• Les justifications du général Grignon (6)....

     

    Les justifications du général Grignon (6)...

     

     

     

    5ème partie ici.

     

    « Mais, parcourons rapidement les dénonciations consignées dans l’ouvrage de Lequinio ; voyons si, comme Lequinio se plaît à l’annoncer, il ne sera sûrement pas besoin d’autres pièces, & si en effet le Tribunal Révolutionnaire y trouvera surabondamment de quoi asseoir un jugement terrible, mais juste.

    Est-il permis d’anticiper ainsi les oracles de la Justice & et de dévouer d’avance des victimes ?

    La première dénonciaton est signée Chapelain, & faite à Rochefort.

    C’est précisément de ce lieu que Lequinio écrivoit à la Convention, qu’il s’étoit porté lui-même à des violences bien moins pardonnables que celles qu’il reproche aujourd’hui avec tant d’amertume & qu’il savoit si bien justifier alors, comme nous l’expliquerons bientôt.

    Quel est ce premier dénonciateur ?

    Il cumuloit à la fois quatre places sur sa tête, ainsi qu’il en convient lui même ; il étoit Capitaine de la Garde nationale, Président de la Commission municipale de quatre Communes (19), Président du Comité de surveillance & commissaire pacificateur du District.

    Il étoit de plus autorisé, disoit-il, à créer une Garde nationale.

    Quel monstrueux assemblage !

    Chapelain ne débit que des mensonges (Voyez à la fin, pièces justificatives, extrait des dénonciations.).

    Ce qu’il y a de vrai, c’est que l’avant-garde de Grignon l’a trouvé en habit national avec un fusil, & le lui a amené comme suspect ; il avoit en effet chez plus vingt voitures & pour plus de deux cents mille livres d’effets précieux qu’il retenoit sous la garde d’une prostituée, avec laquelle il vivoit publiquement.

    Grignon lui demande d’où viennent tous ces effets ; il répond : de différens châteaux, notamment de celui de Lescure.

    Pourquoi il ne les a pas fait conduire au District ou ailleurs. J’ai, dit-il, des pouvoirs qui me dispensent de vous rendre aucun compte. Quel est tout ce monde que vous avez avec vous ? Nous nous sommes rendus. Il en désigne sept des plus coupables. Il offre de servir de guide ; Grignon accepte...

    Arrêtons-nous un instant sur le récit de Grignon : c’est la deuxième fois qu’il attribue à des ennemis imaginaires ou réels, la possession de centaines de milliers de livres. On peut se poser la question d’une certaine fascination pour l’argent. Quant aux effets qui viennent du château de Lescure, c’est proprement ridicule. Clisson en Boismé fut incendié le 2 juillet 1793 et ses 98 kg d’argenterie pillés et envoyés à la Conventions (voir ici). Boismé est à 40 km de La Flocellière où Grignon rejoint Chapelain ! Et quand bien même s’agirait-il du château de Puyguyon en Cerizay, distant de 17 km, celui-ci fut incendié une première fois le 7 octobre 1793, une seconde fois le 25 janvier 1794 par Grignon lui-même ! Il reste encore l’option de la Boulaie de Treize-Vents, où Lescure séjourna à plusieurs reprises, mais Chapelain devait parfaitement savoir que ce château appartenait à M. Sonnet d’Auzon et non au général vendéen.

    Poursuivons :

    « Ils traversent différens villages ; Charrete les avoit traversés huit à dix jours auparavant avec six mille hommes ; il n’avoit laissé que ceux qui devoient servir pour les vivres & pour les voitures, & qui n’avoient pas voulu se retirer sur les derrières ; il ne restoit donc que des brigands (20).

    Ainsi, c’est évidemment le chef d’une commune insurgée qui se plaint, ce chef que Grignon a à se reprocher d’avoir trop ménagé peut-être, qu’il auroit dû faire fusiller ; & si Grignon est coupable, c’est plutôt d’un excès d’indulgence que de sévérité. 

