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Le camp de Largeasse....
Le camp de Largeasse...
Comme nous l'avions fait pour le camp de Chiché, nous nous sommes rendus aujourd'hui sur l'emplacement de l'ancien camp républicain de Largeasse.
Le département des Deux-Sèvres où étaient situés ces deux camps possède la chance de disposer d'un cadastre napoléonien dans les plus anciens. Ainsi Largeasse fut cadastré en 1810/1811 (comme Chiché), alors que la loi n'imposait son usage que depuis 1807 et que bon nombre d'autres départements ne disposent que de cadastres bien plus tardifs. C'est une chance inouïe pour le chercheur qui veut s'approcher au plus près du paysage que l'on pouvait rencontrer durant les Guerres de Vendée.
Situé au Sud du bourg au croisement de la route de Largeasse à Vernoux-en-Gâtine et de l'ancien chemin de l'Absie à Parthenay, ce camp fut tracé par le général Macors et ses retranchements furent réalisés " avec plus d'art que ceux du camp Chiché" si l'on en croit Hilaire Alexandre Briquet dans son "Histoire de la ville de Niort...", volume II, 1832, p.148. Bien que moins étendu que celui de Chiché, le camp aurait contenu 3 000 hommes sous les ordres du capitaine Spital. Les Vendéens n'auraient jamais osé l'attaquer. Pour autant, si l'on en croit le chevalier de Courcelles dans (Dictionnaire historique et biographique des généraux français ... - Volume 4 - par M. le Chevalier de Courcelles - 1822) le chevalier de Céris l'aurait attaqué et y aurait tué 2 000 hommes. Voir le blog de mon épouse ici.
L'emplacement du camp sur l'IGN marqué d'une croix rouge.
Situation du camp sur le tableau d'assemblage de 1811.
Sur la section dite "du camp" (sans date mais probablement 1810/1811).
Situation sur l'IGN près du point d'altitude 213.
Calque de L'IGN et du cadastre.
On notera sur la vue aérienne, comment les haies actuelles suivent parfaitement les séparations intérieures du camp.
Le camp aujourd'hui, vu de l'Est, au carrefour des routes de Largeasse à Vernoux-en-Gâtine et de l'ancien chemin de Parthenay à l'Absie.
L'intérieur du camp.
L'ancien chemin de Parthenay à l'Absie...
... qui se prolonge en chemin plus "authentique".
Emplacement des anciennes redoutes au Sud du camp dans la partie qui fait un décrochement avec le chemin (voir plans et vue aérienne ci-dessus).
Encore un "chemin secret" !
Deux documents relatifs au camp de Largeasse trouvés aux archives du Service Historique de la Défense du Fort de Vincennes où l'on se rend compte du nombre de soldats cantonnés dans ce camp. Aux alentours de 800 hommes, bien loin des 3 000 annoncés plus haut.
Les 21 et 22 septembre 1794 : SHD B 5/120-4
Le 21 novembre 1794 : SHD B5/120-12 :
Le 20 décembre 1794, SHD B 5/120-18 :
RL
Janvier 2014
Nous complétons cet article avec un texte d’Elie Auriault, paru dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique Les Amis des Antiquités de Parthenay, 1960, N° 9, p. 22 à 25. Un grand merci à Bernadette Boureau de l’Association des Amis du Château de Pugny pour m’avoir transmis ce document.
RL
Juin 2017
Le camp républicain de Largeasse
Dès 1793, le bocage vendéen prit parti contre la République et s’insurgea contre elle. Une longue guérilla, des bleus contre les blancs, des blancs contre les bleus, ruina peu à peu le pays.
Les blancs, appelés encore royalistes ou chouans, étaient chez eux, toujours insaisissables, à l’abri derrière les haies, les genêts et les taillis qu’ils connaissaient bien.
Les bleus, appelés encore républicains ou patauds, étrangers au bocage pour la plupart, ne pouvaient au contraire jouir d’une complète sécurité dans ce pays couvert et hostile qu’ils connaissaient mal.
Pour assurer une relative tranquillité à leurs partisans, les Conventionnels établirent de nombreux camps militaires. Ils aménagèrent aussi ceux, peu nombreux, déjà existants.
Nous avons gardé le souvenir des camps suivants : Avrillé ; Challans ; La Châtaigneraie ; La Chaume, près des Sables-d-Olonne ; Chiché ; Concourson-sur-Layon ; Fréligné ; La Grève, au havre de la Gachère ; Largeasse ; Ligneron ; Luçon ; Mareuil ; Martigné-Briant ; Les Moutiers-les-Mauxfaits ; Pierre-Levée ; près de Fontenay-le-Comte ; Poitiers ; Port-la-Claye ; La Roullière ; Saint-Jean-de-Monts ; Saint-Philbert-du-Pont-Charrault ; Thouars.
