• Les souvenirs de Louise Barbier, 2° partie....

     

    Les souvenirs de Louise Barbier,

    2° partie…

     

     

     

    AUX DÉBUTS DE LA RÉVOLUTION

    Espoirs et Désillusions

     

    Les premiers souvenirs, que mentionne Louise Barbier, datent de sa « tendre enfance ». Née le 22 mai 1783, elle n'avait, en effet, que six ans et deux mois lorsque, une semaine après la prise de la Bastille, le 22 juillet 1789, le jour de la Magdeleine, éclata dans toute la France un mouvement de terreur, panique dont les origines sont encore demeurées obscures.

    Son récit débute très brièvement ainsi :

    « J'avais cinq ou six ans, à la Madeleine ; mais dans les brumes de mes souvenirs, cependant, je me rappelle qu'on eut bien peur. On nous disait que les Anglais arrivaient et allaient tout mettre à feu et à sang. »

     

    La nuit, pendant laquelle se répandit cette invraisemblable nouvelle, s'appelle encore en Vendée la nuit de la Peur. Rien d'éton­nant à ce que cet événement demeurât gravé dans la mémoire d'une enfant de six ans. Il avait de même impressionné fortement un garçonnet de deux ans plus âgé que notre mémorialiste, Marin-Jacques Boutillier de Saint-André, qui nous décrit ainsi cette nuit mémorable dans une cité voisine de la nôtre, à Mortagne :

    « Il était neuf heures du soir... et nos voix furent interrompues par un grand coup que l'on frappa dans le contrevent. Il faisait un grand orage et nous crûmes que la foudre venait d'éclater, Les coups redoublèrent. Surpris de ce bruit imprévu, les domestiques ouvrirent avec précaution. C'était Champagne, le palefrenier de mon oncle de la Chèze, que son maître envoyait de Roussay nous prévenir de l'arrivée des Anglais.

     

    « Cette absurde nouvelle fut bientôt répandue dans toute la ville. Chacun y crût. On sonna le tocsin et tous les hommes s'armèrent, les uns de fusils, les autres de piques, de fourches, de faulx. On illumina toutes les fenêtres. Nous ne nous couchâmes point et nous attendîmes avec une grande anxiété la revenue du jour.

    « Mon père était alors maire (de Mortagne) et reçut, sur les minuit, deux députés de Cholet qui venaient demander des secours. J'étais présent à leur réception et j'entendis mon père leur répondre que Mortagne n'avait point assez de forces pour secourir Cholet et que le peu d'hommes dont il pouvait disposer resteraient dans leurs foyers pour les défendre.

    « Ces députés étaient armés jusque dans les dents {sic). Ils portaient déjà des cocardes tricolores ; ils faisaient de grands gestes, soutenaient que les Anglais arrivaient, qu'ils n'étaient plus qu'à quelques lieues de Cholet, et assuraient très positivement qu'ils massacraient sans pitié les hommes, les femmes et les enfants. Je tremblais de toutes mes forces ; je me croyais déjà mort. Il me vint dans l'idée que ces messieurs étaient peut-être des Anglais eux-mêmes et je m'en fus me cacher ...

     

    « Cependant, on fit des patrouilles, on boucla les portes de la ville, on garda tous les passages... Le jour reparut. Mon père revint. Chacun rentra chez soi bien rassuré. On eut honte de s'être laissé effrayer par une fausse nouvelle... » (1).

    Nous avons cru devoir compléter, par ce vivant récit, l'indication trop sommaire fournie par Louise Barbier sur cet important événe­ment qui marqua dans nos contrées le début de la Révolution, et laissa une trace ineffaçable dans les esprits.

    Pour les années qui suivirent, l'âge de notre mémorialiste ne lui permit pas d'enregistrer d'autres impressions que celles marquées dans sa mémoire par les conversations bruyantes ou par les discus­sions entendues dans la grande salle de l'auberge paternelle.

     

    (1) Mémoires d'un père à ses enfants. Une famille vendéenne pendant la Grand' Guerre (1793-1795), par M. Boutillier de Saint-André, publié par l'Abbé Eug. Bossard. Paris, Pion et Nourrit,

    1896, pages 30 à 35.

