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Les mystères de Lande Blanche....
Les mystères de Lande-Blanche…
Où sont les fusils de Charette ?
Dans la « Monographie Belleviloise » parue en 1975, François-Xavier Fréneau parlait en ces termes de l’ancienne commanderie de Lande-Blanche (1) :
« Nous avons déjà signalé qu’à s’en rapporter à la carte de CASSINI, ce lieu-dit est le seul, avec la Sauvagère, à être désigné par des caractères de calibre spécial. Cela est fort significatif de son importance. Mais citons les chroniques paroissiales de 1905 (2).
« "Lande-Blanche, ou Blanchelande" était autrefois une Commanderie qui avait appartenu à l’ordre des Templiers. Lorsque cet Ordre fut détruit par Philippe le BEL, Lande-Blanche devint la propriété des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, et réunie à la Commanderie des Habites (en Commequiers).
Lande-Blanche se composait d’un logis, d’une métairie et de deux moulins et elle percevait quelques devoirs, cens et rentes à la Roche-sur-Yon, et dans le voisinage. » (3)
Il convient en outre, de signaler qu’à Lande-Blanche, jadis, on exploitait le kaolin, cette argile très fine et même transparente, servant à fabriquer la porcelaine. Il n’est plus question de Kaolin. Par contre, subsistent toujours, en plus des anciens fours éteints, les vestiges de vieux hangars, spécialement aménagés, avec de multiples étagères assez basses, pour le séchage nécessaire avant la mise au four, des tuiles, briques et carreaux d’usage courant, fabriqués sur place, spécialement aux Tuileries, avec l’argile ordinaire, une terre jaune très caractéristiques et que le feu tournait au rouge-tuile ou rouge-brique.
Sur l’Atlas communal de Belleville, publié en 1880, Lande-Blanche ne figure plus qu’en lettres communes, comme les autres villages, et ce sont les Tuileries qui ressortent en caractères trois fois plus importants, avec la Sauvagère toujours, et aussi l’Aubonnière.
Mais, pour revenir à Lande-Blanche, aucun vestige de son glorieux passé n’y subsiste plus de nos jours. Allez-y pourtant si vous êtes amateur de souterrains et doté de la science magique qui permet de les découvrir et d’en suivre la trace, grâce au pendule, à la boule, ou toute autre façon. On peut même vous mettre sur la piste : le souterrain en question, partant de Lande-Blanche, aurait mené au Petit-Beaulieu et même à la Sauvagère. Et comme d’autre part une tradition ravivée en 1970 lors de l’aménagement de la maison CHARETTE, fait partir du pied de l’escalier antique sauvegardé, un autre souterrain et également dans la direction de la Sauvagère, force nous est bien de croire à l’importance exceptionnelle de ce domaine.
Et, ne l’oublions par : La Sauvagère, Petit-Logis a toujours fait partie de Belleville !... »
Fort bien ! Un texte qui fait rêver mais qui a le petit défaut d’avoir été rédigé dans les années soixante-dix, à une époque où il suffisait d’avoir lu trois livres sur un sujet pour prétendre le maîtriser. Il n’est pas question de démolir le travail de monsieur Fréneau, qui justement m’a fait découvrir l’histoire du souterrain de Lande-Blanche, mais simplement de remettre les choses à leur place. Si Lande-Blanche fut bien une commanderie, son nom n’est pas plus marqué sur la carte de Cassini que sur les autres plans de l’époque, sur le cadastre napoléonien ou la carte d’Etat-Major. Quant aux histoires de souterrains qui courent d’un point à un autre sur des kilomètres d’un point à un autre, je n’y crois guère.
Ici sur la carte de Cassini :
Ne pouvant tout raconter de Lande-Blanche et de ses alentours, je vous invite à consulter la note n°3 de cet article qui fera plaisir à tous les amateurs d’histoire, depuis le Moyen Age jusqu’à nos jours. En revanche, si Lande-Blanche a bien eu une importance, elle devait être surtout stratégique car voici une missive trouvée en série J des Archives Départementales de la Vendée en tant que pièce isolée, achetée en vente publique en 1989, qui pourtant avait été publiée par Savary (4). Cette lettre fut écrite le 8 mars 1794.
L’écriture en rouge correspond aux passages occultés dans la version produite par Savary, vous allez vite en comprendre l’intérêt je crois.
« Au quartier général des Blanches landes
le 18 ventose l’an deuxième de la République française,
une & indivisible.
