• Les souvenirs de Louise barbier, 3° partie....

    Les Souvenirs de Louise Barbier,

    3° partie…

     

     

     

    L'INSURRECTION VICTORIEUSE 

    LE 3 MARS 1793. 

     

    La nouvelle de la levée extraordinaire de 300.000 hommes arriva à Cholet en plein marché. 

    Le lendemain, 3 mars, était un dimanche. Les garçons de la ville, au nombre de cinq à six cents, se réunirent chez un aubergiste. Un seul cri se fit entendre :

     « Il ne faut pas tirer ! On ne tirera pas ! Aux habits bleus de partir ! » 

    « Les uns voulaient que les patriotes seuls partissent ; d'autres que ce fussent seulement ceux qui composent la compagnie des grenadiers et celles des canonniers. Les plus modérés voulaient qu'on empêchât les Messieurs de se faire remplacer, si le sort leur tombait, mais presque tous ont décidé qu'il ne fallait pas tirer et qu'on ne tirerait pas. ». 

      

    Les têtes s'échauffaient. Une rencontre eut bientôt lieu avec une patrouille de cinq hommes. 

    « Je me souviens que la première fois qu'il y eut une émeute on tua un des chefs des gardes nationaux, M. Combault, sur la place près de l'église Notre-Dame, qui portait le nom de place du Prieuré. 

    «  On lui coupa la jambe avec son sabre. » 

    Les souvenirs de Louise Barbier sont ici confus. M. Combault, capitaine des Grenadiers, ne fut pas tué, mais très grièvement blessé d'un coup de poignard entre les deux épaules. Ce fut le commandant de la Garde Nationale, Poché-Durocher, qui fut désarmé, renversé et qui eut le gras de la jambe sectionné d'un coup de son propre sabre (l). 

    Trois des mutins furent tués sur place, sept ou huit autres blessés dont quatre moururent à leur entrée à l'hôpital. 

    Les autres prirent la direction de Bégrolles et du May… 

    « Depuis cette malheureuse affaire, chacun avait peur. Il n'y eut plus de sécurité. 

    « On prenait les plus grandes précautions. On fît venir des troupes d'Angers ; c'étaient des Dragons (2). Comme on ne connaissait point ces soldats, qu'on en avait jamais vu, la crainte rétablit la paix pendant quelque temps (3). 

    « La Municipalité afficha le tirage pour le 12 mars 1793. Aussitôt le tocsin sonna à Saint-Pierre et dans les petites paroisses des environs. Mon oncle Brion, qui était fabricant au May, arriva en toute hâte, tremblant et effrayé, en nous disant que tous les paysans prenaient des fourches et des fusils et allaient arriver en révolte. 

    « Les patriotes voulaient les désarmer ; mais la Garde Nationale n'était plus maître (sic) de rien, malgré les efforts de M. de Beauveau qui faisait tout ce qu'il pouvait pour apaiser les esprits affolés. 

    « Tout Cholet était rassemblé sur la place du Château, où on avait planté l'arbre de la Liberté. Il y avait deux canons qu'on avait été chercher au château de Maulévrier. Tous les hommes furent appelés pour être de la Garde Nationale. 

    « Tout le monde avait peur. Ceux qui avaient de l'argent le cachait dans les champs, dans les puits, dans les caves. 

    « On disait que les ennemis allaient, arriver, qu'à Saint-Florent, les jeunes gens s'étaient refusés à tirer à la conscription, qu'il y avait eu bataille où les Républicains avaient été battus. 

      

    (1) Id. Seconde lettre du District au Département, le 4 mars 1793. 

    (2) Deux cent douze cavaliers du corps des dragons devaient arriver le 5 mars au soir sous la conduite du commandant Boisard. (Lettre du 5 mars, 8 heures du matin.) 

    (3) «Le calme semble s'être rétabli de lui-même, d'après le rapport de Desmazières,, commissaire du Département envoyé avec le corps des dragons. On espère voir le recrutement s'opérer sans rixe. Déjà, il s'organise. » (11 mars 1793.) 

    ________ 

      

    C'était vrai. 

    « Tous les paysans se mirent à suivre Cathelineau qui était à leur tête. C'était un roulier du Pin-en-Mauges, qui venait tous les samedis à Cholet et que j'avais vu bien des fois chez mon père. II était l'ami intime de mon oncle et de ma tante Brion, du May, où il arrêtait toujours en venant ou s'en retournant de Cholet. 

    « L'armée des Chouans s'organisait rapidement C'était tous des cultivateurs du pays et des gens de la ville et des bourgs qui étaient du même parti. 

    « Chacun avait son bissac de toile avec sa provision de pain noir et un morceau de lard fumé. 