    ________

     

    Quelques notes suivent immédiatement, sur les autorités adminis­tratives, judiciaires ou religieuses choletaises.

     

    « C'était M. de Beauveau, le seigneur de la Treille, qui dirigeait Cholet. Il était méchant, dur et barbare ; un jour il fit dévorer par ses chiens un pauvre qui avait passe le pont-levis pour implo­rer la charité aux cuisines du château. (1).

     

     « Les autres chefs étaient MM. Boutillier de Saint-André (2), Savary (3) et Chouteau (4). Les réunions avaient lieu aux Cordeliers, (aujourd’hui l'Hôpital).

     

     « C'était M. Boisnaud, qui était curé de Saint-Pierre. Il avait succédé à M, David, qui m'avait baptisée.

     

    « N'ayant pas voulu prêter serment à la Constitution, ni  aban­donner ses paroissiens, il était obligé de se cacher.

    Il disait la messe, la nuit, dans les fermes, dans les forêts ou dans les champs de genêts, qui formaient des fourrés impénétrables à d'autres qu'aux gars du pays. »

    Louise Barbier commet ici une double erreur. M. Boisnaud (1) ne succéda pas directement à M. David. Ce dernier, curé de Saint-Pierre depuis octobre 1752, mourut le 24 mars 1774, et fut enterré auprès du grand vitrail, au chevet de son église. M. Charlet fut nommé pour le remplacer. Il exerça son ministère pendant environ quatre ans, de 1774 à 1778.

    Ce court laps de temps paraît n'avoir laissé aucune trace dans les souvenirs d'enfance de notre écrivain. Il est vrai que ce fut sous le rectorat de M. David que, le 10 septembre 1769, eut lieu le mariage de ses parents, Louis Barbier et Marie Auvinet, et que successivement furent baptisés cinq de ses frères et sœurs aînés ...

    De plus, M. David avait laissé une réputation vénérée de saint prêtre ; renommée qu'était venu accroître ce fait qu'à la suppres­sion du très vieux cimetière entourant l'église Saint-Pierre, en 1787, lorsqu'on exhuma les restes de ceux qui y reposaient, le corps de M. David fut retrouvé parfaitement conservé et intact. La population crut au miracle et vit dans ce phénomène une preuve manifeste de la sainteté de son ancien pasteur.

     

    Il serait étonnant qu'une enfant de huit à dix ans puisse, dans la sincérité de son récit, rapporter autre chose que des faits, quel­quefois déformés dans leur interprétation.

    Dans les lignes suivantes, Louise Barbier constate simplement, en quelques mots, l'aversion  que nos populations montrèrent pour les prêtres qui adhérèrent A la Constitution Civile du Clergé et acceptèrent de prêter le serment :

    « Il n'y avait à Cholet qu'un prêtre assermenté, qui se nommait M. de Crolles (1) ; mais personne ne voulait aller à sa messe. Il ne trouvait pas même d'enfants de chœur pour lui répondre. »

    Ces lignes indiquent une des causes principales de la révolte des esprits, dans nos contrées : les innovations religieuses qu'incriminent également les témoignages contemporains, — que nous tenons à citer ici, — de partisans notoires de la Révolution et d'un des chefs insurgés les plus illustres.

    En effet, le Secrétaire général de la Préfecture de la Vendée, ancien prêtre constitutionnel ayant adhéré au nouvel ordre des choses et prêté le serment réprouvé des Vendéens, Cavoleau; écrit en 1800 :

    « En 1790, l'Assemblée Nationale obligea les prêtres catholiques à un serment qui a fait plus de mal à la France que les échafauds de Robespierre et les armées de l'Europe coalisées contre elle » (2).

