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La guillotine, étude macabre....
La Guillotine,
Etude macabre…
Mes lecteurs sont habitués, je pense, à voir passer de terribles choses dans mes articles. Je tiens à préciser pour celui-ci que nous allons plonger au cœur de l’horreur la plus absolue.
« Machine à Guillotin », « rasoir national » ou tout ce que vous voudrez comme sobriquet, il faut avouer que l’étrange machine que nous allons aborder ce soir a fait couler beaucoup d’encre et fait quelquefois encore fantasmer quelques nostalgiques de la Terreur. Il est vrai que la méthode, à défaut d’être inédite comme nous le verrons avec cet article avait le mérite d’être rapide et radicale. Ses partisans pensaient que la guillotine était le meilleur moyen d’ôter la vie à moindre frais, et sans souffrances inutiles pour le condamné. Sur ce dernier point nous allons voir que ce n’est pas tout à fait le cas et que la séparation rapide d’une tête du corps si elle n’est pas sans douleur, a été l’objet de plusieurs débats scientifiques au cours de l’histoire.
Merci de finir votre petit déjeuner ou votre yaourt car on attaque le problème tout de suite, et sans fioritures.
La guillotine, comme on le sait fut inventée pour pallier à la barbarie des anciens types d’exécutions. Que d’épées émoussées ou brisées pour couper le cou d’un condamné, avec souvent un résultat décevant. Il fallait s’y reprendre à plusieurs fois devant une tête à moitié coupée, du sang qui gicle certes, mais une boucherie de viande et de carotides en dents de scie, pendouillant lamentablement et puis la tête qui tient toujours par les vertèbres cervicales. La révolution apportait enfin un net progrès par rapport à l’Ancien Régime. Pour autant, les premières mentions de machine à décapiter datent de l’empire romain et plus tard dans les pays anglo-saxons. Tout comme pour la Marseillaise dont l’air n’était que le plagiat d’une œuvre d’un compositeur italien, la révolution ne va encore une fois rien inventer puisque la machine existait déjà en Angleterre dès 1564 et sera encore active en 1710 (1). On la surnomme alors la « Maiden » (la jeune fille) (2).
Ces premières guillotines étaient dotées d’une lame droite, qui quelquefois ne coupait pas très net. Dans les premiers temps de l’imagination de la machine française, on avait pensé à une lame en forme de croissant (je vous rassure, rien à voir avec l’actualité même si on reste dans le terrorisme). Ce serait, paraît-il, Louis XVI lui-même, féru de mécanique, qui aurait proposé une lame biseautée afin d’augmenter la puissance de coupe par l’effet de cisaillement. Du moins, c’est ce que l’on raconte…
Je ne vais pas perdre mon temps à vous raconter dans les détails l’historique de cette machine aussi « nouvelle » que les idées qui allaient avec, vous en connaissez tous les grandes lignes. Je n’insisterai pas sur le nom de « Louisette » qui aurait devait lui être donné à cause de son véritable inventeur, le docteur Louis, et non à ce pauvre docteur Guillotin qui n’en dormait plus la nuit de voir son nom associé à tel engin.
La mort du Roi Louis XVI reste dans les mémoires pour avoir été une exécution plutôt loupée. Elle ne s’est pas du tout passée comme dans ce montage vidéo et la tête n’était pas si belle qu’on le voit dans les représentations d’artistes.
En effet, son cou mal ajusté dans la lunette, le couperet s’abattit en lui déchiquetant le cou et en entaillant horriblement la mâchoire inférieure. La tête du Roi qui « ressemblait à une tête à perruque » tenait encore et il fallut peser sur le mouton pour qu’elle se détache. A noter que le mouton d’une guillotine pèse entre 30 et 60 kg… L’acier n’existe pas encore à l’époque révolutionnaire, et les tranchants sont souvent de piètre qualité. La lame qui trancha la tête du Roi ne servira pas une seconde fois (3).
La lame qui trancha la tête de Marie-Antoinette (musée Tussaud, Londres) :
Sur la mort du chimiste Lavoisier, le président du tribunal aurait prononcé la célèbre phrase « la République n'a pas besoin de savants ni de chimistes, le cours de la justice de ne peut être suspendu et un seul homme d'esprit suffit à la tête des affaires ». (4) C’est Antoine-François Fourcroy (1755-1809), le fameux chimiste, le même qui prétendait combattre les Vendéens avec des gaz toxiques qui n’eurent même pas d’effets sur des moutons, qui indique cette citation, afin de se dédouaner d’avoir laissé exécuter son maître à penser. Sans doute un peu abusif d’imaginer ici Maximilien de Robespierre à l’initiative de ce sinistre adage, loin qu’il était probablement de la chose scientifique dans son esprit dérangé, ainsi que l’étaient ceux qui le suivaient, bien trop stupides pour comprendre l’intérêt du progrès, le vrai. Pour autant, il faut bien le dire, la république n’a guère porté chance à l’étude et aux sciences. On en voit tous les jours encore les funestes effets quand n’importe qui peut devenir à tout moment n’importe quoi, du moment qu’on « en parle à la télé » ou « à Paris ». Pourtant Lavoisier lui-même semble avoir été intéressé par la décapitation d’un point de vue scientifique puisque l’on raconte qu’il demanda à son assistant, qui passait sous le couperet de cligner des yeux au son de sa voix, ce que la tête tranchée fit à la demande de son maître, sept fois de suite, si on en croit certains récits.
On connaît bien entendu l’anecdote de l’exécution de Charlotte Corday, dont le bourreau gifla la tête tranchée en la tenant pas les cheveux. Cette tête aurait rougi et fait une grimace d’indignation.
Crâne supposé de Charlotte Corday (BNF). L’historique de ce crâne est encore de nos jours assez suspecte, tandis que celle de Stofflet, visible au musée de Cholet, semble reposer sur des données nettement plus solides.
Que la tête ait rougi semble difficile à admettre en l’absence de circulation sanguine mais entre l’époque révolutionnaire et le milieu du XX° siècle le débat fait rage pour la suppression de ce genre de mort, voire même pour l’abolition de la peine de mort. Il est ainsi de mode, bien après les horreurs révolutionnaires, de penser que la tête des exécutés puisse survivre au-delà de son sectionnement brutal. Dès 1795, le « Moniteur » publie une étude de l’anatomiste allemand Samuel Thomas Sömmerring (1755-1830) à son ami Konrad Engelbert Oelsner (1764-1828) où il s’interroge sur le procédé de la guillotine qui selon lui est un « genre de mort horrible, que le sentiment, la personnalité, le moi » restent vivant dans la tête tranchée encore un moment après l’exécution. Il pense que le procédé ajoute au supplice du corps « une torture de l’âme ». (5) « Le médecin Melchior A.Weikard a vu bouger les lèvres d’un homme dont la tête avait été coupée. Albrecht von Haller a vu une tête d’homme décapité faire les gros yeux à quelqu’un qui touchait sa moelle épinière. Reste à savoir cependant – et les adversaires de Sömmerring ne manqueront pas de le lui faire remarquer – de quoi ces mouvements sont les signes : simple contractilité musculaire rémanente, ou bien mouvements volontaires commandés par le cerveau et attestant de la persistance d’une conscience et d’une sensibilité ? Pour s’en assurer, le médecin Leveling a conduit sur les conseils de Sömmerring des expériences sur les lieux mêmes du supplice : ayant irrité la partie de la moelle épinière qui était restée attachée à la tête, il assure que le visage était saisi d’horribles grimaces. Devant l’évidence, Sömmerring avoue même regretter de l’avoir inconsidérément engagé à faire ces expériences. Il ajoute que si l’air circulait encore dans les organes de la voix, les têtes pourraient encore parler. »
Le débat continue et je vous invite à lire à « tête reposée » (je sais, elle est facile…) l’étude de Grégoire Chamayou dont je donne l’accès dans la note N°5.
L’anecdote racontée par Alexandre Dumas dans ses « Mille et Un Fantômes » n’est que du pur roman mais témoigne de ce débat qui agitait les imaginations (6):
"Vous croyez qu'ils sont morts parce qu'on les a guillotiné, vous ?