      

    « Chaussés de sabots bourrés de paille, qu'ils quittaient de temps en temps, pour mieux courir ; coiffés de larges chapeaux de paille de leur fabrication ; de grands cheveux leur tombant sur le cou, ils étaient armés de faulx, de fourches et de vieux fusils rouillés ; leurs chapelets enroulés à leurs bras, ils avaient des feuilles d'arbres à leurs chapeaux pour se reconnaître. 

    « Quelques-uns de leurs chefs étaient montés sur des petits chevaux sans selle, ni bride, qu'un bout de corde pour les conduire. » 

      

    LA PRISE DE CHOLET 

    LE 14 MARS 1793. 

      

    « Après avoir pris Jallais et Chemillé, le mercredi 13 mars, ils arrivèrent sur les hauteurs de Cholet. C'était le (jeudi) 14 mars et se réunirent aux autres Chouans du Bas-Pays, amenés par Stofflet, qui avait pris leur commandement. C'était un garde-chasse de M. de Colbert, du château de Maulévrier. 

    « Tout Cholet avait grand peur. Ma belle-mère nous fît monter dans une petite chambre à côté de la grande chambre de l'auberge de mon père, du côté de la cour. 

    « On battait la générale. C'était un matin, vers six heures, qu'on nous apprit que vingt mille chouans arrivaient sur la route de Nuaillé et qu'ils allaient prendre Cholet. Alors la Garde Nationale, M. de Beauveau en tête, les dragons, les volontaires armés de piques, derrière le drapeau de la République, allèrent au-devant des Chouans qui étaient aux Pagannes. 

    « Chacun voyait partir son père, ses frères. Je me souviens que j'étais dans une chambre haute où la domestique de mon père nous avait enfermés et que mon frère Eugène, mes sœurs et moi nous voyions passer cette armée dans la rue Saint-Pierre. 

    « Les deux aînés de mes frères, Louis et Pierre, étaient allés se joindre aux volontaires. En entendant le canon de chez nous, nous pleurions, mes sœurs et moi, et nous priions le bon Dieu qu'il nous les ramène. 

    « Les Chouans avaient entouré l'armée républicaine ; sa déroute fut complète. On vit tous ces malheureux revenir couverts de sang et de boue, leurs vêtements déchirés. Les femmes et les enfants, qui étaient restés seuls dans la ville, rouvraient (sic) leurs portes ou leurs fenêtres pour reconnaître leurs maris ou leurs enfants. 

    « On rentra chez nous bien des blessés qu'on cacha dans une petite maison, chez David, qui était dans la cour de notre auberge. La grande salle était remplie de gens qui étaient revenus avec mes frères. C'était à qui raconterait les détails du combat. 

    « Pendant ce temps, les chouans étaient à prier et à remercier Dieu de leur victoire au calvaire du cimetière. 

    Ce fut le salut d'un grand nombre d'habitants qui eurent le temps de gagner la ville et de se mettre en lieu sûr. 

    « M. de Beauveau avait été blessé devant le château du Bois-Grolleau. Resté sur le terrain, il fut porté par les chouans auprès du calvaire (1) et abandonné en proie aux plus atroces souffrances. Il y mourut la nuit suivante, demandant à boire de l'eau ; mais les paysans, qui le détestaient, lui firent boire un verre de son sang. 

      

     (1) Ce calvaire existe encore auprès de l'ancien cimetière de 

    Saint-Pierre. II domine la rue Sadi-Carnot. 

    ________ 

      

    Il fut enterré dans le nouveau cimetière de Saint-Pierre de Cholet (1). 

    « Les Chouans entrèrent à Cholet, sur les quatre heures de l'après-midi, en frappant aux portes et en brisant tout ce qui se trouvait sous leurs mains, et massacrant ceux que leurs blessures avaient retardés dans leur fuite. 

    « Les uns entourèrent le château ; les autres se répandirent dans la ville, en massacrant tout ce qui se trouvait sous leurs coups. M. Lespinasse, chef de la Poste aux lettres, fut tué dans son bureau. Les enfants de ma tante Blain furent assommés ; la pauvre mère en mourut de chagrin quelques mois après. Les enfants de M. de Crolle, le régisseur du seigneur de Cholet, le duc d'Havre, furent aussi tués. Les chouans lui en voulaient parce que c'était lui qui avait fait remplacer M. Rabin, par son frère, le prêtre constitutionnel. M. Briodeau, fut tué au Bretonnais, en sortant de chez Mme Dupin. 

      

    « Enfin les paysans, après avoir sommé la petite armée du château de se rendre, ne recevant pas de réponse que les coups de fusils qu'on leur tirait par les meurtrières de la petite forteresse, fatigués de tant de résistance, mirent le feu au château. En un moment la flamme s'éleva et entoura les malheureux qui défendaient la place. Les Chouans leur criaient : « Rendez-vous !.. il ne vous sera fait aucun mal. Les chefs catholiques vous assurent vie et sécurité... Si au contraire vous persistez, nous allons incendier la ville entière... » 

    « C'était vers cinq heures du soir. Tous ces malheureux, qui se voyaient perdus, furent obligés de se rendre. Ils furent faits prisonniers, les mains attachés derrière le dos ; on les conduisit sous les halles. 