    Quelle fois peut-on ajouter à la seconde dénonciation de quatre particuliers, qui se disent Officiers Municipaux de la Commune du Bon-Père, commune également insurgée ? Quelle confiance dans des rébelles qui ne se plaignent que parce que leurs propriétés ont été ravagées ?

    Mais, s’écrient-ils pour en imposer davantage, on a incendié les métairies & les servitudes qui étoient auprès des châteaux, & les châteaux on subsisté ! quel phénomène !

    Sans doute les châteaux ont subsisté, mais c’est par une raison purement physique ; c’est parce qu’ils étoient de pierres & qu’ils ont mieux résisté à l’action du feu.

    La dénonciation du nommé Chauvin est le comble du délire. Comment ce vil dénonciateur ose-t-il se mettre sur les ranges ? Comment ne craint-il pas pour lui-même ? Il suffit, pour le couvrir du mépris qu’il mérite, de tracer en deux mots son histoire.

    Chauvin, fils d’un secrétaire du tyran, de l’un de ces petits ambitieux, de ces sots ennoblis pour leur argent, qui vouloient singer ce qu’on appeloir les nobles de race, & et qui étoient, pour la plupart, mille fois plus insolens & d’une morgue plus insultante que la plupart des ces derniers ; Chauvin, dont les père & mère, agens des ducs de Châtillon, étoient en arrestation, dont la tante, dénoncée par le maire de sa commune pour avoir envoyé deux domestiques parmi les brigands, avoit été enlevée pour aristocratie notoire, Chauvin enfin possédoit des domaines considérables dans l’intérieur de la Vendée. Royaliste sans pudeur, à ce que Grignon a appris depuis, il étoit lié avec tous les chefs des insurgés, Lescure, Laroche Jacquelin, de qui il espéroit par-là le respect de ses propriétés. Il voyait tout ce qu’il avoit de rébelles : Président d’ailleurs du Comité de surveillance de Bressuire, Commune insurgée & incendiée comme telle (21). Chauvin vouloit cependant trancher du patriote. Il étoit dans l’âge de la réquisition. Pour s’y soustraire, il propose à Grignon de le prendre pour secrétaire : il revient plusieurs fois à la charge ; Grignon s’obstine à refuser. Les instances redoublent au moment où Grignon entre dans cette partie du territoire ; il brûle ce qu’il peut du château de Chauvin, parce qu’il étoit le repaire des brigands ; il brûle ses métairies, parce qu’elles se trouvoient en pays insurgé.

    Quelques notes sur Chauvin et son château :

    Jean-Auguste Chauvin, né le 13 décembre 1769 à Argenton-Château et décédé le 18 février 1834 à Saint-Martin-de-Sanzay, sera, après avoir été capitaine de cavalerie, président du Comité de surveillance de Bressuire durant les Guerres de Vendée, puis administrateur du département des Deux-Sèvres et enfin, député de 1813 à 1816. LIEN NANOU. Son logis du Bois-Savary, situé à Noirterre, est évidemment bien placé pour que Chauvin soit au courant de ce qui s’est passé aux alentours, notamment le massacre de la municipalité de Saint-Aubin-du-Plain et « dans l’extrémité de la paroisse de Chambroutet », ainsi qu’il le raconte dans sa dénonciation (22). Le cadastre de 1811 ne nous indique pas de ruines au Bois-Savary. En revanche le château du Grand-Cruhé, situé deux 2,5 km au Sud-Ouest, lui semble avoir connu le passage de Grignon.

    AD79, 3 P 206/5 :

    Les justifications du général Grignon (6)....

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    Chauvin, furieux d’avoir perdu ses prières & la presque totalité de sa fortune, a ourdi, dans le fiel, cette dénonciation absurde, ridicule & perfide ; d’autant plus aveugle dans sa rage, qu’il a connu Grignon de plus près, & qu’il est plus à portée qu’un autre de rendre justice à son courage, à son intégrité & à toutes ses vertus morales & guerrières.