- Sans doute.
- Eh bien ! On voit que vous ne regardez pas dans le panier quand ils sont là tous ensemble ; que vous ne leur voyez pas tordre les yeux et grincer des dents pendant cinq minutes encore après l'exécution. Nous sommes obligés de changer de panier tous les trois mois tant ils en saccagent le fond avec les dents. C'est un tas de têtes d'aristocrates, voyez-vous, qui ne veulent pas se décider à mourir, et je ne serais pas étonné qu'un jour quelqu'une d'elles se mit à crier : Vive le Roi ! Je savais tout ce que je voulais savoir : je sortis poursuivi par une idée : c'est qu'en effet ces têtes vivaient encore, et je résolus de m'en assurer. »
La tête est-elle consciente 10 minutes après avoir été séparée du corps comme on l’a pensé ? Le corps souffre-t-il indépendamment de la tête ? L’irritabilité de la tête est elle possible en l’absence de conscience ? Les études faites sur des animaux semblent prouver que dans la cas de la tête, elle peut continuer encore longtemps à se défendre, ou du moins adopter des réflexes. La grenouille qui bouge les paupières une demi-heure après la décollation, tout comme celle de la vipère qui peut mordre durant le même laps de temps.
Mais à l’inverse, qui n’a jamais vu ces volailles au cou tranché dont le corps continuait de courir comme si de rien n’était ? Certes assez peu de temps et le fantasme de l’homme sans tête, si présent dans de nombreuses légendes, ne doit pas vous perturber dans votre sommeil ce soir. Il semble que le corps d’un humain décapité par guillotine soit agité de quelques soubresauts dû au relâchement du système nerveux pendant un temps compris entre une et cinq secondes avant de s’affaisser définitivement en l’absence d’impulsion du cerveau.
Tête tranchée de Fieschi par Raymond Brascassat :
Dans son ouvrage sur la guillotine en 1793 (7), Hector Fleischmann cite les pseudos « Souvenirs de la marquise de Créquy » (8)
« Deux têtes coupées ayant été exposées aux rayons du soleil, les paupières qu'on avait soulevées se refermèrent avec une vivacité brusque et toute la face en avait pris une expression de souffrance. Une de ces têtes, avait la bouche ouverte et la langue en sortait; un élève en chirurgie s'avisa de la piquer avec la pointe d'une lancette, elle se retira, et tous les traits du visage indiquèrent une sensation douloureuse. »
« Un autre guillotiné, qui était un assassin nommé Térier, fut soumis à des expériences analogues, et plus d'un quart d'heure après sa décollation, si ce n'est la mort, sa tête séparée du tronc tournait encore les yeux du côté par où on l'appelait. »
« Le père Guillou m'a dit qu'il avait su directement par le vieux Sanson avec lequel il avait tous les ans des rapports de conscience, que la tête d'un conventionnel et prêtre jureur, appelé Gardien, avait mordu (dans le même sac de peau) la tête d'un autre girondin, nommé Lacaze et que c'était avec tant de force et d'acharnement qu'il fut impossible de les séparer. »
Guillotine d’époque révolutionnaire, musée du Fresne, Azay-le-Rideau, photos de Maxime Fouladoux, 2014.
Je ne me fie guère aux études faites durant la révolution, les opinions étant trop agitées et les connaissances scientifiques trop balbutiantes pour être véritablement crédibles. Abordons donc le début du XX° siècle, quand la question de la vie dans une tête décapitée semble encore passionner la science. Ce que je vous retranscris est évidemment, comme pour ce qui précède, sujet à caution et les praticiens qui liront cette prose, vont sûrement rire, ou bien… se poser des questions sur l’évolution de leur science. Ainsi, le cas du condamné Languille est demeuré célèbre et on retrouve trace du rapport fait par le docteur Beaurieux en juillet 1905, dans les Archives de l’Anthropologie Criminelle (9). Je vous mets ici son rapport. Faites vous un café et prenez un bon cigare ou une pipe pour ceux qui fument, car c’est long, très long…
Henri Languille, 41 ans. Le 12 octobre 1903, au hameau de la Rochelle de Nibelle-Saint-Sauveur, il frappe à coups de pierre et de greffoir Auguste Legeais, 79 ans, avant de l’étrangler avec un mouchoir et de voler 171 francs, une montre en argent, des souliers et des pièces de monnaie. Avant de partir, il aurait bu trois bouteilles de vin et une de champagne…
« Exécution de Languille
Observation prise immédiatement après décapitation
Communiquée à la Société de médecine du Loiret le 19 juillet 1905 par le Dr Beaurieux, médecin de l’Hôtel-Dieu.
Messieurs,
Le 28 juin 1905, à 5 h.1/2 du matin, le nommé Languille, condamné à mort par la Cours d’assises du Loiret, subissait la peine capitale.
Grâce à la bienveillance de M. le procureur général, j’obtins l’autorisation de pouvoir observer s’il y avait des phénomènes de survie en examinant de très près la tête du condamné immédiatement après la section du cou par le couperet de la guillotine.
Je crois qu’il est indispensable que vous sachiez que Languille fit montre d’un sang-froid et même d’un courage extraordinaire depuis le moment où il fut averti que l’heure suprême sonnait pour lui jusqu’au moment où il se dirigea d’un pas ferme vers l’échafaud. Peut-être en effet, les conditions d’observation et, conséquemment, les phénomènes observés sont-ils très différents selon que les condamnés gardent tout leur sang-froid et la pleine possession d’eux-mêmes ou selon qu’ils sont dans un état de prostration physique et morale tel qu’on est obligé de les porter au lieu du supplice et qu’ils sont déjà à demi morts et comme paralysés par l’angoisse terrifiante de la minute fatale.
Dès que Languille fut jeté sur la bascule, je me plaçais en avant de l’exécuteur et des montants de la guillotine, exactement au-dessus de la tête du patient et de l’auge oblongue en métal qui est destinée à la recevoir et à laquelle l’exécuteur et ses aides donnent le nom de baignoire. Je ne quittai donc pas la tête des yeux, sans me laisser distraire par aucun des autres détails de l’exécution. Après quelques secondes d’attente et un léger temps après la perception d’un bruit sourd, je vis la tête comme projetée en avant tomber dans la baignoire. Je me portai immédiatement en avant de la guillotine, et l’aide de droite, qui en avait reçu l’ordre de M. Deibler (10), enleva immédiatement le paravent placé au devant de la baignoire dans le but d’empêcher la tête de rouler sur le sol ainsi que, paraît-il cela s’est produit plusieurs fois.
La tête était tombée sur la section du cou et je n’eus donc pas à la saisir dans mes mains comme l’ont répété à l’envi tous les journaux ; je n’eus même pas besoin de d’y toucher pour la redresser. Le hasard me servait bien pour l’observation que je voulais prendre.
Voici donc ce qu’il me fut donné d’observer immédiatement après la décapitation : les paupières et les lèvres du guillotiné s’agitèrent pendant cinq à six secondes environ, dans des contractions particulièrement rythmées. Ce phénomène a été constaté par tous ceux qui se sont trouvés dans les mêmes conditions que moi pour observer ce qui se passe aussitôt après la section du cou. Le Dr de Saint-Martin, médecin-major à Rambervillers (Vosges), a fait connaître des observations à cet égard. Il n’avait pas vu lui, qu’un seul exécuté, mais par profession, plusieurs. Or, il a noté des contractions de la face et des mouvements des paupières, et, chaque fois, sans qu’il ait eu besoin de parler aux têtes coupées.
