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1794 à Vue, 7 femmes violées par 600 hommes....
L’affaire du viol collectif et de l’assassinat de sept jeunes femmes par les hussards américains commandés par Jean Pinard, lors de leur passage à Vue en février 1794
Le 25 octobre 1794 (4 brumaire an III), devant le Comité de surveillance de Nantes, Mariotte jeune et Cormeray, deux patriotes anciens volontaires nantais, alors employés à la rentrée des grains pour Nantes, firent une « dénonciation contre Pinard et ses soldats noirs pour viols collectifs et assassinats ». Les deux hommes rapportèrent ainsi un fait divers remontant au mois de février 1794, impliquant Jean Pinard et sa bande de hussards américains dans le viol collectif et l’assassinat de sept jeunes femmes, capturées par la force armée du côté de Vue.
La situation du côté de Vue en février 1794
Le 14 février 1794, deux colonnes républicaines, parties de Vue, au Nord, et de Bourgneuf, au Sud, décidèrent d’attaquer en force le camp royaliste du chef Louis-François-Charles Ripault de La Cathelinière, dans la forêt de Princé. Les Bleus se heurtèrent aux soldats de La Cathelinière. La colonne de Vue, en pénétrant dans la forêt, essuya pendant une demi-heure le feu des tirailleurs embusqués dans une position très avantageuse. Pour en finir, le 3ème bataillon du Lot-et-Garonne, après avoir battu la charge, monta à l’assaut, provoquant la déroute calculée des royalistes. Après l’arrivée de la colonne de Bourgneuf, les deux commandants disposèrent leurs hommes en tirailleurs pour fouiller les halliers. Découvrant des huttes dans lesquelles ils trouvèrent des femmes, des armes, des provisions et, aux alentours, cachés ça et là dans les broussailles, de nombreux hommes qui pour la plupart dormaient. Ils firent un massacre. « Tout a été tué sans avoir éprouvé d’obstacles », rapporta ainsi Descamps, capitaine d’une compagnie du 3ème bataillon du Lot-et-Garonne, en poste à Vue, à son supérieur le chef de bataillon Danglade, ci-devant d’Anglard, commandant la place de Paimboeuf.
Alexandre Mariotte, horloger à Nantes, volontaire âgé de 20 ans, se trouvait, avec plusieurs autres soldats, logé chez une femme nommée Chauvet, près de la forêt de Princé, lorsque, dans la nuit du 18 février 1794, « arriva Pinard vers une heure du matin, qui nous dit que nous étions chez des brigands, qu’il avait déjà tué six femmes, et que la Chauvet serait la septième. En effet, il l’entraîna dans une espèce de cellier, et j’entendis cette malheureuse lui dire : « Je sais bien pourquoi on me fait venir ici. C’est pour m’égorger comme hier on égorgea d’autres femmes, mais je demande pour toute grâce qu’on me tue avant mon enfant. Quant au fait des 60,000 livres qu’on prétend cachées ici, je déclare n’en avoir aucune connaissance. On me coupera en morceaux, on fera tout ce qu’on voudra de moi, je ne puis en dire davantage. Pinard lui répondit : « Console-toi, ton enfant sera expédié avant toi. C’est Pinard qui te parle, c’est Pinard qui fait la guerre aux femmes ». Je tirai mon sabre, et je dis à Pinard : « Tu ne parviendras à elle qu’après m’avoir marché sur le corps. Tu es un crâne, me répondit Pinard. Ignores-tu que cette femme a été servante chez le seigneur du lieu ? Et qu’il faut qu’elle m’indique où sont cachées 60,000 livres ». Cette femme, toute tremblante, assura Pinard que ce dépôt avait été enlevé. Pinard fut forcé de se retirer, sur notre déclaration formelle de lui résister, et l’assurance que nous serions soutenus par la force armée qui se trouvait sur les lieux. Nous partîmes ».
