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Détails d'horreur à Venansault....
Détails d’horreur à Venansault…
Le dossier des archives militaires que je vous propose de découvrir ce soir a souvent été repris pour certaines de ces pièces dans plusieurs ouvrages abordant les colonnes infernales. La meilleure méthode pour permettre au lecteur de se faire une idée étant de présenter les sources originales, je vous laisse découvrir les documents les plus marquants de cette liasse. Il s’agit de dépositions reçues par le comité de surveillance de la société populaire des Sables entre le 9 février et le 4 avril 1794 (1).
« 14 Février 1794
Du 26 pluviose l’an 2e de la République française
Je déclare au comité de surveillance qu’arrivant à la Roche Sur Yon le 18 de ce mois, j’apperçus dans un champ voisin de la ville, un grand nombres de cadavres qu’on enterroit, que m’étant informé d’ou provenoit cette mortalité l’on me dit que c’étoit des hommes fusillés par les ordres des généraux de l’armée àlors en cantonnement à Roche, ditte l’armée du Nord, que dans ce nombre l’on avoit à regréter la perte de quarante républicains de la Ferrière qui se gardoient eux-mêmes de l’agrément et à la connoissance du général Dutreuil (Dutruy ?) et de son adjudant Dufour lesquels ayant été trouvés sous les armes par laditte armée du Nord avoient été arrêtés comme suspects de former l’avant-garde de l’armée des Rébélles. Que lors de leurs arrestation ils avoient innutillement réclamé la protection de l’adjudant Dufour qui savoit leur dispositions, que ce dernier avoit réfusé de les reconnoitre et souffert qu’ils fussent fusillés au moment ou les habitans de la Roche alloient rentrer et rendre à ces malheureux la justice qui leur étoit duë ; j’ai vu sur ces événements malheureux tous les bons citoyens consternés et je dénonce pour que le comité en recherche la malveillance.
Signé Gourdon
Pour coppie conforme
Rouvière »
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« 14 février 1794
Aujourd’huy vingt six pluviose l’an 2ème de la République françoise une et indivisible s’est présenté la citoyenne Chaillot de cette commune laquelle à déclaré qu’un volontaire à elle inconnue dinant chés elle il y à environ huit jours se plaignoit de participer aux cruautés qu’on exerçoit dans l’armée, et autres traits sur les quels il sondait son imagination, il lui dit que le jour qu’on mit le feu à Venansault il vit tuer sept femmes, seulles trouvées dans la ditte commune que l’une d’elle tenoit son nourisson dans ses bras et qu’on eut le rafinement de barbarie de percer du même coup de sabre la mère et l’enfant. Ce qui révolta plus encore le volontaire est que cette ynfâme action reçue des applaudissements du commandant.
Aux Sables les jour et an que ci-dessus, signé la Chaillot
Pour coppie conforme
Rouvière »
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Venansault et ses deux cimetières sur le cadastre de 1810 (AD85, 3P 300 AD 015) :
Le citoyen Gourdon revient sur sa précédente déclaration et écarte Dufour du carnage :
« 16 février 1794
En interprétant ma déclaration du 26 de ce mois qui est au numéro deux du présent registre, je déclare par la présente, que depuis que je l’ai fait, il m’a été rapporté par le citoyen Frappier, adjoint des adjudants généraux que le citoyen Dufour n’étoit pas présent à la prise des habitans de la Ferrière n’y à leur masacre par l’armée du Nord que par conséquent il n’avoit pu empêcher ces orreurs de se commetre : et comme je n’ai rapporté que des ouis dire contre Dufour, dans la crainte d’induire le comité en erreur, je lui fait encore le rapport de cellui cy, n’ayant vu dans ma dénonciation que de conduire le comité à la recherche de la vérité et de donner des impressions désavantageuses contre ceux qui ne seroient pas les autheurs et complices de forfaits aussi condamnables et malheureusement trop vrais.
Aux Sables le 28 pluviose l’an 2e de la république française.
Signé Gourdon
Pour coppie conforme
Rouvière
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« 23 février 1794
Aujourd’huy cinq ventose l’an 2ème de la république françoise et une et indivisible, je soussigné Charrier gendarme de la brigade de Palluaud, déclare qu’en suivant l’armée dont je fais partie j’ai vu entre Venanseaux et Aisenay, à l’époque on l’armée du Nord est allée de la Roche à Aisenay, au moins cent personnes toutes femmes et enfants massacrées et couppées par morceaux dans le nombre étoit un enfant qui palpitoit encore auprès de sa mère que pendant le temps j’ai été en campagne j’ai vu incendier des grains, des fourrages et nombres de maisons appartenant à des patriotes.