« A la minute même, écrit le Dr de Saint-Martin, où la tête, sectionnée au niveau de la troisième cervicale, tombait dans l’auge oblongue qui est placée devant la guillotine, la face cyanosée, les pommettes et les lèvres présentaient une coloration violacée très intense. Cette congestion de la face ne pouvait résulter de la compression du cou dans la lunette, car, dans un cas particulier, la partie supérieure mobile de la lunette n’avait pas été rabattue et les muscles du cou et de la nuque pouvaient aisément se contracter. Pendant une demi-minute environ, il se produit des mouvements spasmodiques très étendus des muscles de la face, qu’on peut observer d’ailleurs sur des animaux décapités, durent au plus deux minutes. »
M. Deibler avait d’ailleurs pris soin de m’avertir de la constance et de la régularité de ces réflexes dus certainement à l’irritation produite par la section des centres nerveux, de telle sorte que j’ai pu éviter cette cause d’erreur dans laquelle me reprochent de m’être laissé grossièrement tomber MM. les Drs Marcel Baudoin et Gley qui ont basé leur opinion sur les racontars des reporters de journaux qui les ont fait interviewer et non sur la publication de mon observation dont la Société de médecine du Loiret a la primeur.
La seule contradiction qui existe dans le cas unique qu’il m’a été donné d’observer et ceux relatés par le Dr de Saint-Martin est que : 1° ni la face ni les lèvres n’étaient congestionnées ; 2° les contractures spasmodiques des paupières et des lèvres n’ont duré que cinq à six secondes et non pendant une demi-minute.
J’attendis donc quelques secondes. Les mouvements spasmodiques cessèrent. La face se détendit, les paupières se refermèrent à demi sur les globes oculaires, laissant voir la seulement la blancheur des conjonctives, absolument comme chez les agonisants qu’il nous est donné de voir tous les jours dans l’exercice de notre profession ou comme chez ceux qui viennent de mourir. C’est alors que j’appelai une première fois, d’une voix forte et brève : « Languille ! » Je vis alors les paupières se soulever lentement sans aucune contraction spasmodique, - j’insiste à dessein sur cette particularité, - mais d’un mouvement régulier, net et normal, comme cela se passe pendant la vie chez les gens qu’on réveille ou qu’on arrache à leurs rélfexions. Puis les yeux de Languille se fixèrent d’une façon précise sur les miens et les pupilles s’accommodèrent. Je n’ai donc pas eu affaire à un regard vague et terne, sans expression aucune, comme nous pouvons l’observer tous les jours chez les mourants que nous interpellons : j’ai eu affaire à des yeux bien vivants qui me regardaient.
Au bout de quelques secondes, les paupières se refermèrent, lentement et sans secousse, et la tête s’offrit à moi dans les mêmes conditions qu’avant mon appel.
C’est alors que je renouvelai cet appel, et de nouveau, sans spasme, avec lenteur, les paupières se soulevèrent et les yeux bien vivants se fixèrent sur les miens avec plus de pénétration peut-être encore que la première fois. Puis il y eut une nouvelle occlusion de paupières, moins complète cependant.
Je tentai un troisième appel ; rien ne bougeai plus, - et les yeux prirent l’aspect vitreux qu’ils ont chez les morts.
Je viens de vous rapporter exactement, rigoureusement ce qu’il m’a été donné d’observer. Le tout avait duré vingt-cinq à trente secondes.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cette observation qui est la première en l’espèce ? Car vous n’ignorez pas que la prétendue observation analogue que Velpeau aurait prise sur la tête du Dr La Pommeraye n’a jamais existé que la féconde imagination du grand romancier Villiers de l’Isle-Adam. Le Dr de Saint-Martin s’est contenté d’observer les réflexes qui se produisent immédiatement après la décollation et n’a jamais cherché à parler à la tête coupée. Le Dr Petitgaud, qui a assisté à la décapitation d’un condamné annamite, dont la tête tomba également sur la surface de section, ce qui dit-il réduisit l’hémorragie au minimum, vit alors les yeux du condamné se fixer sur les siens et le suivre dans son mouvement circulaire. Les regards du supplicié le poursuivirent même lorsque, voulant y échapper, il changea de direction. Mais lui non plus n’a pas cherché à entrer en relations avec la tête du supplicié. C’est donc, je le répète, à ma connaissance du moins, mon observation qui est la première en pareil cas.
Je conclus donc d’une façon formelle que le sens de l’ouïe et le sens de la vision persistent manifestement vingt-cinq à trente secondes après la décapitation. Ceci est pour moi indéniable et ceci seulement. Ai-je eu affaire en l’espèce à un réflexe supérieur, réflexe qui date de la première enfance et qui fait que nous avons l’habitude de chercher à voir d’où vient le bruit qui frappe notre oreille et la cause qui le produit ? Cela est possible. C’est l’opinion du Dr Hartmann qui a été interviewé au sujet de mon observation par un rédacteur du Matin. Et en passant, je me range volontiers à l’avis qu’il exprime que j’aurais vu se dérouler devant moi les mêmes phénomènes en poussant un cri quelconque au lieu d’appeler le supplicié par son nom.
Cela semble être aussi l’avis du Dr Langlois, professeur agrégé de physiologie à la Faculté de Paris, qui répond ainsi à un rédacteur de la Patrie qui l’interrogeait sur le cas que je discute en ce moment : « il y a quelques jours, sans penser à Languille et encore moins à l’expérience dont il devait être l’objet, je parlais à mes élèves des observations que l’on avait faites dans cet ordre d’idées à différentes époques.
« Citant un cas analogue à celui de Languille, je démontrais qu’il existe des relations directes entre les nerfs de l’oreille et les nerfs de l’œil par l’intermédiaire des noyaux intra-bulbaires qui peuvent expliquer les réflexes des paupières et des globes oculaires, sans que le cerveau supérieur, c’est-à-dire la conscience, y prenne aucune part. »
Il continue en rappelant des expériences analogues faite sur des animaux décapités ou seulement plongés dans le sommeil chloroformique et chez lesquels les mêmes phénomènes ont été observés.
Le Dr Manouvrier, directeur de l’Ecole d’anthropologie, dit à son tour :
« Dans l’état de syncope causé par cessation ou diminution considérable de l’afflux sanguin dans le cerveau, l’individu ne souffre pas, il a perdu toute conscience, ce qui n’empêche pourtant pas les réflexes. Nous pouvons supposer qu’un décapité se trouve au moins dans un état d’évanouissement par suite d’une anémie que nous pouvons appeler considérable. Si ce décapité a remué les yeux, c’est qu’il a entendu. »
Voilà donc trois confrères des plus distingués, Hartmann, Langlois et Manouvrier, qui acceptent sans hésiter l’idée d’un réflexe supérieur qui a son point de départ dans l’excitation par le son des nerfs de l’oreille et aboutit, par l’intermédiaire des noyaux intra-bulbaires, à l’excitation des nerfs de la vision. Pour que pareil réflexe puisse se produire, il est indispensable d’admettre que le cerveau conserve dans son ensemble une survie de tous ses éléments. Il est possible d’ailleurs que le fait que la tête était tombée sur la surface de section ait pu me mettre dans les conditions les plus favorables pour l’expérience que j’ai tentée, en ce sens que l’hémorragie a été réduite au minimum ou tout au moins les vaisseaux cérébraux se sont vidés plus lentement. Quoi qu’il en soit, il reste un fait indéniable, c’est que le sens de l’ouïe et le sens de la vision ont survécu pendant vingt-cinq à trente secondes à la décollation.
Or, je le me demande pourquoi, alors qu’on admet sans réserve la survie du cerveau inférieur, on nie catégoriquement la survie du cerveau supérieur, c’est-à-dire de la conscience. Je ne voudrai certes pas faire du roman imaginatif quand je traite sérieusement une question de physiologie. Cependant vous m’accorderez bien que l’écorce peut survivre du moment où les noyaux intra-bulbaires survivent et qu’il n’y a pas de raison de nier cette survivance possible. La perception consciente ne peut nous être révélée que par le sujet même. Voilà pourquoi le problème est insoluble scientifiquement parlant. Mais il n’en reste pas moins vrai que l’hypothèse de la persistance de la perception consciente ne peut être rejetée a priori et qu’elle mérite d’être discutée.
Je me garderai bien d’être aussi affirmatif que le Dr Petitgaud dont je vous rappelais l’observation prise sur le décapité annamite et qui concluait nettement à la persistance des fonctions intellectuelles en face de ces yeux vivants qui le fixaient et le suivaient dans tous ses mouvements. Cependant je conserve un doute, et je pense que ce serait manquer aux règles primordiales de la méthode d’induction que de vouloir ou nier ou affirmer catégoriquement.