Haxo, Général de Brigade,
Au citoyen Turreau général en chef de l’armée de
l’ouest
Je n’ai pas fait comme tant d’autres, mon cher camarade, qui disent avoir parcouru tout le Bocage. Je suis venu où personne n’avoit encore mis le nez (Savary dit le pied) et j’ai trouvé le lièvre au gîte, parce que j’avais bonne envie de le trouver. Tu m’avais ordonné de me concerter avec Cordellier pour nos opérations ; il a disposé comme il l’a voulu de deux mille hommes de mes troupes et j’attends encore sa première lettre en réponse à celles que je lui ai écrites plusieurs fois ; j’ai rassemblé moins de deux mille hommes à Pallueau et avec eux j’en suis parti le 16. (Savary écrit : je me suis dirigé vers la forêt des Gats). Dans cette journée j’ai tracé une route par l’incendie d’une trentaine de moulins. Le lendemain, même cérémonie, mais tout en brulant et cheminant vers la foret des gars (des gâts), mes tirailleurs y ont fait lever le gibier, l’affaire s’est engagée et auroit été des plus complettes si ces gredins (Savary écrit : les rebelles) eussent voulu tenir encore quelques instans ; mais la charge vigoureuse des mes chasseurs a la tete de mon avant-garde les a bientôt décidé à la retraite. Une quarantaine au moins est restée sur le champ de bataille ; si j’avais eu en ce moment toute la cavalerie que tu me promets depuis si long tems charrette n’auroit plus aujourd’hui un seul cheval à (sa) suite. Dans le nombre des morts se trouvent trois chefs qui louloient pratiquer leur retraite. L’un d’eux rattrapé par Chevreux capitaine des chasseurs lui a demandé comme grâce de l’achever d’un coup de pistolet, un autre se repentant sans doute de vie passée, disoit à un chasseur d’ordonnance tu ne me tuerois pas si tu me connaissais bien. Un de mes chasseurs d’ordonnance a eu le poignet percé d’une balle, un autre son cheval tué. L’un des mes adjoints, Lefaivre, a bien manqué (de) tomber entre leurs mains. Son cheval abbatu laissoit en leur pouvoir, mais il s’est contenté de laisser son habit et il m’a rejoint (Savary écrit : content d’abandonner son habit) et il m’a rejoint. Depuis trois jours je les pourchasse et je ne me serois pas encore arrêté si j’avois du pain que j’attends demain. Les renseignements que j’ai pris m’annoncent qu’il traine (Savary écrit : l’ennemi) dans sa suite quatre voitures de blessés. J’estime cette fameuse armée à 1200 hommes au plus qu’il faut aller dénicher dans les bois. La guerre continuelle que je fais aux moulins va leur ôter toute ressource dans ce pays.
Quant à la lenteur dont tu m’accuses, je t’oberve que je ne la connus jamais ni en spéculation ni en pratique ; lorsqu’il s’agit de servir mon pays rien ne sauroit m’arrêter ; après quatre mois de séjour et d’activité dans la Vendée sans désamparer ; je t’avoue que j’étois loin de m’attendre à ce reproche ; mais sois tranquille, je suis sans rancune comme sans prétention et je n’en irai pas moins mon train.
Salut, amitié, fraternité
Le général de Brigade
Haxo
J’oubliois de te dire que de mon côté la perte d’un homme et deux blessés et que depuis une dernière sortie de Machecoul j’ai au moins fait brulés cent vingt moulins »
Visiblement, Savary n’aime pas que l’on parle des moulins brûlés et de l’affamement des populations. Voilà encore une fois la preuve, si besoin en était, de la méfiance avec laquelle l’historien doit aborder les écrits de Savary. Et pourtant, la plupart d’entre eux recopient ses ouvrages sans se poser de questions… Je ne vous embête pas plus longtemps avec ce travail qui de toute manière fera l’objet d’ici quelques mois d’un travail plus particulier sur tout ce qu’il faut trier parmi les nombreux axiomes des Guerres de Vendée et de toutes les âneries racontées aussi bien par un camp que par l’autre.
Comme les histoires de trésors enfouis font toujours autant rêver, je vous propose ce soir de partir sur les pas de Charette du côté de Belleville-sur-Vie (5). On connaît l’affaire du débarquement d’armes et d’équipement par la marine anglaise les 10, 11 et 12 août 1795 du côté de Saint-Jean-de-Monts. Nous n’allons pas ici reprendre le cours de la bataille qui s’en suivit, ces faits sont connus. Contre 80 chariots de blé, Charette reçoit des anglais bien sûr de l’argent mais aussi 40 000 livres de poudre (soit 19.52 tonnes d’aujourd’hui), 3 000 sabres, deux canons de calibre 4 (selon une lettre de Charette au Comte de Provence du 15 août 1795, de calibre 8 selon Lucas de la Championnière), des chemises, des bas, des souliers, les fameux uniformes rouge qui ont tant fait parler et… 12 000 fusils. On sait que tout cet équipement fut emmené à Belleville-sur-Vie où il faillit y avoir un grave accident. La poudre fut stockée dans une maison près d’un hangar où un incendie se déclara dans la nuit brûlant 40 charrettes de foin. Heureusement, le vent souffla dans le sens contraire à la direction où était la poudre (6).