Fait aux Sables le 5 ventose , signé Charrier
Pour coppie conforme
Rouvière »
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« 5 mars 1794
Aujourd’huy le 15 ventose l’an 2ème de la république françoise une et indivisible, je soussigné déclare au comité de surveillance de la Société Populaire des Sables que Rougier commandant la force armée à la Roche sur Yon, le 12 du présent mois, me commenda en ma qualité de préposé aux subsistances de faire boulanger toute la nuit, que le feu ne seroit mis dans le quartier des subsistances que quand l’armée évacuroit la Roche ; mais qu’au contraire le dit quartier à été incendié au point du jour et le premier ; que dans ce désastre il a brulé dans le four deux cent vint rations, et environ deux cens autres rations qui se trouvoient cuites ; trente quinteaux de farine et environ six à sept cent boisseaux de son et une demi sicée ( ?) d’eau de vie ; j’ajoute qu’il étoit très possible de sauver à la république le pain et la farine en agissant avec moins de précipitations qu’on à fait surtout n’ayant point d’ennemis sur les bras.
Aux Sables le jour mois et an que dessus, signé Larat préposé aux subsistances militaires
Pour coppie conforme
Rouvière »
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« 4 avril 1794
Aujourd’hui 15 germinal l’an 2ème de la république françoise, je soussigné déclare que les citoyens Clavaud, Sicard et Limousins, tous les trois officiers au 44ème bataillon de la Charente m’ont dit qu’ils avoient vu un ordre signé Thuraud pour déclarer la ville des Sables en état de rébellion, de faire passer la garnison des Sables à la Chaume dans le fort St Nicolas et ensuite bruler la ville, mais que Dutruy qui étoir nanty de l’ordre avoit dit qu’il ne le metroit pas à exécution parce qu’il ne vouloit pas, pour quelques mauvais sujets, faire éprouver aux bons patriotes de cette ville les horreurs dans pareille mesure. Signé Ausanet
Pour coppie conforme
Rouvière »
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Les déclarations concernant Venansault ont souvent été reprises dans plusieurs ouvrages. Celle du gendarme Charrier est relativement connue mais l’on situe trop souvent ce massacre de personnes découpées en morceaux au seul village de Venansault alors qu’il est bien précisé « entre Venansault et Aizenay ».
Anciens chemins entre Venansault et Aizenay sur la carte d'état-major Géoportail :
Comme nous allons le voir, Duquesnoy qui succède à Bonnaire, en raison de l’ivrognerie de ce dernier, ne s’entend guère avec Turreau, pourtant il exécute ce qu’on lui demande. Remontons donc le temps de quelques jours :
« Ordre du jour du 3 au 4 février (Montaigu) (2)
Demain 4, la division du Nord se mettra en marche à deux heures du matin.
Le général divisionnaire Duquesnoy recevra les instructions du général en chef sur la route qu’il devra tenir. Le chef de l’état-major de ladite division règlera l’ordre de marche de la colonne.
Le général en chef a vu avec indignation la conduite qu’a tenue la division du Nord ; le pillage, le vol et l’insubordination à laquelle elle se livre. Il annonce pour la dernière fois qu’à la première plainte qu’il recevra, il sera forcé de prendre des mesures vigoureuses qui répugnent à son caractère, et qu’il rendra compte au comité de salut public et au ministre de la guerre de cette conduite peu conforme aux principes qui caractérisent les vrais républicains.
Le général en chef ordonne aux officiers généraux, chefs de corps et officiers d’employer tous les moyens pour faire cesser ce désordre affreux ; il les prévient qu’il les rendra responsables personnellement de l’insouciance criminelle qu’ils apporteront à l’exécution de cet ordre.
Le général divisionnaire chef de l’état-major général.
Signé, Robert »
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Du 5 février : le général Dusquesnoy (La Roche-sur-Yon), à Turreau. (3)
« Parti de Montaigu le 4 au matin, je n’ai pu arriver à Saint-Fulgent qu’à midi. Je me disposais à aller attaquer les brigands à Chauché, lorsque j’ai reçu une lettre de l’adjudant-général Dufour, qui m’apprenait qu’il avait trouvé l’ennemi aux Essarts, qu’il y était en force, et qu’il serait obligé de se rendre à Chantonnay puisqu’il ne pouvait passer pour se rendre à la Roche-sur-Yon. Je réfléchissais sur ce mouvement de l’ennemi et sur les moyens de l’attaquer, lorsque je reçus une nouvelle lettre de Dufour qui me conjurait de marcher sur la Roche-sur-Yon où l’ennemi se portait en très grande force et chasserait probablement les troupes peu nombreuses qui tenaient ce poste. Alors je n’hésitai plus, je mis ma troupe en marche et j’arrivai à huit heures du soir devant les Essarts, après avoir fouillé tous les villages à droite et à gauche de la route, à une demi-lieue de distance.