Dans tous les cas, si la conscience survit et avec elle la souffrance, cette survie est assez courte pour qu’elle n’aggrave pas beaucoup la peine capitale ; et le supplice de la guillotine me semble réduire à son minimum la douleur du supplicié.
J’ajouterai à titre de renseignement complémentaire que l’exécuteur m’a affirmé qu’il n’observait jamais les moindres contractions dans les membres ni dans le tronc. Un de ses aides qui a déjà assisté à de nombreuses exécutions m’a confirmé cette assertion et m’a dit avoir une seule fois constaté après la décapitation des mouvements dans les membres. C’était chez un Marocain exécuté à Alger. Ce condamné, alors qu’on le tenait couché sur la bascule, remuait constamment les mains comme pour se dégager des liens qui les attachaient. Les doigts et les mains continuèrent à être agités de mouvements pendant deux minutes au moins après que le corps était tombé dans le panier.
J’ai tenu à entrer dans tous ces détails parce que les phénomènes observés sont en désaccord avec ceux qu’on a pu voir se produire chez les animaux décapités et spécialement chez les oies et les canards qui continuent à marcher et à battre des ailes après la décapitation. Il semble de prime abord qu’il ait là une sorte de contradiction inexplicable entre ce qui se passe chez les suppliciés et chez les animaux dont je citais l’exemple bien connu de tous. Faute d’explication satisfaisante, je me contente d’enregistrer le fait dans sa brutalité.
Telles sont donc dans leur simplicité rigoureuse l’observation qu’il m’a été donné de prendre et les réflexions qu’elle m’a inspirées. J’ai pensé que cela pourrait avoir quelque intérêt pour vous ; c’est ce qui m’a décidé à vous en faire la relation.
Je n’ai pas besoin d’ajouter que je en suis pour rien dans tout le bruit fait par la presse autour de cette expérience ; c’est ce qui peut expliquer tout le romanesque horrible avec lequel elle a été présentée au public et cela vous démontrera une fois de plus combien nous devons nous défier, et spécialement pour les choses qui ont un caractère scientifique, de la fertile imagination des reporters.
19 juillet 1905 »
La Croix 30 juin 1905 :
Si l’on en croit ce qui va suivre, les expériences sur les têtes décapitées avaient commencé bien avant l’étude du docteur Beaurieux. Ainsi le docteur Dassy de Lignères raconte sous la plume du journaliste Georges de Labruyère (1856-1920) dans Le Matin, paru le 3 Mars 1907, comment, avec l'assistance du Professeur Sappey, il a tenté de réanimer la tête décapitée du criminel Menesclou (11) par transfusion sanguine (12):
« IL ETAIT FOU !
Les aventures d’une tête coupée
Le docteur qui autopsia Menesclou raconte l’émouvante opération.
Voici l’épilogue promis de Petites mains sanglantes.
Après sa conversation avec le vieil employé de la « Cigogne » (appellation argotique désignant la Justice), l’auteur du récit, plus convaincu que jamais qu’il avait été fait autopsie du cerveau de Menesclou, se mit en campagne.
D’inductions en inductions, de pistes en pistes, il finit par connaître à n’en pouvoir douter que, trois heures après l’inhumation authentifiée par le procès-verbal qu’on a lu hier, le corps avait été exhumé, presque clandestinement, et transporté au laboratoire de travaux physiologiques de la Faculté de médecine.
La tête du supplicié avait été certainement dépecée, mise en miettes, « débitée » en un mot, car il n’en existait aucun moulage au musée d’anthropologie criminaliste.
Qui donc avait fait l’autopsie ?
En se reportant aux annuaires médicaux de l’époque (1880), il fut facile de retrouver les noms de ceux qui composaient le personnel du laboratoire des travaux pratiques.
Les uns avaient disparu, les autres subsistaient. L’un, entre autres, M. le docteur Dassy de Lignières, préparateur et même chef adjoint, sous la haute autorité de Béclard.
Qu’était devenu le docteur Dassy de Lignières ?
L’enquête fut prompte et couronnée de succès. Après avoir été pendant de longues années professeur de physiologie à la faculté de Santiago-du-Chili, M. Dassy de Lignières était revenu en France où, tout en poursuivant ses recherches anthropologiques et physiologiques, il s’était plus spécialement consacré à des études et à des inventions d’électricité appliquée. On le citait, notamment, comme l’inventeur d’un moteur à courant alternatif dont s’émouvait l’industrie de la mécanique.
L’homme était découvert ; il fut aisé de le joindre et voici sa déposition :
Chez le docteur de Lignières.
L’affaire Menesclou ? Vous me rappelez un des souvenirs les plus vivaces de ma jeunesse, d’autant plus vivace qu’il ressucite en moi avec une acuité nouvelle, en raison de la polémique actuellement ouverte, au sujet de Soleillant (13), sur la question du maintien ou de l’abolition de la peine de mort.
Mince et svelte, en dépit de la cinquantaine passée, le jarret dru et le regard aigu, tout en roulant, à l’ancienne mode, une cigarette entre ses doigts minces, le savant physiologiste arpente son cabinet de travail.
« Oui, vous avez raison : Menesclou a été autopsié, quoi qu’en disnet les actes officiels. Il l’a été par moi-même, sous les yeux du professeur Sappey.
Voici comment cela s’est fait.
La veille de l’exécution, c’est-à-dire le 6 septembre, vers dix heures du soir, je reçus une note de la préfecture de police, ainsi conçue :
« Demain matin, la prise de corps d’un supplicié pourra être faite par la Faculté de médecine, dans le cas où le corps ne serait pas réclamé par la famille. »
Je passai la nuit à prendre, dans mon laboratoire, les dispositions nécessaires, en vue de la transfusion du sang dans la tête du décapité.
Je voulais essayer de prouver que, dans une tête séparée du tronc, la conscience n’est que suspendue comme dans la syncope, et qu’elle peut s’y manifester de nouveau si la tête est replacée dans les conditions physiologiques où elle se trouvait avant la décollation, c’est-à-dire si du sang artériel lui est restitué. »
Le chien ressuciteur.
« J'envoyai, avec un bon, demander un chien à la fourrière. On m'amena un vigoureux mâtin dont, après examen, je reconnus la robustesse et la jeunesse. C'était bien là le sang pur et vigoureux dont j'avais besoin.
J’adressai au bel animal quelques paroles de tendresse et d’encouragement, le rassurant sur l’issue, quant à sa sécurité, de son intervention dans une affaire aussi grave. La brave bête parut m’avoir compris et se prêta de bonne grâce au ligotage indispensable au maintien de son immobilité pendant l’opération.
Je me hâte de dire, pour ne pas contrister les âmes sensibles – dont je suis moi-même en ce qui concerne les animaux – que Loufoque (c’est ainsi que je le baptisai par analogie) ne souffrit aucunement de la conjecture, qu’il fut conservé et choyé par moi jusque dans son extrême vieillesse.
Mes préparatifs terminés, mon sujet mis en état de fournir la transfusion du sang, je regardai ma montre et j’attendis. »
Déception.
« A six heures trois quarts, je perçus dans la cour de l’annexe le roulement du fourgon qui devait m’apporter les restes du supplicié.
Jamais amant attendant une maîtresse chérie ne ressentit, je crois, une joie aussi intense que celle qui fut la mienne à cette minute.
Le conducteur de la voiture paru devant moi, et, sa casquette à la main me dit :
Monsieur le docteur, on a refusé de me livrer le macchabée !
La déception fut cruelle.
Je fis détacher mon chien, lui prodiguai quelques caresses désolées ; mais ne voulant pas être vaincu, j’informai aussitôt M. le professeur Sappey, mon maître, de ce qui arrivait.
Sa réponse ne se fit pas attendre. »
Nous « dérobons » le cadavre.