    Le Général Kléber, le vainqueur de Cholet, écrit dans ses Mémoires  :

    « On pourrait, ce me semble, hasarder la proposition que sans la loi concernant la constitution civile du clergé, la France aurait pu être agitée de quelques troubles, mais qu'elle n'eut pas vu alors de guerre civile. « Rendez-nous nos bons prêtres et nous vous abandonnons le Roi. Nous vous livrons nos seigneurs », disaient les Vendéens lorsque, très souvent las de combattre et rassasiés de carnage (?), ils  regrettaient leurs travaux champêtres et soupiraient après leurs paisibles chaumières. Ce fait était alors connu de toute l'armée, et il n'est pas un soldat qui ne les ait entendu s'exprimer ainsi. »

     

    (1) Gabriel de Crolles était le frère ou le neveu du régisseur du Château de Cholet, il était précédemment vicaire de Vitry-sur-Seine. Il fut nommé par l'Assemblée électorale du District de Cholet, le 17 avril 1791, à la cure de Notre-Dame.

    Pour remplacer M. Boîsnaud, à Saint-Pierre, les électeurs désignèrent un certain M. Durand, prêtre assermenté, qui ne demeura que très peu de temps à Cholet.

    (2) Cavoleau. Statistique du Département de la Vendée, p. 817.

    ________

    Enfin, voici la réponse de d'Elbée, principal généralissime des armées vendéennes à la Commission militaire de Noirmoutier, réponse recueillie par Piet, secrétaire de cette Commission :

    « Je jure sur mon honneur que malgré que je désirasse sincèrement et vraiment le gouvernement monarchique, réduit à ses vrais principes et à sa juste autorité, je n'avais aucun projet parti­culier et j'aurais vécu en citoyen paisible, sous quelque gouvernement que ce fut, pouryu qu'il ait assuré ma tranquillité et le libre exercice, au moins toléré, du culte religieux que j'ai toujours professé. ».

     

    Dès 1791, on se hâta de remplacer les prêtres qui, par scrupule, ne consentirent point à prêter le serment. « Mais, ajoute Kléber, les circonstances ne permirent pas alors d'apporter grande sévérité dans l'examen des concurrents, et on dut prendre presque indistinctement tous ceux qui voulurent bien se présenter. »

     

    « Le patriotisme, sur lequel il était si facile de se méprendre et auquel on attacha souvent des idées si bizares, tenait lieu aux nouveaux venus de toutes les vertus et ils croyaient en donner une preuve suffisante en prêtant le serment auquel leurs prédécesseurs venaient de se refuser.

    « On vit donc s'emparer des presbytères abandonnés ou des moines qu'un dépit, l'irréflexion de la jeunesse et souvent la contrainte plutôt qu'une pieuse vocation avaient jetés dans les monastères et qui, se consumant depuis longtemps en regrets, passèrent tout à coup de cette gêne violente à la licence la plus effrénée, ou bien de ces ecclésiastique qui, n'ayant pas su sauver assez les appa­rences d'une conduite déréglée, s'étaient vus écarter des emplois de l'Eglise, et végétaient dans une crapuleuse indigence... »

     

    « De tels hommes étaient bien peu propres à remplir leurs fonc­tions avec cet esprit de paix et de conciliation qu'il eût été nécessaire d'apporter dans les commîmes pour calmer les ferments déjà sur le point d'éclater...

     

    « Enfin, lorsque la plupart de ces nouveaux curés, autant par leurs turpitudes que par l'instigation de leurs antagonistes, parvinrent à s'attirer la haine des communes, au point de ne pouvoir paraître en public sans être conspués, ils cherchèrent et trouvèrent un appui dans les sociétés populaires..., et les autorités constituées, toujours influencées par ces sociétés, se hâtèrent de mettre sous l'égide de la force armée ces nouveaux fonctionnaires ecclésiastiques.

    « Dans tout le royaume, la Garde Nationale fut presqu’exclusi­vement employée à la défense des presbytères. Mais, ces soldats de la Liberté, destinés à être les soutiens impos-sibles de la Loi qui protège..., devinrent facilement des instruments de vengeance. De là, ces persécutions partielles et arbitraires, dont les prêtres insermentés ne furent pas les seules victimes, et qui offrirent si souvent des scènes à 1a fois sanglantes et ridicules ; mais la persécution, dans cette circonstance, eut le résultat qu'elle obtint dans tous les temps. Les persécutés devinrent plus chers à la multitude.

