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La colonne infernale N°1, 2ème partie....
La colonne infernale N°1, 2ème partie…
1ère partie ici.
Le 25 janvier 1794, Prévignaud écrit à Turreau depuis la Châtaigneraie :
« Je te préviens que j’ai brûlé, dans ma route, deux maisons appartenant à des chefs de brigands. J’ai mis les subsistances que j’y ai trouvées entre les mains des officiers municipaux de Breuil-Barret.
La garde nationale de Moncoutant, qui a servi plusieurs fois sous mes ordres, est venue à ma rencontre me demander, au nom de l’amitié que tu portes aux défenseurs de la patrie, d’exempter leur bourg des flammes. Il est à la connaissance de Duval et à la mienne, que ces braves républicains n’ont cessé de se battre contre les brigands. Ils ont même formé une petite cavalerie pour aller à la découverte ; le fait est connu de toutes les autorités constituées de leur département. »
Le 26 janvier :
« Je te préviens, général, que je suis arrivé à Vouvant, à deux heures de l’après midi. Les chemins, qui sont très-mauvais, m’ôtent la liberté de remplir tous mes projets. J’ai été forcé, pour épargner les subsistances, de passer dans plusieurs métairies sans y mettre le feu. J’ai fait partir ce matin de la Châtaigneraie une colonne de trois cents hommes avec vingt gendarmes, pour fouiller la forêt de Chantemerle. Je serai demain à la Caillère, où j’attendrai tes ordres. »
Le lendemain 27, Prévignaud est effectivement à la Caillère :
« Je te préviens que je suis arrivé ici à cinq heures du soir. Je n’ai pu rien brûler, en me rendant de Vouvant à la Caillère. J’ai fait cerner un village où je savais qu’il y avait quinze brigands armés, ils ont été tués. J’ai pris dans un ci-devant château cinq jumens que je fais partir pour Niort où j’ai envoyé ce matin douze charretées de blé. »
Le 28 janvier :
« J’ai fait entourer aujourd’hui le ci-devant château de Saint-Sulpice (en-Pareds) où s’étaient réfugiés dix-huit brigands qui ont mordu la poussière. Je n’ai pu faire ôter que les grains ; le feu a été mis au château, à l’exception des granges où sont les fourrages. Je manque de charrettes pour faire enlever les effets, que je fais ôter des maisons que je brûle. »
Collection des AD85, 1 Num 20 2/271.
Contrairement à ce qui est écrit sur Wikipedia, c’est bien Prévignaud qui passe à Saint-Sulpice et non Dufour qui est dans le pays de Charette à cette époque. Wikipedia cite également comme tué le notaire Blaizot, qui mourut en 1799 ! L’intendant du château aurait été lui tué en même temps que les 18 Vendéens cités ci-dessus.