« M. le professeur Sappey accourut, joignit sa protestation écrite à la mienne, et je volai boulevard du Palais, avec la résolution nettement délibérée de réveiller M. Andrieux. Mais l’élégant préfet de police, homme du monde et noctambule irréductible, venait à peine de se glisser sous ses couvertures, selon l’expression du poète Clément Marot. Il me dépêcha son secrétaire, M. Domergue. Sur mes instances, cet aimable fonctionnaire voulut bien télégraphier à M. le commissaire de police de Gentilly, et, après une rapide et clandestine exhumation, le corps nous parvint enfin au laboratoire de physiologie.
Eh bien : malgré ce retard de trois heures, notre expérience donna des résultats concluants. Qu’eût-ce été si, tout préjugé aboli, il nous avait été permis de la tenter, cette expérience, à la prison même, au moment même de la décollation !
Voici le dispositif que j’avais adopté pour essayer de triompher des difficultés prévues par Vulpian (14) :
La tête s’anime, les yeux parlent.
Après avoir découvert l’artère carotide gauche du chien, j’adaptai, dans la lumière de cette artère, une canule spéciale, à robinet, fixée de telle sorte que le sang artériel pût jaillir, en conservant intacte, sous l’umpulsion cardiaque, toutes ses qualités de pression, de plasticité et de chaleur.
Les choses étant ainsi disposées, en présence du professeur Sappey et du garçon de laboratoire, je pris dans mes mains la tête du supplicié. Je constatai que la section faite par le couteau de la guillotine portait sur le tronc des deux carotides primitives, à deux centimètres environ au-dessous de leur bifurcation. Les vaisseaux carotidiens s'étaient fortement rétractés ; cependant, en saisissant les carotides primitives à l'aide d'une pince, je pus les ramener au niveau de la section. Je fermai par une ligature le tronc de l'artère carotide gauche et adaptai au tronc de la carotide primitive droite une canule sur laquelle je liai le vaisseau. A cette canule, je fis aboutir l'extrémité d'un tube en caoutchouc, lequel se trouvait adapté par avance à la canule à robinet fixée dans le bout central de l'artère carotide gauche du chien. Pour prévenir les fusions trop abondantes de sang par les différentes branches vasculaires comprises dans la section cervicale, branches qu'il était impossible d'apercevoir, je recouvris la presque totalité de la surface de la plaie avec des lambeaux d'amadou.
Le cœur du chien vivifie la tête de l’homme.
Alors, j'ouvre le robinet: Le sang artériel du chien se précipite à travers les tubes conducteurs et pénètre, à plein canal, dans les carotides droites de la tête du supplicié. Le sang injecté se répand dans tout le réseau vasculaire de la tête et, à ce moment, le spectacle devient vraiment grand et terrible.
Dans le profond silence des souffles retenus, anxieusement penché, presque face à face avec la tête du décapité, je cherche à y surprendre l'éclair d'une manifestation psychique, tandis que le garçon de laboratoire éponge les fusées sanglantes et que le professeur Sappey, quelque peu impatient de procéder à ses chères investigations anatomiques, domine la scène de sa haute taille.
Dès le premier jet de sang artériel, la soudaine impulsion du cœur, la face du décapité a rougi, surtout du côté droit qui était sain, car le côté gauche présentait une cicatrice vasculaire. Les lèvres se colorent et se tuméfient sensiblement. Les traits se dessinent et se précisent ; toute la physionomie s'éclaire. Ce n'est plus le masque livide et flasque de tout à l'heure ; cette tête va parler, car elle vient de s'animer sous les battements d'un cœur.
Et alors, je vis bien nettement, pendant l'espace de deux secondes (la décapitation avait trois heures et demie de date), je vis les lèvres s'agiter, comme pour un balbutiement, les paupières clignoter et faire effort pour s'ouvrir; je vis la face revivifiée dans une expression générale de réveil et d'étonnement. J'affirme que, pendant ces deux secondes le cerveau a pensé!... »
Les cigarettes ont succédé aux cigarettes. Très animé par ses souvenirs, le docteur de Lignières brusquement s’arrête.
« Ma conclusion, je vous la dirai un autre jour, avec les développements qu’elle comporte. Pour l’instant, retenez bien ceci. Il n’est pas de pire supplice que la décapitation par la machine de ce M. Guillotin, député humanitaire et sensible. Retenez, retenez bien ceci :
Quand le couteau a fait son œuvre, a chu avec ce bruit sinistre que vous connaissez, que la tête a roulé dans la sciure, cette tête, vous entendez bien ! cette tête séparée de son corps entend les voix de la foule. Le décapité se sent mourir dans le panier. IL VOIT LA GUILLOTINE ET LA CLARTE DU JOUR !
Mais nous reviendrons là-dessus une autre fois. Ce que vous voulez, n’est-ce pas ? c’est savoir si Menesclou était responsable. Eh bien ! voici mon opinion : on l’a guillotiné, on aurait pu s’en dispenser.
Le cerveau était en bouillie. – Les méninges adhéraient.
Nous procédâmes ensuite à l’examen du cerveau.
Le crâne, scié suivant le tracé d’un couronne ceignant la tête, en passant au-dessus des oreilles, le cerveau put être facilement extrait de sa boîte osseuse. Le lobe frontal des deux côtés était atteint d’un ramollissement cérébral des plus prononcés, ainsi que la première et la deuxième circonvolution pariétale ; la première et la deuxième circonvolution temporale, ainsi que le lobe occipital, étaient également ramollis, mais à un moindre degré. En somme, le ramollissement général du cerveau était tel qu’on dut renoncer à en essayer le moulage. Les méninges arachnoïdes et pie-mère (pie-maire, méninge interne, NDLR) étaient très résistantes et très épaissies, comme chez les quadrupèdes.
Le premier pli de passage occipito-pariétal, normal à gauche, était profond avec tendance à la calotte à droite. Broca (15) avait déjà trouvé cette malformation chez la plupart des suicidés et chez quatre-vingt-dix-neuf suppliciés.
Le poids du cerveau était de 1,382 grammes, c’est-à-dire 32 grammes de plus que le poids moyen, et cette exagération de poids est assez générale chez les assassins.
Interrogez n’importe quel physiologiste, il vous dira, après lecture de ces constatations : l’homme qui avait ce cerveau-là était un fou.
Si j’entre dans le détail de ce rebutant exposé, je vous dirai qu’en contradiction avec les conclusions du rapport Brouardel, Lasègue, Motet, etc. (16), je dus, jeune physiologiste, me taire et faire le mort.
Pourtant, quand Brouardel m’entendit lui dire, de Menesclou, qu’il était sourd, le maître de la médecine légale haussa les épaules et me jeta dédaigneusement :
Allons donc, il simulait !
Pardon maître, j’ai ses oreilles.
Eh bien ?
Ce n’est qu’un magma fibrineux.
Il n’insista pas, ni moi non plus, j’étais jeune, j’avais ma carrière à sauvegarder.
Soleillant ?
Est-ce que je sais moi ! Je vous dirai ça quand il sera mort, si je fais l’autopsie de son cerveau.
Georges de Labruyère »
Encore un peu plus près de nous en 1926, le docteur russe Sergueï Brioukhonenko, expérimentait son « Autojektor », une machine qui constituait le premier ensemble « cœur-poumon » artificiel, qui sera l’un des prémices aux opérations à cœur ouvert. On peut être un anti-communiste viscéral comme je le suis, il faut bien se rendre à l’évidence, les scientifiques de l’ère soviétique étaient globalement des gens sérieux. D’ailleurs, il valait mieux en plein règne de Staline… Probablement aussi sérieux que les guignols qui ont conçu le navigateur Internet que j’utilise ce soir et qui sont pourtant allés sur la Lune… Le scientifique va tenter de ranimer la tête tranchée d’un chien grâce à un système de circulation sanguine artificiel. Une fois la circulation établie, la tête est capable de réagir à différents stimuli : la lumière lui fait ouvrir les yeux, le bruit d’un marteau qui cogne lui fait peur, un bâtonnet trempé dans de l’acide citrique la fait réagir et tenter de l’éviter.