Qui pouvait bien être cette « femme Chauvet » à laquelle Pinard voulait faire un sort ? Pierre Fréor, de La Montagne, dans sa liste des victimes de la paroisse de Vue, mentionne une femme Chauvet « tuée par les Républicains à La Simonais ». Située au Sud-Ouest du bourg de Vue, La Simonais se trouvait sur la route vers la forêt de Princé. Fréor cite également parmi les victimes de Vue quatre filles Chauvet et quatre fils Chauvet, leurs frères, « tués en combattant ». Ils faisaient sans doute parti de l’armée de La Cathelinière. D’après l’étude de Xavier Paquereau, pour le blog Chemins Secrets, sur « Jacques Chauvet, de la paroisse de Vue en pays de Retz, proposé pour un sabre d’honneur » le 24 novembre 1825, on apprend que Jacques Chauvet, né le 27 janvier 1773, était le fils de Pierre Chauvet, laboureur à bœufs à La Simonais, et de sa seconde épouse Jeanne Garnier. En 1793, Jacques Chauvet exerçait la profession de laboureur à La Simonais, en Vue. Le 12 mars 1793, Jacques et ses frères avaient été du nombre des paysans de Vue qui s’étaient rendus au manoir de La Blanchardais pour mettre à leur tête -contre son gré- le vieux chevalier Charles-François Danguy, âgé de 63 ans et presque aveugle. Ce dernier sera guillotiné le 6 avril 1793 à Nantes. Il sera remplacé par le chevalier Louis-François Ripault de La Cathelinière, de Frossay, qui deviendra alors le général de l’Armée catholique du pays de Retz. Dans ses états de service, Jacques Chauvet mentionna avoir « servi la cause royale dans les premières guerres. Quatre de ses frères sont morts sur le champ de bataille. Sa mère et quatre de ses sœurs ont été assassinées par la troupe de la République ». Des frères Chauvet, Mathurin avait été tué le premier, le 12 avril 1793 à la bataille de Challans, à l’âge de 41 ans. Jean, l’aîné, avait trouvé la mort le 10 janvier 1794, à Vue, à l’âge de 50 ans. Julien fut tué entre 1793 et 1794, à l’âge de 44 ans. Quant aux sœurs Chauvet, Jeanne avait été tuée le 15 septembre 1793, à Vue, à l’âge de 34 ans. Yvonne avait été tuée entre 1793 et 1794, à l’âge de 29 ans. Quant à Magdeleine, l’aînée, elle fut massacrée par les Républicains en ce mois de février 1794, à La Poitevinière, en Arthon-en-Retz, à l’âge de 47 ans. Jeanne Garnier, leur mère, fut elle aussi massacrée par les Républicains, chez elle, à La Simonais, en Vue, à une date indéterminée. La « femme Chauvet » tourmentée par Pinard pourrait bien être l’épouse d’un des frères aînés de Jacques Chauvet…
Croix du Souvenir Vendéen dans la forêt de Princé :
Mariotte poursuivit son récit : « Arrivés près de la forêt de Princé, nous entendons un homme qui criait au secours dans un taillis. Nous accourons. Pinard était là avec deux cavaliers, tenant chacun une pièce de toile. « Les brigands sont ici, nous dit-il ». Nous le laissons en embuscade, et, comme nous entrons dans le bois, nous vîmes deux hommes s’enfuir. En marchant sur des broussailles, je sentis remuer quelque chose. Je le soulève avec ma baïonnette : c’étaient deux enfants ». Marotte poursuit : « J’en donnai un, âgé de 7 ans, à Cedré. L’autre n’avait que 5 ans, je le gardai pour moi. Tous deux pleuraient. Deux ou trois femmes nous supplièrent de ne point les tuer. En sortant de ce taillis, je vis Pinard qui massacrait des femmes. J’en vis une succomber sous ses coups. « Que veux-tu faire de cet enfant ?, me dit-il. Des hommes, lui répondis-je. Pinard, écumant de rage, répliqua : « Ôte-toi de là, que je leur brûle la cervelle. Je m’y opposai. Il fit un geste. Je le couchai en joue. Il eut peur et prit le parti de se sauver (…) ».