12 000, si cette hypothèse est exacte, c’est précisément le nombre de soldats, avec 800 cavaliers, que Charette passe en revue le 25 août ou le 14 septembre 1795, selon les sources, dans « la Lande Blanche ». En fait ces deux dates sont probablement fausses car une lettre de Canclaux au Comité de salut public datée du 16 août 1795 stipule ceci (7) :
« A Nantes le 29 thermidor l’an troisième de la République française, une et indivisible
LE GENERAL EN CHEF de l’Armée de l’Ouest,
Aux citoyens composant le Comité de Salut public.
Citoÿens représentants. Comme je n’ai reçu qu’après le départ du courrier d’hier, les lettre sud général Grouchÿ, je n’ai pû vous donner plutôt des nouvelles de ce qui s’est passé vers Challans, ou il s’étoit porté. Je vous avois mandé par ma dernière lettre qu’il comptoit tomber sur la queüe du convoÿ, et sur Charette lui-même, s’il vouloit venir. C’est ce que (ce) dernier n’a pas fait : sitôt que le convoÿ a été arrivé à Belleville, la poudre et autres munitions ont été distribués. Même des habits, à ce que l’on a ssure et particulièrement les habits rouges pour la cavalerie. De la tout s’est dispersé et chacun est retourné chez soi, et à la sa récolte, suivant l’usage ordinaire des brigands, et suivant les rapports qui m’ont été faits de quelques communes voisines de Nantes... »
On peut donc opter pour une distribution le 15 août, fête de l’Assomption et non le 25, fête de la Saint-Louis, ce qui ne me semble pas si anodin que cela pour les paysans vendéens. Donc si l’on en suit tout ce que l’on vient de voir, 12 000 fusils auraient été distribués à 12 000 hommes… Cela me paraît bien imprudent de ne pas en avoir gardé en réserve et à bien y réfléchir, c’est sûrement ce que Charette a fait… Si l’on se réfère au texte un peu naïf de F-X Fréneau, mais pourtant d’un grand intérêt, il y avait un souterrain sous la commanderie de Lande-Blanche, un autre également sous l’escalier de la maison Sainte-Anne, quartier général de Charette dans le bourg de Belleville. Concernant ce dernier, on sait par le chercheur de trésor Didier Audinot que (8) :
« En 1978, un particulier de Belleville, certain que le trésor du général se trouvait dans les caves de Sainte-Anne, obtint une autorisation pour y rechercher, en vain, une salle souterraine. »
Le quartier-général de Charette :
Et le fameux escalier sous lequel se trouverait une salle souterraine :
Admettons qu’il n’y ait pas de souterrain sous le QG de Charette, y en a-t-il vraiment un aux alentours de Lande-Blanche ? Au-vu de l’historique du lieu, cela paraît plus que probable, pour ne pas dire évident. A l'heure où je parachevais cet article, l'ami Amaury Guitard se trouvait sur place et nous a fait quelques photos de Lande-Blanche avec l'autorisation du propriétaire.
Le propriétaire de l'ancienne commanderie a lui aussi recherché la trace de souterrains depuis ces dernières années mais n'a rien découvert.
Ici, l'ancienne église transformée en grange :
Une pierre frappée d'une croix de Malte (donc postérieure à la chute de l'ordre du Temple) provenant de la commanderie et rapportée sur une maison du hameau :
RL
Août 2016
Mars 2020
Article connexe ici.
Notes :
(1) « Monographie Bellevilloise », 1975, hors commerce, p. 182 à 184.
(2) F-X Fréneau fait ici référence aux Chroniques paroissiales du diocèse de Luçon, consultables en ligne sur le site des AD85, en 4 num 503 104 - Belleville-sur-Vie (Chron. Parois., Tome 6 (35 fasc.), n° 29-35, p. 573-698) 1905-1906 (Vue 6/126).
(3) AD85, 1 Num 47/161, 1 Num 47/168. Sources complémentaires ici dans « Institutions locales » et ici. On notera en outre des anecdotes intéressantes ici et là. Ajoutons qu’un temple protestant exista à Lande-Blanche, détruit en 1665. AD85, 1 J 2780.
(4) AD85, 1 J 2134. Publiée également par Savary, tome III, p. 281 et 282.
(5) Belleville-sur-Vie et Saligny ont fusionné au 1er janvier 2016, pour former l’unique commune de Bellevigny, suivant la mode de ces assemblages grotesques de noms qui ne veulent plus rien dire mais qui permettent de gonfler artificiellement le nombre d’habitants de villages dont on détruit ainsi l’identité.
(6) Bittard des Portes, op.cit. p. 488 à 493. Consulter les sources primaires dans cet ouvrage.
(7) SHD B 5/12-13, v. 2 et 3/11.
(8) « Trésors enfouis des Guerres de Vendée et de la Chouannerie », l’Etrave, 2009, p. 47. Cette mention fera sûrement plaisir à notre ami Gérard, membre des Amis du Pont-Paillat, qui a bien connu le regretté et souvent très bien documenté Didier Audinot.
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