« Je cernerai demain matin le bourg de Bazoges (Bazoges-en-Pareds) habité par des brigands qui sont de retour de l’armée de Charette ; j’espère qu’ils ne m’échapperont pas. »
Effectivement, le 27 janvier, avait lieu un massacre au château de Pulteau, au Sud de Bazoges-en-Pareds. Voici le témoignage de Loyau, habitant du château de Pulteau (1) :
« Je déclare qu'étant depuis quelques jours avec ma femme et une de mes nièces à ma maison de Putteaux, Commune de Besoges, District de la Châtaigneraie, j'ai eu connoissance le 8 Pluviôse qu'une colonne de l'armée républicaine étoit arrivée à la Châteigneraye, que delà elle devoit se porter à la Caille (la Caillère), chef-lieu de Canton, à trois quarts de lieues de la maison de Putteaux . Bien persuadé qu'un patriote n'avoit rien à craindre l'armée, jallai le lendemain, jour de la décade, sur les neuf heures du matin ; j'entends dans le village dont ma maison fait partie le bruit des chevaux ; à ce bruit je sors dans ma cour et je m'avance pour aller au-devant de l'armée. Le Ier cavalier qui m'apperçoit brûle deux amorces sur moi ; je lui dis que je suis patriote et que les armes républicaines ne doivent être tournées que contre les ennemis de la chose publique ; je vais alors parler à un chef qui n'étoit pas encore dans ma cour ; le cavalier que je venois de quitter apperçoit dans la cour ma femme et ma nièce ; il va sur elles le pistolet à la main et leur demande le porte-feuille ; je rentre dans la cour qui, quoique grande se trouve remplie par la cavalerie et plusieurs volontaires ; je fus consigné dans ma maison avec ma femme et ma nièce ; un officier m'arracha une montre et mon porte-feuille, et le pillage le plus horrible eut lieu. Ce que les brigands n'avoient pas emporté, les patriotes l'enlevèrent. L'armée qui avoit investi le village et qui s'étoit portée dans les villages voisins, s'étoit emparée de plusieurs habitans. Ces habitans furent fusillés sans forme de procès ; 27 périrent dans ma cour. Dans ce nombre des hommes tranquilles furent sacrifiés. Les membres de la commission municipale coururent les plus grands dangers ; ils furent traités de brigands, et pillés comme tels.
A Fontenay, le 28 Août, l'an deuxième de la République française, une et indivisible.
Signé : Loyau. »
Le 29 janvier 1794, toujours de la Caillère :
« L’ordre que tu me donnes de me rendre à Pouzauges, va m’empêcher de purger totalement ce pays. Si tu pouvais me laisser quelques jours à la Caillère, j’aurais le temps de tout brûler. Je ne peux pas abandonner tout d’un coup les subistances que j’ai ici ; cependant si, malgré ces observations, tu crois que ma colonne soit plus utile à Pouzauges que là où elle est cantonnée, je partirai de suite : j’attends ta réponse. »
Après plusieurs jours sans nouvelles de Prévignaud, du moins si l’on se fie aux correspondances retranscrites par Savary, le voici qui réapparaît le 3 février 1794. Il est à Chantonnay, après avoir tenté une expédition malheureuse aux Essarts au même moment où Grignon et Lachenay se faisaient écharper par Charette et Sapinaud à la Chapelle de Chauché. Il écrit :
« Citoyen général, je te dois compte de ma conduite, la voici : dans tous les endroits où je suis passé, j’ai brûlé toutes les maisons où il n’y avait aucunes subsistances ; j’ai fait passer à Fontenay cent douze charretées de grains, ainsi que des bestiaux.
Grignon me donna l’ordre de partir pour les Essarts, j’y arrivai deux heures avant sa colonne de gauche. Ma troupe ne fut pas tôt rendue que Grignon écrivit à son adjoint de la lui envoyer ; il ne me resta plus que quarante pionniers et trente gendarmes.
Le 2, il plut à l’adjoint d’aller dans les villages voisins des Essarts pour les brûler ; il emmena avec lui les trois quarts de la garnison, je restai à garder le poste pendant son absence.
Lachenaye reçut dans ce moment de Grignon l’ordre de se rendre se suite à Chauché pour débusquer des brigands qui étaient dans ce village, d’y mettre le feu et de retourner à son poste. Quelle ne fût pas ma surprise, lorsqu’on vint me dire, sur les cinq heures du soir, que les brigands me cernaient… J’envoyai de suite à la découverte onze chasseurs que j’avais : ils rentrèrent bientôt en me confirmant ce qu’on m’avait dit.
Lachenaye m’avait laissé pour toute force cent quarante deux hommes d’infanterie et vingt de cavalerie ; ce peu de force me fit prendre le parti de me replier sur Saint-Vincent. J’appris en route que Lachenaye avait éprouvé une déroute et qu’il en était arrivé autant à une colonne de Grignon.