Le viol des sept jeunes femmes
En ce même mois de février 1794, Pierre-Joachim Cormerais (ou Cormeray), marchand miroitier à Nantes, accompagné d’un autre volontaire, était en patrouille avec la force armée, qui avait arrêté sept jeunes « femmes de brigands ». Ces jeunes épouses, âgées de 18 à 22 ans, étaient, dit-il, «belles comme des amours ». La nuit (vers minuit), un officier leur demanda de venir avec lui pour faire cesser un vacarme infernal : « Nous nous transportâmes à une écurie où nous entendions des pleurs et des sanglots. Nous frappons à la porte et on répond : Qui est là ? La garde. Ouvrez ! On ouvre. Sort de cette écurie cinq noirs le sabre nu à la main et un pistolet de l’autre, en nous demandant ce que nous voulions. L’officier leur dit qu’il y avait des femmes qui étaient prisonnières et qu’elles se lamentaient, et qu’il paraissait qu’on ne les traitait pas humainement, et qu’il voulait après cela les mettre en sûreté au corps de garde. Et il demanda qu’on les lui remis, en demandant à ces malheureuses si c’étaient leurs intentions. Elles dirent que oui. Les noirs, écumant de rage, dirent que c’étaient leurs esclaves, et qu’ils les avaient gagnées à la sueur de leur front, et qu’on voulait les leur enlever, par jalousie, pour en jouir, et qu’on leur disputerait. Je leur dis qu’il n’y avait pas d’esclaves en France, et que ces femmes pouvaient être républicaines ou coupables, mais qu’elles sont sous le coup de la loi, et qu’elles devaient être respectées, et qu’ils étaient bienheureux d’avoir été retirés de l’esclavage par la Convention, en faisant respecter à tout l’univers leurs droits ». Les cinq noirs ne voulurent rien savoir. Quant à Pinard, il força sa victime à confirmer qu’elle était là de son plein gré. L’officier et les volontaires durent abandonner la partie et laisser les féroces hussards américains poursuivre leurs sévices sur les malheureuses jeunes femmes. Couverts par Pinard, ces derniers, après avoir violé leurs prisonnières, les prostituèrent à la garnison de Vue, puis les firent fusiller. Trois jours durant, rapporta Cormerais, Pinard (et non les hussards américains eux-mêmes) « prostitua (les sept jolies femmes) à 600 hommes de force armée qui étaient en garnison à Vue. Dans un jour, il passa sur le corps d’une fille plus de 100 hommes ; elle ne pouvait plus marcher et devint imbécile, et les autres de même. Et quelques jours après, pour mettre le comble à leurs forfaits, ils les firent fusiller (…) ».
Les possibles coupables
Qui étaient, parmi les 600 soldats alors présents au poste de Vue, ceux qui violèrent ces jeunes femmes pendant plusieurs jours ? La garnison de Vue était alors composée, entre autres, d’un détachement d’hommes du 1er bataillon de Dieppe, sous les ordres du capitaine Knap, et du 3ème bataillon du Lot-et-Garonne, sous les ordres du capitaine Descamps.
Le poste de Vue avait des effectifs très variables. Knap, alors commandant de la place de Vue, dressera, le 28 avril 1794 (9 floréal an II) -soit un peu plus de deux mois après les faits- un « Etat de situation de la force armée cantonnée à Vue du 8 au 9 floréal 2ème an. R. une & indiv. ». Si le 3ème bataillon du Lot-et-Garonne n’y figurait plus, on y retrouvait alors :
- 1er bataillon du district de Dieppe : 1 capitaine commandant, 1 adjoint major et 1 adjoint sous-officier, 10 officiers, 38 sous-officiers, 283 volontaires et 7 tambours ; soit 341 hommes, dont 12 malades.
- 4ème bataillon de la Loire-inférieure : 1 capitaine commandant, 2 officiers, 15 sous-officiers, 51 volontaires et 1 tambour ; soit 70 hommes, dont 2 malades.
- 3ème bataillon du district de Bordeaux : 1 commandant, 1 armurier, 7 officiers, 15 sous-officiers, 210 volontaires et 3 tambours ; soit 234 hommes, dont 42 non armés et 9 canonniers.