     

    Dans leur rapport du 8 octobre 1791, les deux commissaires civils, MM. Gallois et Gensonné, envoyés dans les départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, à la fin d'août, affirment également l'influence néfaste du serment exigé à la Constitution civile du clergé, et notent la séparation des esprits qui en fut rapidement la conséquence :

    « L'époque de la prestation du serment ecclésiastique a été, pour le département de la Vendée, la première époque de ces troubles. Jusqu'alors, le peuple y avait joui de la plus grande tranquil­lité. Disposé, par son caractère naturel, à l'amour de la paix, au sentiment de l'ordre, au respect de la Loi, il recueillait les bienfaits de la Révolution sans en éprouver les orages...

     

    * ... Cette division des prêtres en assermentés et non assermentés a établi une véritable scission dans le peuple de leurs paroisses. Les familles y sont divisées... Les municipalités se sont désor­ganisées ; et un grand nombre d'entre elles pour ne pas concourir au déplacement des curés non assermentés. »

    Le marquis de Beauveau, procureur général syndic du District de Cholet, écrit, le 23 avril 1791, au Directoire du département de Maine-et-Loire : « ... En voilà deux (démissions) que je viens de recevoir... »

    « ... Tous ne le feront pas dans la même forme » (démissionner), fait connaître de son côté le président du Directoire du District de Cholet, M. Chouteau, le 3 mai 1791,

    mais tous le feront sous peu. Si Ton ne trouve quelque moyen d'arrêter cette contagion, il n'y aura plus de municipalités. "

    Et Gallois et Gensonné notent dans leur rapport : « Un grand nombre de citoyens a renoncé au service de la Garde Nationale, et celui qui reste ne pourrait être employé sans danger, dans tous les mouvements qui auraient pour principe et pour objet des actes concernant la Religion ; parce que le peuple verrait alors dans les uartfes Nationales, non les instruments impassibles de la Loi, mais les agents d'un parti contraire au sien. »

    Le mépris des prêtres assermentés, des « intrus », le regret des anciens pasteurs, la haine ,des Gardes Nationaux et de leurs brimades continuelles, se doublaient d'un malaise général et d'une inquiétude croissante. Le mécontentement était partout et len­tement la révolte s'insinuait dans les cœurs :

    « On disait que la guerre allait éclater.

    « On faisait des rassemblements sur les places et chez mon père, qui était aubergiste, et qui était exalté dans ses opinions anti­royalistes.

    « Dans la grande salle de l'auberge, se rassemblaient beaucoup de connaissances ou d'amis pour discuter de la politique. Trop jeune, je n'y comprenais rien. Je me souviens qu'on me disait des gentil­lesses qui me flattaient beaucoup.

    « Mon père mourut dans ces temps-là, (1)

    « Ma belle-mère pleurait et nous dit que, désormais, elle ne pour­rait se charger d'une aussi nombreuse famille ; car nous étions dix encore à la maison paternelle.

    Nos oncles et tuteurs vinrent faire l'inventaire. Je vis un tas de beaux écus que l'on cacha pour les mettre en sûreté.

     

     (1) Le 4 janvier 1790. Veuf, le 26 mars 1786, de Renée Auvinet, dont il avait eu quatorze enfants, Louis Barbier s'était remarié en 1788 avec Marie Bréault. Le30 juillet 1789 naquit une petite fille, Marie, qui fut massacrée en 1794.

    ________

     

    Cette petite fortune ne reparut jamais, car nous ne la retrouvâmes plus après la Révolution. » (1).

    La famille Barbier n'était pas seule alors à éprouver les ennuis d'un situation économique précaire. Depuis des années déjà, la « crise » allait en s'accentuant.

    « L'hiver de 1788 a passé terrible », écrit M. C. Port, d'après les documents des Archives départementales

    « Celui de 1789 s'annonçait désastreux par de longues pluies qui arrêtent tout le travail des champs. Mais enfin, la récolte rentrée était excellente et pourtant le prix des grains ne cesse de s'accroître... Dans les campagnes, en particulier dans les Mauges, la détresse devenait extrême et les marchés restaient vides, en plus d'un endroit interceptés maladroitement par les affamés. »

    « Tous les bourgs menacent les gens les plus aisés de venir prendre leur subsistance chez eux »... écrit le District de Beaupréau.