    Ajourd’hui même encore, Chauvin qui sent où ses principes notoires, où ses intelligences coupables peuvent le conduire & qui veut détourner le glaive qui le menace, cherche à soulever les Cantons pour susciter des dénonciations de toutes parts ; mais, qu’il tremble ! il pourroit se trouver victime de ses propres fureurs, & bien loin que Grignon puisse en rien redouter, c’est un honneur pour lui d’être inculpé par un tel homme ; c’est sa plus belle justification.

    Parlerons-nous des inculpations d’Enard, qui d’ailleurs ne reproche à Grignon que ses opérations militaires ; d’Enard, prétendu Commandant de la place de Poussanges (Pouzauges), dont la troupe étoit tous les jours ivre, & qui lui donnoit continuellement l’exemple de l’intempérance ? Un jour Grignon apprend que la troupe d’Enard est en insurrection. Un de ses soldats avait battu un membre de la Commune ; Enard le met en prison ; sa troupe le réclame & le force à l’élargir.

    Une autre fois Enard fait égorger de vrais patriotes par les brigands.

    Ailleurs, il se laisse surprendre par cent cinquante brigands des environs, mal armés. Il est presque pris au lit ; il se sauve où il peut avec sa troupe, sans tirer un coup de fusil, sans avoir mis sa troupe sous les armes. Tel est l’homme qui ose dénoncer Grignon, & qui auroit mérité de passer lui-même par une commission militaire.

    Que dire de la dénonciation du nommé Guédon, qui ne contient que des faits vagues, & dont l’auteur n’a d’autre but que de se venger de Grignon qui l’a fait désarmer, ainsi que sa garde ?

    De celle de trois particuliers de Fontenay-le-Peuple qui parlent aussi vaguement d’exécutions faites à la Meilleraie, par la colonne de Grignon, sans les attribuer personnellement à Grignon ? De la septième qui est d’une absurdité ridicule ? De la huitième qui justifie Grignon en même-temps qu’elle l’accuse ? De la neuvième qui le justifie encore & qui atteste sa sagesse & ses principes d’humanité ? Enfin, de celle de la femme Rigaudeau qui dit qu’elle a entendu dire, par un brigand, que Grignon étoit des leurs ? Répondre sérieusement à de pareilles dénonciations (voyez à la fin.), c’est leur donner un aire d’importance qu’elles ne peuvent avoir ; c’est vouloir réaliser des chimères, c’est se dégrader soi-même & se supposer coupable, quand n’a fait que son devoir. De tous les Généraux qui ont commandé l’armée de l’Ouest, quel est celui qui se peut dire à l’abri de pareilles inculpations, si l’on écoute tous les habitans qui ont souffert quelques dommages par la nécessité d’exécuter les ordres & les Décrets ?

    Et, comme si ces effets naturels du ressentiment & la vengeance dans des âmes rébelles ne suffisoient pas au patriotisme ardent de Lequinio, il termine ces diatribes par des déclamations qui lui sont propres contre les Généraux : à l’en croire, ce sont des créatures du dernier tyran ; tous sont confondus dans cette imputation odieuse.

    Il est permis, sans doute, de dire tout ce qu’on sait pour l’intérêt de la Patrie ; on le doit. Garder le silence seroit se rendre complice ; mais, on ne doit pas disposer légèrement des réputations, & il est permis aussi à celui qui est inculpé de s’indigner par le sentiment de son innoncence & de se prénétrer de la conscience de sa vertu. Grignon, créature du dernier tyran ! Sur quoi donc est fondée une imputation aussi noire ? Lui qui n’a jamais cédé qu’au voeu unanime de ses concitoyens ! Qui n’a jamais recherché de places ! Qui n’a été appelé que par leurs suffrages ! Créature du dernier tyran ! Lui qui ne s’est distingué que par son amour par amour pour son pays ! Qui en a combattu les ennemis avec tant de courage & de succès ! Il est aisé d’entasser des calomnies & d’accumuler des crimes imaginaires. Nous verrons quels témoins se présenteront, ce qu’ils déposeront, s’ils oseront préciser quelques faits. En attendant, Grignon va se défendre avec des armes suffisantes, & il saura confondre d’avance ses détracteurs.