Comme il était très nuit, je ne crus pas prudent de faire entrer ma troupe aux Essarts ; j’établis un bivouac, et j’appris bientôt par un espion que l’ennemi était parti une heure avant mon arrivée.
Le lendemain je partis de bonne heure pour la Roche-sur-Yon, et je brûlai et tuai comme la veille. En arrivant à la Ferrière, on me dit que l’ennemi y était, je n’y trouvai que vingt-cinq des leurs qui étaient restés après le départ de leur bande. Je me rendis à la Roche-sur-Yon que la garnison avait évacuée, crainte d’être enveloppée, après avoir rompu le pont que je fis rétablir. J’entrai dans la ville qui ressemblait à un désert : j’y trouvai cependant Dufour qui venait d’y entrer par les derrières avec quelques dragons, mais qui était suivi de douze cents hommes qu’il amenait de Chantonnay.
J’ai appris par mon espion, par les gens de la Ferrière et par Dufour, qu’à ferrière, Charette, la Rochejaquelein, Joly et Stofflet avaient fait leur jonction et qu’ils composaient une force de dix à douze mille hommes (4). Ils se sont jetés sur la droite de Ferrière en allant à la Roche-sur-Yon, pays chéri de Charrette. Dans ces circonstances, j’ai cru ne devoir pas agir sans te consulter ; car si, comme cela paraît vraisemblable, les trois bandes sont ensemble, on pourrait prendre de plus grands moyens et employer plusieurs colonnes ; car je ne puis aujourd’hui diviser la mienne : alors je ne pourrai pas les forcer à se battre, et s’ils m’attendaient, leur nombre pourrait l’emporter sur la valeur des soldats et sur la fermeté du général. Pèse ces circonstances, et éclaire-moi sur mes mouvemens ultérieurs. Je compte beaucoup sur tes lumières militaires et tes connaissances du genre de cette guerre dans laquelle je suis tout neuf ; ainsi j’attends ta réponse. »
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Et Dufour qui jette de l’huile sur le feu le 6 février (5) et écrivant à Haxo depuis la Roche-sur-Yon :
« Les postes d’Aizenay et Palluau, qui s’étaient repliés, sont, je pense réoccupés en ce moment.
Dusquesnoy est encore ici avec toute sa division. Je n’ai pu le déterminer à marcher sur l’ennemi et sur deux colonnes. Il condamne hautement les dispositions du général en chef ; il dit que s’il a un échec, ce sera tant pis pour ce général, et moi je dis : tant pis pour la république.
Je fais deux expéditions aujourd’hui, je brûle Mouilleron-le-Captif et Venansault. »
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Le bourg de Mouilleron-le-Captif sur le cadastre de 1808 (AD85, AP 155 AD 002) :
Turreau répond assez sèchement à Duquesnoy, depuis Nantes, le 8 février (6):
« Je reçois mon cher camarade, ta lettre écrite de la Roche-sur-Yon, le 5 de ce mois ; je suis surpris que tu me demandes ce que tu dois faire ; d’après l’ordre que je t’ai donné, il faut poursuivre l’ennemi sans relâche, jusqu’à ce que tu l’atteignes ; ce sont les circonstances qui t’indiqueront la marche que tu dois tenir ; poursuis l’ennemi vivement et ne me demande pas ce qu’il faut faire.
Je pars pour Angers ; le 11 je serai à Saumur où mon quartier-général restera jusqu’à nouvel ordre, tu dois établir ta correspondance par Chollet. Agis, et rends-moi compte plus souvent de tes opérations ! »
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Duquesnoy ne se démonte pas et répond à Turreau, depuis Palluau, le 9 février (7) :
« J’ai reçu ce matin à une heure, général, les deux lettres que tu m’as adressées. Je réponds à la première que, loin de laisser des armes dans les communes, j’y ai brûlé et incendié toutes les maisons, et égorgé tous les habitans que j’y ai trouvés, ainsi ce n’est point à moi que ce reproche s’adresse.
Dans la seconde, tu te plains de n’avoir pas reçu de mes nouvelles ; j’en suis surpris, car je t’ai écrit de la Roche-sur-Yon. Je t’envoie copie de ma lettre (5 février).
Les subsistances que je devais recevoir des Sables et de Challans, m’ont absolument manqué, ce qui m’a singulièrement gêné dans mes opérations.