    « Les Chouans essayèrent d'arrêter l'incendie du château. La nuit fut horrible ; le tocsin sonnait ; les habitants étaient remplis d'effroi. Les soldats de l'armée catholique s'étaient logés partout ; notre maison en était remplie. 

    « C'étaient des paysans, des prêtres déguisés, qui ne cherchaient à faire aucun mal. Acculés sur leurs talons, ils mangeaient leurs morceaux de pain noir avec du lard bouilli qu'ils tiraient de leurs bissacs, après avoir récité leur bénédicité. 

      

    « Le lendemain, 15 mars, le soleil en se levant éclaira un triste tableau dont le souvenir me fait frémir d'horreur : toutes les rues, particulièrement par chez nous (sic), étaient couvertes de cadavres que nous cherchions à reconnaître par les fenêtres, car personne n'osait aller les relever de peur de se compromettre et d'être tué. 

    Sur la route du Bois-Grolleau jusqu'aux Pagannes, les morts étaient entassés les uns sur les autres. 

    « Cependant les Vendéens s'étaient réunis le matin et parlaient de fusiller les malheureux prisonniers qui étaient sous les halles. Ils vinrent à la mairie qui était presque en face de chez nous (1). Ils y prirent toutes les archives et les papiers du District, les portèrent sur la place du château et en firent un feu de joie. Ils firent aussi sommation à tous les habitants qui avaient des armes chez eux de les porter au château, sous peine de mort. » 

      

    (1) « Aujourd'hui, le n° 15 de la rue Saint-Pierre »,. ajoute M. Joseph Chaillou, en 1890. Il semble que ce soit l'immeuble existant encore immédiatement au-dessus du beau portail de granit, l'immeuble dont la porte est surmontée d'un arc plein cintre et s'ouvre sur un perron extérieur, débordant sur le trottoir. 

    ________ 

      

    APRÈS LA VICTOIRE. 

      

    « Bien des nobles qui s'étaient cachés arrivèrent se joindre à cette armée : Bonchamps (le 21 Mars, à Chalonnes), d'Elbée (le 19 Mars, à Chemillé), Henri de la Rochejacquelein (le 14 Avril, à Cholet), Lescure (du château de Clisson — Deux-Sèvres, — au début de Mai après la prise de Bressuire.) 

    « Le Jeudi-Saint arriva dans ce mois-là (le 28 mars 1793). Il y eut une procession. Les Chouans reportèrent à Bellefontaine une Vierge miraculeuse qui avait été apportée à Cholet pour la cacher (1) 

    « Le jour de Pâques (le 31 Mars 1793), on alla au château chercher les prisonnier pour les conduire à la grand'messe à Saint-Pierre. Tous étaient des négociants de Cholet ; ils étaient couverts de boue, leurs vêtements déchirés. Tout le monde pleurait à l'église. 

      

    « C'était M. Boisnaud qui disait la messe ; il s'était caché pour ne pas avoir voulu prêter serment et venait de reparaître. 

    « Après la messe, on reconduisit les prisonniers au château, en descendant la rue Saint-Pierre entre deux haies de paysans armés, avec des cocardes blanches à leurs chapeaux et un superbe drapeau qu'avait donné ce jour-là Mme de la Rochejacquelein. » 

    Louise Barbier fait certainement erreur ici sur le nom de la donatrice. Mme de la Rochejacquelein était à cette époque Mme de Lescure et en surveillance au château de Clisson avec son mari et son père, M. de Donnisseau. Henri de !a Rochejacquelein n'avait pas encore rejoint les armées angevines et venait seulement d'être informé du soulèvement par sa tante, Mlle de La Rochejacquelein, qui note dans ses « Souvenirs sur ma famille »  : 

    « Fête de Pâques. — Henry, mon neveu et M. de la Cassaigne vinrent de Clisson à la Durbelière. » 

      

    (1) Il s'agit de la Vierge qui, de temps immémorial, était en grande vénération dans une humble et étroite chapelle avec toit en dos d'âne comme il en existe dans beaucoup de carrefours, à la lisière d'un bois dépendant de l'abbaye de Bellefontaine. 

    Le 27 août 1791, sur l'ordre du Département, des détachements de gendarmerie et de gardes nationaux des pays voisins accompagnèrent le curé constitutionnel de Notre-Dame de Cholet, qui firent enlever la Vierge et démolirent la chapelle. La statue fut amenée processionnellement à Cholet. 

     

     

    A suivre… 

     

     

     

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