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Notre présente étude se limite au camp de Largeasse, sis dans le canton bocager de Moncoutant, département des Deux-Sèvres.
Ce camp, quasi complètement disparu, était installé à 1.700 mètres environ du bourg, près et au nord-ouest de la jonction des deux anciens chemins de Vernoux à Largeasse et de l’Absie à Parthenay. Le premier est aujourd’hui un chemin de voirie ordinaire, continué plus au Sud par le chemin départemental n° 176. Le scond n’est plus qu’un simple chemin rural qui donne accès au chemin privé qui mène à la ferme Le Châtaignier, construite en 1912.
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Le campement du camp de Largeasse était assuré par le capitaine Spital. En septembre 1794, le général Alexandre Dumas, père du célèbre romancier prend le commandement en chef de l’Armée de l’Ouest. Le 16 septembre, les représentants du peuple, Dornier, Guyardin et Bezard, transmettaient leur premier rapport, sur la situation au Comité de Salut Public.
Il y est dit : « Pour cerner les Vendéens, ont été établis, sur un cordon de 80 lieues, 14 camps, à 4 et 6 lieues l’un de l’autre, sans seconde ligne intermédiaire, et ces camps ne sont que de 600, 1.000, 1.200 et 1.500 hommes, quelques-uns de 2.000 à 2.500, dont partie sans arme. »
Lors d’une inspection des camps, faite à la même époque, le général Dumas « a trouvé mauvaise la situation du camp de Largeasse. Il charge le général Macors de le fortifier. Il est mécontent des troupes, faisant mal le service, dans des postes qui ne se surveillent point. »
Le camp de Largeasse, construit vers 1794, fut donc fortifié peu après, par le général Macors. En 1793, celui-ci était déjà chargé, par la Convention, de diriger la fabrication et la réparation des armes de guerre dans un atelier important installé dans la cour du château de Niort.
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Le cadastre de largeasse, établi en 1810 et non révisé à ce jour, porte, section C, le plan partiel du camp. Divers indices nous ont permis d’en compléter le tracé, tels que de courts éléments d’enceinte dans les anciennes haies conservées, des imperfections dans le nivellement des remparts à travers champs, une végétation plus abondante là où étaient les anciens fossés…
L’exactitude de notre reconstitution nous a été confirmée par les deux plus anciens exploitants des terres du camp qui ont connu ces lieux à une époque où les vestiges étaient à la fois plus nombreux et plus visibles. Nous avons cité M. Gautreau Paul, 81 ans, domicilié à la ferme de la Cressonnière, construite en 1933, à 200 mètres au Sud du camp, et M. Boileau Célestin, 82 ans, domicilié plus au nord, près du bourg de Largeasse, au village de la Pézinière.
Le tracé de l’enceinte, établi selon les conceptions de Vauban, était simple et régulier. C’était une ligne polygonale avec angles saillants alternant avec des angles entrants. L’enceinte limitait un rectangle de 275 m. d’est en ouest, et de 220 mètres de largeur. Chacun des angles E, G et J formaient un pan coupé, sur une longueur extérieure de 30 mètres. Deux saillants A et C protégeaient l’entré B du camp, considéré comme point faible. La défense du rectangle était assurée par les saillants médians H et D et par les saillants F et K, légèrement déplacés, le premier vers l’ouest, le second vers l’est, dans le bute évident de mieux surveiller un léger thalweg.
La superficie couverte par la partie utile du camp était ainsi de 65.625 m², non comprise la superficie de l’enceinte, qui était elle-même de 11.900 m², soit au total 77.525 m², c’est-à-dire près de huit hectares.
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Selon M. Gautreau, l’enceinte du camp comprenait un mur en terre, avec fossé extérieur. La section de ce fossé était trapézoïdale : 5 mètres à l’ouverture, 2 mètres au fond et 2 m. 50 de profondeur. La section du mur, après tassement, était symétrique de celle du fossé, par rapport au sol naturel. Cette symétrie s’entendait avant translation horizontale du mur de 5 mètres vers l’intérieur du camp. La largeur d’emprise de l’enceinte était ainsi de 10 mètres, la crête du mur étant 5 mètres au dessus-du fond du fossé.
Il est probable, bien que l’état actuel des talus conservés ne permette plus de le vérifier, que le talus interne du mur d’enceinte comprenait, à 1 mètre environ du sol, un étroit sentier formant chemin de ronde, ceci pour permettre aux guetteurs et éventuellement à la défense, d’avoir vue vers l’extérieur et une position commode pour le tir au fusil.