Je me suis mis hier matin en marche sur Aizenay où je croyais encore trouver des troupes mais je n’y vis que de vieilles femmes qui n’avaient pu se sauver ; là, j’appris que les brigands s’étaient jetés sur Legé, qu’ils avaient pris beaucoup de munitions et deux pièces de canon ; je résolus de marcher de suite, quoiqu’il fût déjà nuit sur Palluau où je ne trouvai point de troupe à mon arrivée ; je fus contraint d’y passer la nuit pour attendre du pain qui venait des Sables et dont j’avais le plus pressant besoin ; il vient d’arriver, mais en petite quantité ; il est neuf heures du matin, je vais partir de suite pour Legé où tu pourras m’adresser des courriers.
Je ne conçois pas pourquoi tu t’appesantis sans cesse sur la prétendue indiscipline de ma division ; quoique mes soldats n’obéissent pas en esclaves, ils sont pourtant plus subordonnés que dans des autres divisions de l’armée de l’Ouest.
A la Roche, les troupes qui y sont revenues, faisaient un feu de file continuel sur les volailles ; les soldats insultaient les officiers, et les officiers manquaient aux généraux avec impudeur. J’ai été forcé d’en punir sévèrement.
Il est vrai que moi et les officiers généraux de ma division avons souvent dit que l’incendie et le pillage contrariaient la discipline que nos efforts maintenaient dans nos troupes ; mais, comme c’était un mal nécessaire, nous avons, je crois, porté le fer et la flamme aussi loin sur les autres troupes, et nous ne nous attendions pas à ce que tu en ferais un crime à un officier (le chef d’état-major) à qui nous avons toujours reconnu le triple caractère de valeur, républicanisme et amour de la discipline. Si on a des reproches à faire sur la discipline d’une armée, c’est aux généraux seuls à qui on doit s’adresser, les adjudans-généraux sont sous leurs ordres.
Depuis que je suis de retour, j’ai lieu d’être satisfait de la discipline que j’ai établie dans ma division. »
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C’est sans doute le 6 février qu’eut lieu le drame de l’abbaye des Fontenelles, en Saint-André-d’Ornay. Cette malheureuse abbaye, dotée d’une sinistre légende et qui fut terriblement éprouvée en 1240 par les Anglais et les razzias et massacres huguenots de 1562 avait connu dans ses murs le jeune Bulkeley dont l’oncle, Pierre de Mornac était prieur. (8)
Lorsque la colonne infernale arrive dans ce coin reculé, à l’Ouest de la Roche-sur-Yon, petit village central de la Vendée départementale, un détachement s’attaque à l’abbaye, on prend le prieur Mornac, on lui tranche le nez et les oreilles et on le laisse doucement agoniser dans les bâtiments en flamme. Des paysans des alentours accourent pour éteindre l’incendie et porter le pauvre prieur dans l’abbatiale, où il meurt, comme on pouvait malheureusement s’y attendre.
De qui accuser ces actes ? Duquesnoy ? Pas sûr. Dufour, possible, mais pas certain…
L'abbaye des Fontenelles sur le cadastre de Saint-André d'Ornay en 1809 (AD85 , AMRY 1G02sao 4Fi381) :
En vue aérienne Géoportail :
Le 25 messidor an 2 (17 juillet 1794), Delaage annoncera à Vimeux que sur la droite de Venansault, il n’a vu « qu’un poste de 15 cavaliers brigands, qu’un seul a été pris avec son cheval » et « que les campagnes sont couvertes d’habitans qui travaillent paisiblement »… (9)
Ainsi, un semblant de calme, à cette mi-juillet, tandis que les raids du général Huché ravagent le pays un peu plus au Nord, entre Les Lucs et Palluau…
RL
Mars 2018
Notes :
(1) SHD B 5/8-105.
(2) Savary, tome III, p. 142.
(3) Ibid. p. 148.
(4) Savary, écrit en note : « La Rochejaquelein n’existait plus, et Stofflet était à la tête des rassemblemens dans la haute Vendée ».
(5) Ibid, p.150.
(6) Ibid, p.164.
(7) Ibid, p.174.
(8) On sait que l’abbé, le chanoine du Fresne, était exilé en Espagne en 1791. Il ne restait plus à cette époque que le prieur de Mornac et deux moines du nom de Denonceau (massacré à Noirmoutier) et Carle (ce dernier passera également en Espagne). « Les Archives de Guy de Raigniac… », tome IX, p. 233.
(9) SHD B 5/9-82, bulletin analytique, v. 10/13.
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