    « Le maire du May, Tharreau, voit gronder autour de lui et dénonce une insurrection prochaine. « Autant vaut mourir d'un coup de fusil que de faim », disent ses paysans.

    « A Trémentines, l'exaspération est au comble. Toute une popu­lation d'ouvriers erre en plein chômage autour des maisons des fabricants, des marchands aisés qu'a épuisés la crise. « Nous sommes à la veille d'une insurrection dans ce bourg... » écritRousseau, curé et maire(5).

    Dès le 9 mai 1790, un convoi de blé avait été mis au pillage sur les landes de Bégrolles. A Chemillé, vers la fin d'août, un poteau fut dressé devant les halles pour terrifier les accapareurs... La panique gagne les villes. Dès l'ouverture des marchés, tout s'y trouvait acheté par des inconnus... Un nouvel hiver approchait apportant des menaces nouvelles.

     

    (1) Louise Barbier ajoute ici à ses mémoires : L'oncle Blain, nommé tuteur général, ne nous rendit aucun compte. Au retour de l'exil, il nous dit que l'argent avait disparu. C'était-il vrai ?

    (sic). Dieu le punit. ïl mourut dévoré par la vermine dans un taudis sur la route de la Tessoualle.

    ________

     

    Ainsi, froissées dans leurs convictions religieuses, soumises à de perpétuelles vexations, nos' populations se trouvaient atteintes encore dans leurs intérêts matériels.

    « La première.et la plus pénible des désillusions après tant d'espérances », écrit justement M. C. Port, « Se trahit sur la question la plus sensible et la plus irritante, celle des impôts là où, tout d'abord, le populaire avait pu crier cause gagnée. »

    « Dès le lundi 20 juillet 1789, les nouveaux pouvoirs publics avaient mis la main sur toutes les caisses des Recettes Royales, Tailles, Tabacs, Aides, Contrôle, et le peuple se chargeait d'incendier les barrières et de supprimer les octrois... »

     

    « Mais le décret du 23 septembre, qui n'ordonnait la suppression de la Gabelle (si détestée, l'effroi de tous), qu'après son remplacement assuré par les Assemblées Provinciales, prétendait en somme remettre sur pied, ne fut-ce que pour un temps, tout le régime abhorré. L'annonce seule de cette entreprise « réveilla dans tous les cœurs te sentiment de la révolte et de l'insur-rection », et tous les citoyens se proclamèrent hautement résolus à repousser la force par la force et « a mourir plutôt que de se soumettre à ce joug odieux. » (1).

    De plus, la répartition des contributions directes de 1790 devait prendre pour base la Taille de l'année précédente.

    « Or, nulle part lé scandale ne s'affichait plus audacieux que dans l'élection de Montreuil-Bellay » qui comprenait le futur pays insurgé de la Vendée angevine.

    « Ici l'impôt rayonnait en s'accroissant pour se concentrer sur ses extrémités, — au point qu'on calculait sans conteste la distance du chef-lieu à l'intensité proportionnelle des taxes dont les paroisses étaient frappées... Des 56 paroisses de l'Election, les six à l'entour de Cholet supportaient à elles seules plus du tiers de l'imposition totale, le double, même les trois quarts de plus que certains cantons de. l'Anjou. » (2).

     

     (1) Assemblée générale de la Province d'Anjou. Angers, Paris, in-8" de- 27 pages. Le procès-verbal original porte parmi les signatures celle de Bonchamps.

    (2) Archives Départementales de Maine-et-Loire. B. Cahier de Roussay. — C. 197. Lettres du District de Cholet du 26 février et du 2 avril 1790.

    ________

     

    « ... En vain la Commission intermédiaire s'épuisait-elle à rappe­ler que Terreur était involontaire ; qu'elle serait rachetée sur les rôles de 1791 et compensée dès cette année même par des grati­fications... Comme si l'on pouvait faire croire aux campagnes que l'argent revienne jamais du fisc (1), et que les rôles, — on le voyait trop, — n'eussent toutes chances d'être à demeure ! »

    Les rôles de 1791 ne rachetèrent rien, naturellement ; pas plus que ceux de 1792 ; si bien qu'au cours de cette dernière année, l'Administration, impuissante à faire face aux dépenses immenses de la guerre engagée, heurtait « son droit inexorable à la faute impardonnable qui depuis trois années pesait sur les Mauges, l'ini­­quité de l'impôt ».