Le fossé avait été creusé à la pioche. Des jets de pelle latéraux avaient permis de construire le mur d’enceinte, parallèle au fossé. Ce travail avait été réalisé par les soldats, aidés sans doute par les habitants de Largeasse et des environs. Ceci représentait un déblai, avant foisonnement des terres de l’ordre de 10.500 m3 et avait nécessité pas moins de 3.360 journées de travail, de 10 heures chacune, y compris le temps nécessaire à la confection du remblai et du pilonnage des terres.
Ajoutons que ce camp avait été établi sur un petit mamelon, de 220 m d’altitude moyenne, avec point culminant en B.
A ce jour, les fossés ont partout été nivelés et mis en culture. Quelques éléments du mur en talus, partiellement d’ailleurs utilisé dans les fossés, subistent en Ca et Kb. La partie K A B C a été rasée en 1903 par M. Gautreau qui nous a précisé que le fossé était interrompu en B, sur 6 à 8 mètres de longueur, ce qui confirme la position de l’entrée du camp en ce point. La date de disparition des autres éléments reste inconnue.
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Pour faciliter la surveillance du camp, plus particulièrement vers le sud-ouest, où la vue embrasse un vaste horizon, un déboisement général fut ordonné par l’autorité militaire. Les exploitants de Largeasse reçurent à cet effet l’ordre de couper les bois, haies et les genêts, de les scier ou de les fagoter et de les transporter à l’intérieur pour les feux de camp.
Les bœufs des attelages furent sacrifiés pour la viande. Les charrettes furent brûlées pour le feu. Ne faut-il pas voir le souvenir des ces abattages clandestins dans la désignation l’ « écho du bœuf » de la parcelle, toute proche, C 351 ? Les pièces en fer des charrettes furent ramenées à la surface du sol au cours des labours, en particulier les nombreuses sections de cercle de roue avec leurs gros clous de fixation en fer forgé. Le cercle ferré monobloc, fixé par une simple contraction consécutive à une dilatation du métal par le feu, n’existait pas en effet à cette époque.
Des foyers de cuisine, cendres et charbons avec pierres parallépipédiques de 20 cm environ de section carrée et 50 cm de longueur furent également mis à jour. Deux pierres du modèle ci-dessus et quelques brindilles de bois enflammées suffisaient alors pour constituer l’un des nombreux foyers destinés à cuire les aliments de la troupe. Il faut attendre en effet l’année 1915 pour assister à la première mise en service d’une cuisine roulante militaire.
Parmi les objets déterrés, nous citerons encore des écumoires, des passoires, tous les ustensiles de cuisine en général, des boutons de costume militaire, des pelles, des pioches, des balles en plomb durci…
Les balles sphériques, de 15 à 16 mm de diamètre, étaient utilisées dans les fusils à pierre. Ceux-ci comprenaient, en particulier, une petite roue en acier trempé qui venait frapper un silex dans une coupelle ou bassinet. Les étincelles provenant du choc pénétraient dans un petit trou latéral aménagé dans la culasse fixe du canon et mettaient le feu à la charge. La poudre et la balle étaient introduites par l’ouverture du canon. Il y avait un nombre considérable de ratés. Le canon était lisse. La portée de tir était facilement déviée par le vent.
La coalition de près de toutes les puissances d’Europe contre la Révolution, venant s’ajouter aux insurrections internes, obligèrent la Convention à procéder d’urgence à une fabrication accélérée de fusils de guerre. On assembla des pièces souvent disparates, ce qui explique la variation des calibres et l’irrégularité dans la production des armes révolutionnaires, connues sous le nom de modèles « républicains » ou « dépareillés ».
Le nombre considérable de balles en plomb retrouvées chaque année après les labours correspond sans doute aux nombreuses fusillades qui eurent lieu près et sur le camp.
Des exécutions individuelles eurent peut-être lieu également au « Champ du Poteau », désignation cadastrale de la parcelle C 322, sur laquelle est établie actuellement la ferme de la Cressonnière.
Il est à présumer que le camp de Largeasse ne fut jamais l’objet d’un abandon précipité, puisque aucune arme à feu, aucune arme blanche n’y furent déterrées jusqu’à ce jour.
La troupe vivait sous des tentes ou, plus rarement, sous des abris provisoires en bois, aucune maçonnerie n’ayant été trouvée en ces lieux. Il ne faut donc pas s’étonner si, pendant l’hiver, les soldats brûlaient force fagots de genêt pour se défendre contre le froid et se dégourdir un peu les doigts.
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Après la grande tourmente, le calme revint au pays. Cependant, près de deux siècles après, les rancunes ne semblent pas toutes éteintes. Quelques familles se transmettent encore, de génération en génération, les noms des lieux et de personnes attachés à ces pénibles souvenirs.
Elie Auriault
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