    Grignon tire ses premiers moyens de justification des Décrets que nous avons énoncés.

    On se rappele le Décret du premier août 1793, qui ordonne une combustion générale : celui du premier Octobre, qui ne donne que vingt jours pour fini la guerre, & la Proclamation qui attend, avant la fin du mois, pour la reconnoissance nationale, tous ceux qui auront concouru pour la terminer ; celui de la fin du même mois, qui annonce l’intention bien prononcée, de la part du Gouvernement, d’exterminer tous les rébelles & de ne leur faire aucun quartier.

    Grignon devoit obéir strictement & littéralement à tous ces Décrets.

    Grignon tire ses seconds moyens de justification du brevet même de son grade. Par son grade, il devoit exécuter les ordres du Général en chef & des autres Généraux auxquels il étoit subordonné : son brevet lui permet de faire encore tout ce qu’il jugera convenable.

    Grignon rapporte non-seulement les ordres du Général en chef & des Généraux de Division, mais les ordres mêmes des Représentans du Peuple (Voyez à la fin, ordres des Représentans du Peuple & des Généraux.).

    Grignon faisoit des prisonniers.

    « Des prisonniers dans la Vendée, lui écrivoit le Représentant près l’armée de l’Ouest ! Point de quartier ; tu fais trop de prisonniers ; nos prisons en regorgent..... »

    Grignon reçoit l’ordre de les fusiller ; on les fusille donc.

    Bientôt on se lasse des les fusiller ; on propose des passer au fil de la baïonnete.

    « Les soldats s’y refusent, écrit Grignon. »

    « Les brigands, répond le Général en chef, ne valent pas la poudre que leur mort pourroit nous coûter ; mais enfin, si la fusillade paroît plus sûre & plus expéditive, je m’en raporte à ta prudence ; j’approuve d’avance ce que tu pourras faire à cet égard. »

    Il seroit trop long de rapporter ici en détail tous les ordres donnés à Grignon, tant de la part des Représentans du Peuple que de la part des Généraux & auxquels il ne pouvoit refuser d’obéir, sans être rébelle lui-même & sans violer la discipline dont le maintien assuroit l’exécution des mesures prises par la Convention nationale. Nous nous contenterons d’indiquer des résultats : toutes ces pièces prouvent que si Grignon a fait périr des rébelles, s’il a fait incendier, ces mesures lui étoient indiquées & commandées impérieusement ; toutes les pièces qu’il rapporte d’ailleurs, prouvent qu’il a fait violence à son caractère ; que ces mesures coûtoient cher à son coeur, & que bien loin de s’être comporté en barbare, il se montroit au contraire doux, humain, sensible ; que bien loin d’avoir outré les ordres, il a toujours été en-deça ; qu’il n’a jamais voulu rien prendre sur lui ; qu’il en a toujours référé au Général en chef, bien que son grade lui donnât le droit de ne consulter personne, & que le Général en chef lui-même lui ordonnât de se conduire suivant les circonstances.

    Dira-t-on que ces ordres étoient excessivement cruels ?

    Nous répondrons qu’il n’appartenoit point à Grignon de les discuter ; qu’il ne devoit que les suivre ; & si nous avions à les examiner en politique, peut-être dirions-nous que ces ordres étoient du droit de la guerre, droit affreux en lui-même : que ce n’étoit d’ailleurs qu’un droit de représailles... »

    A suivre ici

    RL

    Juillet 2020

     

    Notes :

    (19) Chapelain était maire de La Flocellière, Saint-Michel-Mont-Mercure et Châteaumur. Sa biographie est ici.

    (20) Quel belle justification !

    (21) Bressuire devait être préservée lors de la première sortie des colonnes infernales fin janvier 1794 puis sera incendiée par Grignon le 14 mars suivant.

    (22) Lequinio, op. cit., p. 65 à 68.

     

     


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