    « La guerre est déclarée, la guerre exige des contributions soli­dement établies et régulièrement acquittées » écrivait le ministre, dès le 6 mai 1792. Et à toute plainte : « Payez d'abord », répondait-il.

     

    « Mais une opposition absolue, raisonnée, s'annonçait, hautement décidée à ne pas subir deux fois les exigeances illégales, que réclamaient, à contre-cœur les agents du fisc et que dénonçait à grands cris la conscience publique...

    L'évidence attestait une disproportion entre la masse des contributions et la matière imposable de plus de 1.200.000 livres... Le District de Cholet, à lui seul, d'après les décla-rations des Municipalités, accusait une surcharge du foncier de 208.855 livres. »

    c Partant de cette certitude, chaque contribuable a fait son compte et réglé en conscience son versement... à peu près les. deuxtiers de la contribution foncière... Pour le mobilier, la taxe en était si excessive qu'on n'avait pu en percevoir encore qu'un cinquième. « Il est impossible que là Convention laisse subsister une proportion aussi déraisonnable », écrit le Procureur Syndic de Cholet. » (2).

     

    « Mais à toutes réclamations, nulle réponse n'était venue pendant deux ans, et quand aux derniers jours de 1792, le Ministre, après avoir consulté l'Assemblée et les Comités, donne signe de vie, c'est pour justifier son refus sur des défauts de formalités strictes qu'il n'était même plus temps, légalement et par sa faute, de remplir. »

     

    (1) Id. Lettre du May, février 1790.

    (2) Archives Départementales de Maine-et-Loire. — Lettre du 8 novembre 1792.

    ________

     

    «  Le Directoire du département, en dépit de cause, a tâché pied. Le District de Cholet, qui est le plus iniquement éprouvé « par ce fléau », avait pris les devant quand même et parlaitde si aigre façon qu'une première fois, il fallut lui renvoyer sa réclamation comme indigne.

    Après des plaintes sans fin, les publications d'adresses et de mémoires sans résultats, l'envoi même au département du Procureur-Syndic, en mission spéciale, l'exaspération y est devenu telle qu'elle s'élève presque à la rébellion. » (1).

     

     « Ceci accrut la gêne universelle », écrit M. Henry Jagot dans son étude très approfondie et très sérieuse, des origines de l'Insurrection (2), « doublée par une extension formidable du vagabondage et de la mendicité. Les gabelous réduits à la famine par la suppression de la Gabelle, leurs ennemis, les faux-saulniers tombés dans l'inaction, couraient les champs par bandes nombreuses se livrant à des pillages, à des brigandages et à des assassinats. Il y eut une série de crimes du genre de ceux qui devaient rendre plus tard si fameux les abominables chauffeurs, de telle sorte que l'épouvante régnait dans toutes les paroisses.

    « Eh bien ! durant cette période troublée, on ne signale pas un acte d'opposition à la Révolution, pas une plainte contre l'Assemblée, pas un mouvement de révolte contre la Loi... Rien ne permet de penser que ces paysans sages et paisibles, qui suppor­tent les maux présents avec résignation, songeront un jour à prendre les armes pour rétablir un régime dont ils réclamaient de force la destruction dans les premières semaines de l'année 1789.

    « Les Vendéens souffrent dans leurs intérêts, dans leurs biens, mais ils ne s'en prennent à personne de la rigueur de la tempé­rature et de la disette amenée par les mauvaises récoltes. Ils se consolent de ces peines passagères avec leur Religion. Et il en sera ainsi tant qu'on ne touchera ni à leurs curés ni à leurs églises. »

     

    La loi proclame la liberté des cultes. Cette liberté existe à Paris ; elle est aussi maintenue dans plusieurs départements.

     

    (1) Archives .de Maine-et-Loire. Adresse du 5. Janvier 1793 ci-

    tée par C. Port, La Vendée Angevine, t. II, p. 48.

