainte Vierge et, mêlant à leurs larmes une courte et fervente prière, vont les déposer au cimetière auprès de leurs pieux ancêtres.

     Une scène touchante finit cette affreuse journée. C'était lui qui les avait envoyés au combat sous la protection du Sacré-Coeur de Jésus et de Marie. Jésus et Marie leur avaient donné la victoire. Ils étaient sauvés et tout le pays avec eux : "Gloire au coeur de Jésus ! répétaient-ils, gloire à la bonne Mère ! Gloire à M. le Curé !". Gloire à vous, mes enfants, redisait le curé ! à vous le salut de vos familles, l'honneur de la paroisse ! les héros de la religion !".

     On a demandé comment un si petit nombre d'hommes a pu aussi facilement défaire plusieurs centaines d'hommes bien armés. La réponse est aisée : le nom du général Charette, jeté tout à coup à leurs oreilles par le soldat échappé de la première décharge, valait une armée. Resserrés qu'ils étaient dans les toiteries et les ruages étroits du village, ils ne purent en aucune façon faire usage de leurs armes - puis quand la panique se prend dans une armée, des enfants même en triompheraient ; mais par dessus tout, il y avait la malédiction du ciel qui écrasait ces hideux scélérats.

     Les métayers de la Chamusière eurent bien vite réparé, en partie, leurs désastres. Pour cette fois, la maison des Guibert était demeurée intacte : il n'en fut pas toujours de même, les bleus revinrent plus d'une fois dans ces lieux y porter l'incendie et la mort. Mais les détails font défaut et nous n'en dirons rien.

     Les malheureux enfants de la Morelière, échappés si miraculeusement au massacre, n'eurent pas le courage de relever les ruines de leur métairie. Ils eurent peur de voir ces lieux témoins de leur malheur. Ils quittèrent en pleurant cette paroisse où ils étaient nés, où ils laissaient leurs chers parents, pour aller cultiver une autre terre bien loin dans le Poiré. Les jeunes filles firent d'heureux mariages. L'aîné seul des garçons prit une femme.

     L'amour du devoir, la pratique de la religion, la fidélité aux bons principes furent longtemps héréditaires dans toute la famille. Ils eurent aussi le culte de la reconnaissance, si oublié dans le monde. Tous sans exception revenaient une fois l'année au bourg et à la Voisinière apporter au prêtre et à la noble demoiselle qui les avaient sauvés de la mort le tribut de leur reconnaissance.

     

     

    Abbé FAUCHERON, La Vendée Historique, 1902, p. 137 et sq. 

     

     Pas de chance pour la colonne infernale....

    Les lieux, il y a deux siècles sur la carte de Cassini.

    Pas de chance pour la colonne infernale....

    Aujourd'hui sur la carte IGN.

      

    RL et son épouse, mars 2012

      


    1 commentaire
  •  

    RELATION DU TEMPS RECUEILLIE

     

    PAR L'ABBÉ FAUCHERON, CURÉ DE BEAUFOU...

     

     

     

    A la Remaudière (1) et autres villages réunis, tout le monde avait fui. Les maisons, du reste, avaient été saccagées deux mois auparavant. Mais trois petits imprudents d'enfants s'y firent prendre. On ne sait comment, échappant à leurs parents, ils s'approchèrent pour voir passer la troupe. Ils furent bien punis de leur curieuse témérité. Ces barbares se firent un jeu de les épouvanter.

    Les enfants martyrs....

            On les menaça de leur couper la tête, de les fusiller, de les faire rôtir, de les enterrer tout vivants. On voulut les faire jurer, blasphémer contre le bon Dieu.

              - Jure, crie avec colère un officier au plus jeune, âgé de huit ans, et je t'emmènerai avec moi.

              -Non, m'sieu ! répond en tremblant le pauvre petit, qu'un coup de pied violent envoie aussitôt rouler dans la boue.

     Un soldat le relève avec sa baïonnette et le jette dans le buisson. En même temps, le plus âgé, douze ans, était traîné devant une petite croix, au milieu du bourg de la Charnière. On lui mettait dans la main un sabre : - Abats cette croix, lui crie-t-on, et on te fera grâce !

    Les enfants martyrs....

     L'enfant saisit le sabre de ses deux mains, et puis, frappant un grand coup sur la pierre du piédestal, le casse en trois morceaux. Deux de ces forcenés tombent sur lui à coup de poings, à coups de pieds, puis ils le déshabillent, et, avec des ajoncs, lui font subir une flagellation sanglante. Le troisième enfant n'était pas moins torturé que ses camarades. Dans son épouvante, il avait tiré son chapelet de son gousset.

     

    A la vue de cet objet bénit, un cri de rage infernale sortit de la bouche de ces démons. L'enfant, renversé par terre, foulé aux pieds, est tenu, étendu sur le dos, par trois soldats, pendant qu'un quatrième lui meurtrit le visage à grands coups de chapelet. Ces pauvres petits martyrs avaient d'abord poussé des cris, le plus jeune même avait appelé à son secours. A la fin, ils ne firent entendre aucun gémissement, soit par l'excès de la douleur, soit par une faveur du ciel, au point qu'un officier, les croyant morts, dit au bourreau de ne pas les achever si vite. Ces paroles inhumaines donnèrent une nouvelle activité au zèle atroce de ces cannibales.

     

     - Prolongeons leur supplice ! crient-ils. Amusons-nous !

     On relève les enfants étendus dans la boue et dans le sang. On déchire leurs vêtements ; aux arbres qui s'élèvent au haut du quaireux, on les suspend par un pied seulement. Dix bras aiguillonnés par la fureur déchargent des grands coups de courroies sur ces petits corps déjà tout meurtris. On hurle la Marseillaise, on blasphème, on trépigne, puis commence un supplice sans exemple. Vingt soldats, l'épée à la main, entourent chaque enfant ainsi suspendu à la branche de l'arbre. L'un lui abat une oreille, un autre les doigts de la main, un troisième coupe l'autre oreille. Chacun frappe à son tour. C'est la main qui tombe, puis le poignet, puis le coude, puis l'épaule. Le pied, le jarret, le genou, la jambe sont tour à tour tranchés, tout lentement, avec un raffinement de cruauté, et au cri cent fois répété de : "Vive la liberté !"

     

     Un officier termine cette boucherie en enfonçant sa baïonnette dans le coeur encore palpitant. Un dernier coup de sabre abat les têtes, que deux femmes scélérates, qui suivaient les soldats, font rouler comme des boules le long du chemin…

     

     Dès le commencement de ces barbaries, une patrouille était partie du côté de la Rélière et avait surpris, cachée dans un buisson, une femme avec ses deux petits garçons, âgés de quatre et dix ans.

    Les enfants martyrs....

    Après avoir subi les plus grands outrages, cette malheureuse est hachée en morceaux à coups de sabre. Puis deux soldats, enfonçant leurs baïonnettes dans le corps des deux petits enfants, les emportent comme des fagots de bois sur leurs épaules, et, la pipe à la bouche, rentrent à la Charnière en ricanant des cris affreux poussés par les enfants. ...

     

     Les Conférences

     1908 - Huitième année - Tome I

     Paris - Maison de la Bonne Presse

     

    5, rue Bayard, 5

     

     

     Note :

     

     (1) Dans le texte original, on a retranscrit « La Renaudière ». Il s'agit bien de la Remaudière, village dépendant du Poiré-sur-Vie et accolé à la Charnière, dépendant de Beaufou.

     

     

     

    RL et La Maraîchine Normande

    Novembre 2013

     

     

    Les enfants martyrs....

     

     


    votre commentaire