J’ai vu Dutruy et Dufour aux Essarts le 1er ; ils s’y arrêtèrent un instant et me dirent qu’il n’existait plus d’ennemis ; cependant tous les soldats qui l’ont vu dans cette dernière affaire m’ont dit qu’il était en très-grand nombre. »
Turreau, lui, ne voit pas les choses de la même façon. Il écrit au ministre de la guerre Bouchotte le 3 février depuis Montaigu pour tenter de justifier ses échecs et de dénoncer par là même ses propres subordonnés. Extrait :
« Le citoyen Prévignaud, adjoint au général Duval, avait reçu de moi l’ordre de joindre sa colonne à celle du général Grignon et avait différé ce mouvement. L’officier qui commandait une des colonnes a attaqué beaucoup plus tard que ne portait l’ordre du général Grignon ; voilà la cause de cet événement. J’ai mandé ces deux officiers pour me rendre compte de leur conduite et je les livrerai à la commission militaire. »
Le 6 février, c’est Duval, toujours à Niort, qui écrit à Turreau :
« Je crois, général, devoir te prévenir que tes ordres ne sont pas partout bien exécutés. Je suis instruit qu’au lieu d’enlever les subsistances, on les brûle, notamment dans les communes aux environs de la Forêt (-sur-Sèvre), où il en a été brûlé, à ce qu’on m’assure, plus de deux mille tonneaux, sans qu’on ait fait passer sur les derrières un seul grain.
La société populaire de Fontenay me demande de la troupe pour sa défense. Il est bien constant que la force qui est dans ses murs est de très-peu de chose et qui si un parti de brigands se jetait par là, il ravagerait pour la quatrième fois cette malheureuse ville qui de tout temps a donné des preuves du plus grand patriotisme. Je n’ai point de troupes à ma disposition et quand bien même j’en aurais, je ne puis en disposer sans tes ordres. »
Puis le 15 février, Prévignaud réapparaît. Il écrit à Turreau depuis Niort :
« Lorsque je serai en état de monter à cheval ou en voiture, j’irai partout tu le jugeras à propos pour justifier ma conduite sur ce qui s’est passé aux Essarts.
Je ne cesserai de le répéter ; on m’en a voulu du moment que j’ai dit ce que je pensais de la manière dont on faisait la guerre dans ce pays-ci. J’ai vu avec douleur que les colonnes de Grignon massacraient tout indistinctement. Pères, mères, enfans, tout a été détruit. Cette conduite a grossi l’armée de Charrette. Les patriotes ont été forcés de se mêler avec les brigands. Ce n’était sans doute pas ton intention.
Il y a près de deux ans que je fais la guerre aux brigands et je l’ai faite de manière à mériter l’estime de tous les généraux qui m’ont commandé. »
On sent bien que Prévignaud n’avait pas tout saisi des ordres de son général en chef. Pourtant, on ne peut que lui donner raison et c’était d’ailleurs l’avis de la Société Populaire de Niort qui s’exprimait comme suit dans un rapport présenté par Louis-Prosper Lofficial, député des Deux-Sèvres, à la Convention le 8 vendémaire an III (29 septembre 1794) et composé le 21 fructidor an II (7 septembre 1794) :
« La terreur et l'épouvante précèdent les colonnes révolutionnaires. Au lieu de détruire les brigands, elles en créent de nouveaux et les multiplient avec une prodigieuse activité. Tant d'excès et d'attentats révoltent tous les esprits, ulcèrent tous les coeurs. Chacun court aux armes et jure de venger sa femme, ses enfants, et de se venger soi-même. C'est ainsi que le défaut de confiance dans nos proclamations trompeuses, le désespoir et la crainte de périr de misère, font tout à coup une armée nombreuse à Charette, qui s'écrie avec l'étonnement d'un homme qui passe de la mort à la vie : Tel jour, ma femme est accouchée de quinze mille hommes ! »
Ce rapport de la Société Populaire de Niort témoigne d’une rare lucidité…
RL
Août 2019
Note :
(1) Lequinio, op. cit. p. 79 à 81.
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