    (2) Henry Jagot. Les origines de la Guerre de Yendée. Paris

    H. Champion, 1914, p. 58.

    ________

     

    Mais c'est en vain que les paysans des Mauges et de la Vendée, c'est en vain que le clergé dépossédé la revendiquent (1). Le mouvement non conformiste, appuyé sur la loi elle-même, est assimilé à une forme de rébellion.

    Le pays tout entier est voué à la terreur. Les gendarmes et les gardes nationaux, guidés par des « patriotes » de bonne volonté et même par des prêtres constitutionnels, courrent les chemins, s'imaginant étouffer sous la contrainte et la terreur la révolte des consciences.

    Un arrêté du 1er février 1792 obligeait tous les prêtres non assermentés, sans exception, à se rendre au chef-lieu du dépar­tement, dans la huitaine, et à y prendre leur résidence sous la surveillance de la police. Cette surveillance se transforme bien­tôt en un véritable emprisonnement agrémenté de toutes sortes de vexations dont la réalité est impossible à mettre en doute, à la lecture de la lettre du Ministre de l'Intérieur, Roland, adressée le 24 août 1792 aux Administrateurs d'Angers.

     

    « On me marque, Messieurs, que les prêtres qui sont enfermés, depuis deux mois, aux deux Séminaires, y éprouvent toutes sortes de vexations de la part de la garde nationale de cette ville, qu'ils viennent d'être mis pendant six jours de suite, sur la paille, au pain et à l'eau et que plus de la moitié de ces prêtres sont âgés de soixante à quatre-vingts ans et infirmes. Vous sentez, Messieurs, que si les circonstances difficiles dans lesquelles nous nous trouvons, peuvent excuser des mesures extra­ordinaires contre des citoyens prévenus d'animosité envers la Révolution, la justice et l'humanité exigent du moins que ces mesures ne soient pas aggravées par aucun acte particulier de persé­cution et de barbarie. »

    En fait, dès avant la fin de 1792, il n'y eut plus de liberté individuelle dans les départements de l'Ouest. Les divers arrêtés des autorités permettaient aux gardes nationaux de pénétrer chez les particuliers, sur le moindre soupçon, en brisant au besoin les portes et les fenêtres, en faisant sauter les serrures, et de fouil­ler partout, sans avoir à justifier leur conduite.

    « Les patriotes, lâchés dans les campagnes comme une meute de chiens enragés, se livrèrent aux pires excès, insultant les femmes, frappant les hommes, semant la terreur sur leur passage, agissant chez leurs compatriotes comme en pays conquis et mani­festant une joie sauvage, quand ils avaient pu s'emparer d'un malheureux prêtre, découvert au fond d'une grange, sous un ­ pres­soir, derrière la roue d'un moulin, caché sous des bottes de paille, ou surpris dans les genêts ou les bois... »

     

    (1) Cf. la lettre éloquente du curé non assermenté de Notre-

    Dame de Cholet, M. Rabin.

    ________

     

     « Ces tristes scènes se renouvelaient dans toute la Vendée et si les campagnards hésitaient encore à prendre les armes pour défen­dre les victimes, du moins commençaient-ils à éprouver une haine profonde pour les tyrans » (1).

    Contre les gardes nationaux détestés, l'accord était unanime et les paysans, jadis doux et paisibles, ne songeaient plus qu'à la vengeance devant leurs maisons envahies et leurs femmes insultées.

    II n'était pas besoin d'une conspiration pour les entraîner à la révolte. Le premier incident venu devait leur mettre les armes à la main.

     

    Cette immense inquiétude des esprits, aggravée par la déclaration de guerre et bientôt par la proclamation de « la Patrie en danger », eut pour conséquence nécessaire, alors comme à toute autre époque, le ralentissement des échanges commerciaux et pour l'arti­san et l'ouvrier le manque de travail, ce que nous appelons aujour­d'hui «.le chômage ».

    Et voici que retentissent des appels aux armes, des demandes de volontaires. C'est ce que note Louise Barbier :

    « Les ouvriers ne faisaient plus rien.

    « Pendant quelques temps, ou voulut faire partir tous les jeunes gens pour défendre la frontière. Ceux de la ville ne demandaient pas mieux ; mais ceux des champs ne voulurent pas obéir à cet ordre. »

    Il est notoire qu'avant la Révolution, il eût été extrêmement difficile d'entrainer aux armées la jeunesse vendéenne, rebelle à l'appel de la milice.