Le docteur raconte :
« La sonde insérée dans la narine a provoqué une irritation de la muqueuse du nez, ce qui a provoqué de vifs mouvements. Cette irritation a provoqué une réaction de la tête si énergique et si longue qu’une hémorragie s’est déclenchée au niveau de la coupe et c’est tout juste si les tubes reliés aux vaisseaux ne se sont pas brisés. Il a fallu maintenir la tête sur l’assiette avec les mains. Il était impressionnant de voir la tête du chien qui tentait de se libérer de la sonde insérée dans sa narine. La tête a ouvert la gueule à plusieurs reprises et semblait essayer d’aboyer et de hurler. »
La tête tranchée se léchait les babines et mangea même un morceau de fromage qui tomba de son œsophage. L’expérience aurait duré de 3 à 4 heures, ce qui est largement contesté par la communauté scientifique internationale qui y voit seulement quelques minutes de survie. D’autres expériences furent tentées par des disciples de Briokhonenko, notamment celle de 1959 avec le docteur Vladimir Demikhov qui greffa une seconde tête sur un chien. En 1940, paraissait un documentaire, intitulé « Experiments of revivals of the organisms » dont je vous donne un extrait ici, en anglais :
En général, les scientifiques d’aujourd’hui s’accordent sur le fait que la section brutale de la moelle épinière provoquerait une perte de conscience instantanée. Le jet de sang provenant des carotides peut atteindre 50 cms en position horizontale. Nous avons vu les études des têtes, mais qu’en est-il du comportement des corps ? Je vais vous demander une nouvelle fois de vous replonger dans l’horreur, en 1898 avec le rapport du docteur Louis Capitan (le bien nommé) sur l’exécution de Xavier Carrara (17) le 25 juin 1898. Je publie ici son rapport (18).
« L’exécution de Carrara. – Carrara, l’auteur de l’assassinat du garçon de recette Lamare, tué au Kremlin-Bicêtre le 30 novembre 1897 et brûlé ensuite, a expié ce matin son odieux forfait (25 juin).
Un assez fort service d’ordre, dirigé par M. Orsatti, commissaire divisionnaire, empêchait le public d’approcher du lieu où la guillotine allait être dressée. La pluie, qui a commencé à tomber à onze heures du soir pour ne cesser qu’au moment même de l’exécution, avait découragé les curieux, qui étaient beaucoup moins nombreux qu’à l’ordinaire sur la place de la Roquette ; en sorte qu’on n’a pas été témoin, cette fois, de ces scènes de désordre qu’occasionnent trop souvent les exécutions. Les gens pour qui c’est une partie d’agrément d’assister – de fort loin, d’ailleurs, car ils sont maintenus à une très longue distance – au supplice d’un condamné, ont fait aujourd’hui à peu près complètement défaut.
A deux heures et demie, les bois de justice sont arrivés et les aides de M. Deibler ont aussitôt procédé au montage de la machine. Tout ce travail s’effectue sans bruit et quand, à trois heures et demie, il est terminé, l’exécuteur des hautes œuvres s’assure que le couteau joue bien dans les rainures ; puis, avec le flegme qu’une longue habitude lui a donné, il va prévenir M. Parent, directeur de la Grande Roquette qu’il est prêt à opérer. Pendant ce temps arrivent MM. Blanc, préfet de police ; Flory, juge d’instruction ; Cochefert, chef de la sûreté ; Leygonie, commissaire de police du quartier de la Roquette ; l’abbé Valadier, aumônier de la Grande Roquette, et Wilmès, greffier de la cour.
A trois heures quarante, MM. Parent, Leygonie, Flory, Valadier et Wilmès pénètrent dans la cellule du condamné. Ils entrent sans que celui-ci ne se soit aperçu de leur présence, car il dort d’un sommeil profond, enfoui en quelque sorte sous les draps de la couchette. Le directeur de la Grande Roquette s’approche de lui ; il le touche ; mais Carrara dort toujours ; il le secoue alors légèrement. Le condamné s’éveille, ouvre de grands yeux et comprend, à la vue de l’assistance, que sa dernière heure est arrivée. « Carrara, lui dit doucement M. Parent, votre recours en grâce a été rejeté. Levez-vous. Préparez-vous à mourir. » A ces mots, l’assassin de Lamare pousse un profond gémissement. Il ne paraît pas entendre ce qu’on lui dit et il semble hébété. Il descend lentement de son lit et, tandis que machinalement il passe son pantalon et met ses souliers, ce qui, avec sa veste jetée sur ses épaules, constitue son costume. Le directeur de la Grande Roquette ajoute : « Si vous avez des révélations à faire, M. Flory, juge d’instruction, est présent pour les recevoir. Si vous voulez rester quelques instants avec M. L’aumônier nous allons sortir. »
Carrara, qui n’a aucune révélation à faire, se contente, pour toute réponse, de continuer à soupirer avec bruit. MM. Parent, Leygonie, Flory et Wilmès se retirent alors et laissent seuls le prêtre et le condamné. Leur tête-à-tête à duré trois minutes, après quoi on s’est rendu dans la salle du greffe, où doit être faite la dernière toilette. Pendant le trajet et tandis qu’on se livrait aux derniers apprêts, Carrara n’a proféré aucune parole. La tête penchée sur la poitrine, il exhalait de profonds soupirs, tandis que l’aumônier l’exhortait à bien mourir. Tout en lui parlant, M. Valadier le faisait boire à même une bouteille contenant un cordial ; il l’a approché de ses lèvres jusqu’à quatre fois. Puis il lui a présenté un crucifix qu’il tenait à la main, et Carrara l’a baisé à plusieurs reprises avec une sorte de respect. C’est le seul acte par lequel il a montré qu’il se rendait compte de ce qui se passait. Il était anéanti, et les personnes qui ont assisté à cette scène déclarent n’avoir jamais vu un condamné aussi inconscient et aussi inerte. Enfin, la toilette est finie et l’on dirige le condamné vers la guillotine.
Au dehors, les personnes privilégiées qui stationnent autour des bois de justice, s’attendant à l’apparition imminente du condamné, gardent le silence. Tout à coup les deux battants de la porte de la Grande Roquette roulent sur leurs gonds, et l’on voit Carrara, les mains liées derrière le dos, des entraves aux pieds, s’avancer avec peine. Précédé par M. Deibler et son fils, il est soutenu ou plutôt porté (car il est sans force) par un aide, un gardien de la prison et l’aumônier qui, placé à sa droite, a passé son bras sous le sien, tandis qu’il lui montre de l’autre le crucifix. Le condamné ne prononce pas un mot ; mais il ne cesse de geindre. Sa tête, relevée par le prêtre qui lui fait baiser de temps en temps le crucifix, retombe presque aussitôt sur sa poitrine. Ramassé sur lui-même, courbé en deux, le patient regarde le sol. Il n’aperçoit pas la guillotine, mais pourrait-il distinguer quelque chose dans l’état de prostration où il se trouve ? Il est presque inanimé. Son visage est d’une pâleur livide, affreuse, ou plutôt il n’a pas figure humaine, tant il est bouleversé par l’épouvante. Mais le voilà au pied de l’instrument du supplice. Alors l’aumônier l’embrasse et le laisse aux aides qui le couchent sur la planche fatale, où ils sont obligés de l’étirer avec force pour faire prendre une position horizontale. Pendant que ces derniers préparatifs s’accomplissent, le prêtre s’est agenouillé sur le sol et il prie Dieu. Quand la tête du patient est bien engagée dans le lunette, M. Deibler, qui est resté jusque-là spectateur de cette scène émouvante, s’avance et touche un ressort ; on entend un coup sourd ; un flot de sang jaillit : Carrara n’est plus. Il est alors quatre heures précises : il s’est donc écoulé vingt minutes entre le moment du réveil du condamné et sa mort. Le corps du supplicié, enfermé avec hâte dans le panier plein de son, est placé dans un fourgon qui, escorté de quelques gendarmes, roule rapidement vers le cimetière d’Ivry, où l’inhumation doit avoir lieu. La famille du meutrier n’a pas réclamé la dépouille funèbre.
Aussitôt après le départ du fourgon, les curieux s’écoulent lentement, commentant, selon l’usage, la façon dont est mort l’assassin de Bicêtre.
Voici l’acte de décès du supplicié, rédigé à la mairie du 11e arrondissement.
« Ce jour-d’hui, 25 juin 1898, à quatre heures du matin, est décédé Carrara (Xavier-Ange), né à Albino (Italie), le 15 mars 1863, fils de Carrara (Antoine-Nicoli) et de Toussaint. »
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Observations physiologiques à l’exécution de Carrara (communication faite à la Société d’anthropologie). – Une exécution capitale n’est certes pas un spectacle agréable à voir, mais on peut y faire une série d’observations parfois intéressantes.
J’ai pu, à l’exécution de Carrara, noter quelques faits dont l’énoncé à la Société de Biologie a suscité de la part de MM. Ch. Richet (19) et Gley quelques observations pleines d’intérêt.
Tout d’abord il m’avait semblé, ainsi d’ailleurs qu’aux autres assistants, que les aides et le bourreau opéraient avec une extrême lenteur, les premiers pour faire basculer le condamné et le coucher sur la planche, le second pour arriver à bien disposer la tête déjà fixée dans la lunette.
C’est surtout ce dernier temps de l’opération qui a paru exagérément long à tout le monde, des murmures se sont même fait entendre à ce moment parmi le public. J’ai estimé cette durée à six ou huit secondes, un assistant à douze secondes. Or, M. Ch. Richet nous a fait observer qu’il pouvait bien n’y avoir là qu’une illusion. Plusieurs observateurs, Régnard entre autres, ont déjà noté cette sensation d’extrême lenteur durant les exécutions capitales, et, ayant vérifié, montre en main, ils se sont aperçu qu’au contraire les acteurs de ce drame évoluaient très rapidement. Suivant l’expression vulgaire, les secondes paraissent alors des minutes.
A ce propos, M. Ch. Richet a cité une très curieuse observation qu’il a pu faire. Ayant assisté fortuitement à la chute d’un individu tombant d’un lieu élevé, bien que cette chute se fût produite très rapidement, il lui sembla que l’individu était tombé avec une extrême lenteur, s’inclinant d’abord en avant, puis planant et finissant enfin par se renverser la tête en bas avant d’atteindre le sol.
Pour M. Laborde – qui a bien voulu nous envoyer par écrit le résultat de très intéressantes observations faites par lui aux nombreuse exécutions auxquelles il a assisté – la longueur apparente ou réelle des préparatifs et du temps qui précède immédiatement l’exécution dépend surtout de l’état dans lequel se trouve le condamné, tantôt inerte, tantôt au contraire excité et luttant contre le bourreau et ses aides. Suivant les cas, on comprend que ceux-ci doivent mettre un temps plus ou moins long pour arriver à se rendre maître de la victime et à la disposer correctement sur la planche de la guillotine. De là, dans certains circonstances, un retard réel et une certaine lenteur dans l’intervention du bourreau et de ses aides, lenteur qui paraît d’autant plus grande que l’on a le très pressant désir de voir le dénouement se produire le plus vite possible.
En somme, il y a là un point qu’il serait intéressant d’élucider, le cas échéant, avec un bon chronomètre.
La seconde observation que j’ai pu faire est d’un tout autre ordre. Carrara s’est comporté comme les criminels saisis d’une émotion telle qu’ils perdent à peu près connaissance dès que s’ouvre la porte de Mazas et qu’ils aperçoivent ce très émouvant et terrifiant spectacle de la guillotine, éclairée par le petit jour blafard filtrant à travers le feuillage, flanquée du panier ouvert et isolée au milieu d’un carré formé par les journalistes et les agents de police et dans le fond par les gendarmes à cheval. On le traîna, exsangue, livide, jusqu’à la guillotine. Il eut un brusque mouvement de recul du tronc en arrière, au moment où on le poussa contre la bascule, puis il resta immobile. L’aide de gauche n’eut pas besoin de le tirer en avant par les épaules, ainsi qu’il est souvent obligé de le faire. Il nous sembla abosulement inerte, cadavérique, pendant que Deibler manipulait la tête de façon à ce qu’elle se présentât convenablement au couteau.
Or, dès que le couteau fut tombé, nous pûmes constater que la section du cou, encore engagé dans la lunette, ne saignait pas, ou tout au moins fort peu, et présentait l’aspect de la section d’un cou de cadavre. Le tronc fut alors, rapidement d’ailleurs, projeté dans le panier. Mais les épaules butèrent sur le bord et le cou resta hors du panier, très visible. Ce ne fut qu’à ce moment-là que les carotides donnèrent un jet de sang rouge qui jaillit à plus d’un mètre en l’air et à peu près d’un mètre cinquante en avant.
Ce fait fut remarque par les assistants ordinaires et forcés des exécutions (officiers de paix et fonctionnaires de la préfecture de police). Ils nous firent observer que dans le cas, par exemple, de Vaillant ou d’Anastay qui conservèrent toute leur énergie et furent couchés sur la guillotine encore pleins de vie, l’hémorragie artérielle avait été immédiate et les jets des carotides avaient jailli au moment même de la section.
Comment expliquer cette particularité ? M. Gley rappela qu’ayant pu, en province, étudier les cadavres de deux décapités, deux minutes après l’exécution, il avait constaté, que chez l’un, le cœur avait déjà cessé de battre, tandis que chez le second il battait encore et qu’il continua à battre pendant six à huit minutes.
Or, le premier était, avant l’exécution, dans le même état syncopal que Carrara, tandis que le second avait conservé son énergie et sa vitalité.
M. Gley pense donc que le fait que nous avons observé peut s’expliquer, comme dans son premier cas, par un arrêt syncopal du cœur avant et par suite au moment même de la décollation, d’où absence d’hémorragie, le cœur ne battant plus. Puis, la décapitation produisant une excitation médullaire violente, le cœur aurait pu, sous cette influence, se contracter de nouveau et déterminer ainsi l’hémorragie en jet au niveau de la section du cou, trois à quatre secondes après la décapitation.
Sur ce point M. Laborde voulut bien aussi nous donner son opinion que je transcris littéralement ici :
« Deux conditions essentielles, que j’ai déjà observées, étudiées et décrites, interviennent chez le condamné, au moment du supplice par la guillotine et de sa réalisation :
Ou bien le sujet, conservant la majeure partie de sa virilité et des ses forces, marche délibérément, avec une résolution plus ou moins stoïque, vers l’instrument du supplice, qu’il a regardé, d’ailleurs, une seule fois (ce fait est constant) en franchissant la porte de la prison ; et alors, le sang jaillit instantanément – ou très peu s’en faut - à la suite du chose tranchant et avec une force qui témoigne de la persistance des contractions cardiaques, douées d’une vigueur au moins normale. Le cœur, en effet, - il est facile de le constater, - continue à battre un temps plus ou moins long après la décapitation (vingt minutes, une demi-heure, trois quarts d’heure, une heure et même une heure trois quarts) ; et dans cette condition première, il s’arrête constamment à vide, en systole, c’est-à-dire dans une contraction terminale énergique, une véritable contracture, où il reste fixé, et tel que j’ai pu observer dans les nombreux cas de cette sorte que j’ai observés (collection de cœurs de suppliciés à mon laboratoire).
Ou bien – deuxième alternative – le sujet est frappé, sidéré, comme anéanti à la nouvelle de l’heure fatale, incapable de se tenir debout, soutenu et porté à la guillotine, demi-mort d’avance, en état de syncope, subit le supplice dans ses conditions. Alors, le cœur étant et se trouvant plus ou moins à l’arrêt, le sang ne jaillit pas immédiatement sur le coup ; mais une fois celui-ci porté, le cœur, affranchi de l’influence d’arrêt, récupère momentanément ses contraction ; et, selon plus ou moins de force, le sange jaillit en conséquence. Ordinairement, en ce cas, si la syncope a été complète, les contractions sont faibles, le jaillissement sanguin proportionné à cette faiblesse ; le cœur persiste moins en ses battements posy-mortem et il s’arrête en état de flaccidité, plus ou moins dilaté par des caillots asphyxiques.
Il est probable – d’après vos renseignements – que Carrara s’est trouvé dans cette deuxième condition, s’il a été réellement en état syncopal (l’autopsie de Carrara n’ayant pas été faite, il nous a été impossible de vérifier l’état de son cœur). En tout cas, c’est bien comme je viens de le dire, et ainsi que Gley en a eu la juste idée, que semble devoir être comprise et expliquée la reprise sus-mentionnée des battements du cœur, affranchi, je le répète après le coup mortel, et ayant récupéré son autonomie fonctionnelle. »
Je voudrai aussi noter un dernier point, d’ailleurs de constatation courante, mais qui, ici, a été très net, c’est que lorsque l’esprit est occupé par une recherche quelconque, nécessitant une observation très attentive, il est complètement inhibé pour toute sensation émotive qui disparaît même de ce fait.
Telles sont ces très simple observations qui n’ont d’intérêt qu’ au point de vue de leur interprétation et à cause de la discussion qu’elles ont pu provoquer et des intéressantes observations qu’elles ont suscitées
CAPITAN »
Même type d’observation lors de l’exécution de Manon Roland le 8 novembre 1793. Charles-Aimé Dauban, raconte l’anecdote suivante dans son ouvrage sur la célèbre héroïne (20) :
« ... M. Bertin était là, en face de l’échafaud, lorsque madame Roland y monta. Monarchiste de cœur, il n’éprouvait pour la femme du ministre du 11 août qu’une médiocre sympathie ; mais sa contenance, son courage en cette circonstance, le frappèrent d’admiration. De ce calme intrépide qu’elle apporta devant la mort, il donnait une preuve matérielle bien singulière. « Quand le couteau eut tranché la tête, disait-il, deux jets de sang énormes s’élancèrent du tronc mutilé, ce qu’on ne voyait guère : le plus souvent la tête tomboit décolorée, et le sang, que l’émotion de ce moment terrible avoit fait refluer vers le cœur, jaillisoit foiblement ou goutte à goutte. »
Pour finir, je citerai Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue Cerveau&Psycho qui s’exprimait ainsi le 22 mars 2011 sur le blog « Pour la science ». Extraits :
« ...Evidemment, la question de l’état de conscience d’une tête séparée de son corps ne saurait aujourd’hui être étudiée scientifiquement. Mais la décapitation reste pratiquée à des fins scientifiques dans les laboratoires, sur des souris ou des rats que l’on sacrifie pour réaliser des mesures biologiques post mortem. C’est sur des rats que Clementina van Rijn et ses collègues neuroscientifiques ont examiné les effets de la décapitation.
La méthode consistait à enregistrer les ondes électriques produites par le cerveau avec des électrodes posées sur le crâne. Selon cette méthode, des ondes de fréquence comprises entre 13 et 100 oscillations par seconde reflètent l’activité cognitive chez l’animal. Les neuroscientifiques ont observé que ces ondes de « conscience » diminuent rapidement après la décapitation, mais pas immédiatement. Elles restent assez nettement visibles environ quatre secondes, puis disparaissent au bout de 17 secondes. Selon le neurobiologiste Georges Chapouthier, il est très probable que la conscience ne s’étende pas au-delà de ces quatre secondes. Ensuite, le signal électroencéphalographique s’atténue et évoque celui d’un animal endormi, ce qui suggère que la victime entre dans un état second de torpeur se rapprochant progressivement de la mort. Au-delà de 17 secondes, aucune conscience n’est possible, et 50 secondes après la décapitation, une onde de basse fréquence intense est enregistrée, vraisemblablement due à la dépolarisation massive des neurones : c’est la mort cellulaire définitive.
Les auteurs en concluent que la conscience disparaît en quelques secondes après une décapitation chez le rat, et que cette méthode de sacrifice rapide en laboratoire peut être qualifiée d’éthique. Quant aux décapités de la Terreur, donc certains continuaient de cligner des yeux pendant une demi-minute à en croire les annales de la guillotine, c’est une autre affaire. »
Ces recherches récentes mettent à mal la théorie selon laquelle, la conscience disparaîtrait avec la rupture de la moelle épinière. Que peut ressentir la victime à ce moment ? Peut-être une énorme brûlure, puis un voile blanc devant les yeux, assorti d’une sensation de fourmillement intense dans le cerveau, à la manière du pendu mais en seulement quelques secondes, puis plus rien… Du moins plus rien en ce monde…
RL
Novembre 2018
Notes :
(1) Jean-René Suratteau. La guillotine invention anglaise. In : Annales historiques de la Révolution française, N° 280, 1990. p. 271.
(2) A ne pas confondre avec l’ « Iron Maiden » (la vierge de fer), ou « Vierge de Nuremberg » qui consistait, dit-on, en une sorte de cercueil garni de piques dans lequel on enfermait le condamné debout afin qu’il périsse aussi bien transpercé qu’étouffé. Cet appareil dont les mentions sont essentiellement antique et pas vraiment vérifiables, a donné son nom à groupe de hard-rock que les gens de ma génération connaissent bien.
(3) Louis Combes, « Episodes et curiosités révolutionnaires », 1872, p. 236 à 247.
(4) Je fais ici un « mix » des différentes citations en une seule…
(5) Je cite ici en extrait : « La querelle des têtes tranchées : Les médecins, la guillotine et l’anatomie de la conscience au lendemain de la Terreur » de Grégoire Chamayou, in « Revue d’histoire des sciences », tome 61-2, juillet-décembre 2008. Disponible sur « Cairn.info ».
(6) Alexandre Dumas, « Les Mille et Un Fantômes », 1849, p.58.
(7) « La guillotine en 1793, d’après des documents inédits des Archives Nationales », témoignage du docteur Séguret, ancien professeur d’anatomie. Hector Fleischmann, 1908, p. 54.
(8) « Les Souvenirs de la marquise de Créquy », tome VIII, p.127 et sq, 1834-1838, Garnier frères, Paris. On sait que ces prétendus souvenirs ont été en réalité rédigés par le comte de Courchamps.
(9) Archives de l’Anthropologie Criminelle, tome 20, p.643 et sq, 1905. Consultable sur Criminocorpus.org.
(10) Il s’agit d’Anatole Deibler, (1863-1939), fils de Louis Deibler, bourreau également.
(11) Louis Menesclou avait 18 ans quand il fut guillotiné le 5 septembre 1880 à Paris. Il avait, le 18 avril de la même année violé et coupé en morceaux une petite fille de 4 ans. On retrouva dans ses poches les avant-bras de la fillette, les viscères et les parties génitales découpées avaient été jetées dans les toilettes. Le cerveau de Menesclou, considéré comme idiot, fut étudié par les médecins cités dans l’article qui suit. Sur ce sujet on consultera le « Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris », III° série, tome 3, 1880, p.578 à 585.
(12) « Le Matin », 3 mars 1907.
(13) Albert Soleilland (1881-1920), violeur et meurtrier d’une fillette de onze ans, est gracié par Fallières et sa peine commuée en travaux forcés. Il meurt à l’Ile Royale, en Guyanne.
(14) Alfred Vulpian (1826-1887), neurologue et psychiatre.
(15) Paul Broca (1824-1880), anatomiste et anthropologue.
(16) Paul Brouardel (1837-1906), médecin légiste. Ernest-Charles Lasègue (1816-1883), médecin, psychiatre. Auguste-Alexandre Motet (1832-1909), psychiatre.
(17) « Archives d’Anthropologie Criminelle de Criminologie et de Psychologie Normale et Pathologique », Lacassagne et Tarde, 1898, tome XIII, Storck, Lyon, Masson et Cie, Paris, p. 592 à 597. Consultable sur Criminocorpus.org.
(18) Xavier-Ange Carara avait tué un garçon de recettes de banque et avait fait brûler le corps le 30 novembre 1897.
(19) Charles Richet (1850 – 1935) et Eugène Gley (1857-1930), physiologistes.
(20) Charles-Aimé Dauban, « Etude sur madame Roland et son temps suivie des lettres de madame Roland à Buzot et d’autres documents inédits », Henri Plon,1864, p. CCXLIII.
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