- Nantais : 1 commandant, 1 adjoint major, 1 quartier maître, 6 officiers, 20 sous-officiers, 118 volontaires et 4 tambours ; soit 151 hommes.
- 11ème régiment d’hussards : 2 sous-officiers et 15 hussards ; soit 17 hommes.
- 8ème de Paris : 3 officiers, 25 sous-officiers et 1 tambour ; soit 149 hommes.
Il y avait alors en tout 962 hommes, dont 68 hors de service ; soit 894 hommes disponibles.
Ce chiffre donne idée du nombre d’hommes qui devaient alors être en poste à Vue deux mois plus tôt… même si Cormerais parle de (seulement) 600 hommes à qui Pinard aurait prostitué les sept jeunes femmes.
Le 3 avril 1794 (14 germinal an II), Rousselet, commandant en second du 1er bataillon de Dieppe, qui se trouvait au poste de Vue et à l’affaire de la forêt de Princé, fera un témoignage en faveur de Pinard, prouvant certainement par là-même qu’il avait laissé faire, voire même qu’il avait fait parti des hommes qui avaient abusé de ces malheureuses jeunes femmes, livrés à lui et ses hommes par l’horrible Pinard et ses hussards américains : « Je soussigné commandant en second du 1er bataillon du district de Dieppe de la Seine-Inférieure, certifie que pendant un mois que j’ai commandé la colonne qui est à Vue, j’ai vu le citoyen Pinard, de Nantes, dans toutes les sorties que nous avons faites dans la forêt de Princé, se conduire en vrai républicain et zélé défenseur de la patrie, en chargeant les brigands avec courage et rapidité ». Pinard « chargeait », en effet, non pas les « brigands », mais plutôt les « brigandes »…
Quant aux cinq hussards américains retrouvés dans l’écurie, occupés à violer les sept malheureuses jeunes femmes et qui ensuite les prostituèrent à la force armée, qui pouvaient-ils être ? On ne le saura sans doute jamais. Seul Pinard devait alors connaître leurs noms ou, du moins, leurs prénoms. Le lieutenant Louis Hellot, Parisien natif du Cap-Français, île de Saint-Domingue, était-il l’un d’entre eux ? Peut-être… En l’an IX (1800), sur un « état des sous-officiers et chasseurs morts en se distinguant par les actions d’éclat dans les campagnes de la liberté », on retrouva le nom d’un certain Charles Lucas, brigadier né dans l’île de Saint-Vincent en 1770 (il avait donc alors environ 23 ans), engagé à la Légion des Américains dès l’origine, mort en 1793 « dans la Vendée, après être parvenu à s’emparer de l’entrée d’un château occupé par les brigands ». Il était donc apparemment déjà mort en février 1794, mais il s’agit du seul hussard américain ayant servi en Vendée dont on connaisse le nom…
Sources :
Archives Départementales de Loire-Atlantique, L 1328.
Archives Départementales de Loire-Atlantique, L 541.
Archives Départementales de Vendée, AN W 493-19, pièce n°8, vue 4/72.
CARAN, AF/II/51 (Pièces contre Carrier et Lebon, en majorité imprimées (pluviôse an II-brumaire an III), dossier 386, pièce n°2 (aujourd’hui disponible aux Archives nationales à Pierrefitte).
Pierre Gréau, Les volontaires nationaux de Lot-et-Garonne en Vendée, in La Revue du Souvenir Vendéen n°258 (mars 2012).
Jean-Pierre Vallée, La vie du chevalier Ripault de La Cathelinière.
J. Chevas, Notes historiques et statistiques sur les communes du département de la loire-Inférieure, tome 1.
Philippe-Joseph-Benjamin Buchez et Pierre-Célestin Roux-Lavergne, Histoire parlementaire de la Révolution française…, tome 35.
Photo : Pierre Gréau.
Vincent Doré pour Chemins Secrets
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Commentaires
Bande de salopards!
Qui va là? républicains forcément.