    Ces sentiments s'étaient manifestés avec vivacité lors de la rédaction des cahiers de 1789. A en juger par les plaintes exprimées, on pourrait croire que le service de là milice était une chose épouvantable ou pour le moins aussi gênante que notre service militaire actuel. II n'en était rien.

    « Il ne se levait que peu d'hommes pour la milice. Le gouvernement se contentait d'un sur quarante et même cinquante... Maïs quand un homme tombait au sort, il se mettait à pleurer, s'arrachait les cheveux et donnait des marques du plus violent désespoir. Et pourtant de quoi s'agissait-il alors ? D'aller à Rochefort ou à La Rochelle faire l’exercice pendant quelques mois au bout duquel temps le milicien était renvoyé chez lui. Les engagements volon­taires suffisaient alors pour alimenter l'armée. » (1).

    Si ce faible service causait tant d'émoi dans la Vendée, on peut s'imaginer sans peine la consternation que devait y déterminer l'appel de mars 1793. Si même tout avait été calme et parfait dans ces campagnes, il est probable que les opérations du tirage ne se seraient pas faites sans de violentes bagarres et des refus de tirer au sort. De nombreux réfractaires se seraient réfugiés dans les bois et sur les landes, mais il n'y aurait pas eu de révolte ouverte.

     

    Il ne faut pas accuser le courage de ces jeunes gens. Leurs engagements dans les bataillons de Volontaires de la Révolution ne furent pas moins nombreux pour nos pays que pour le reste du département. Sur 577 inscrits au premier bataillon de Maine-et-Loire, Cholet compte trente noms et les campagnes environnantes trente-trois. On a vu, par la suite, que nos jeunes compatriotes étaient capables « de se battre comme des lions, de se conduire comme des héros, d'affronter la mort avec gaieté ». Dans ses Mémoires, parlant des Vendéens, Napoléon a rendu justice à leur vaillance, principalement à l'époque de l'invasion, en 1814.

    «c Mais sans parti-pris et en toute équité, on peut se demander ce que ces paysans devaient à l'ensemble de la nation quand on vint les chercher pour les envoyer aux frontières. Depuis 1789, non seulement rien n'avait été fait matériellement en faveur de nos malheureuses campagnes, mais leur situation était devenue plus misérable encore, soit par les mauvaises récoltes, les pillages des vagabonds et des brigands, la fréquence des inondations, l'augmentation des impôts, etc..

    « Les misères du corps étaient dépassées de mille coudées par celles de l'âme. Il y avait de la tristesse, de l'indignation et de la haine dans chacune des pauvres maisons de ce pays. On pleurait au coin de tous les foyers et c'était avec une poignante douleur que ces humbles chrétiens contemplaient leurs églises souillées et fermées, et leurs clochers désormais silencieux. » .

    Et c'était le moment où leurs persécuteurs, menacés par les dangers extérieurs, voulaient contraindre nos compatriotes à marcher, — à leur place d'ailleurs et pour eux, au secours de cette Révolution, à laquelle ils ne devaient que des humiliations et des blessures. Vraiment, c'était trop exiger de la nature humaine. L'appel au tirage fut l'appel à l'insurrection.

    Un courrier extraordinaire apporta à Angers, dans la nuit du 1" au 2 mars, le triple décret-loi qui fut lu, le 2 au matin, à la séance du Directoire. Le jour même, il était connu dans le département tout entier.

    « La milice ! Le tirage ! Partir soldat !  Soldat de ligne ! On n'a pas l'idée aujourd'hui de ce que représentait en ce temps-la pour les paysans, au-dessous même de la milice, l'armée ! »

     

    « Mœurs et discipline de galère ! Rebut des villes, des bouges, des prisons ! Autant valait rétablir la gabelle ! On n'eut pas fait pis.

    « Ce fut un soulèvement d'horreur !» .

     

    (1) BouTiLLiER de Saint-André. Mémoires d'un père a ses enfants, p. 83. - ________

     

     

    Les souvenirs de Louise Barbier, 2° partie....


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :