• Les Mémoires de l'abbé Remaud, 6° partie....

     

    Les Mémoires de l’abbé Remaud, 6° partie…

     

     

    La Vendée Historique, N° 67, 5 octobre 1899.

     

    Je revins à Maché pour y jouir en paix de calme que je commençais à goûter. Il ne devait pas être de longue durée. De toutes parts, les nuages s’amoncelaient sur ma tête ; l’horizon politique s’était obscurci, la journée du 18 fructidor eut lieu. Il fallut songer à la retraite et me cacher de nouveau.

    J’allai passer un jour dans ma famille pour savoir ce que mon fère, curé de Chavagnes, allait devenir. J’en partis heureusement à temps, car le général de brigade Gr…y, qui commandait à Montaigu, le même qui, deux mois auparavant, m’avait mis en liberté, envoya deux cent cinquante hommes pour m’arrêter avec mon frère.

    Je fus informé de suite de cette mesure atroce ; je partis dans la nuit pour retourner à Nantes, où j’avais plus de moyens de me cacher que dans la campagne. J’y arrivai sans accident, après avoir couru les plus grands dangers le long de la route, et surtout en passant au poste de Pont-Rousseau, où mon signalement était vraisemblablement donné.

    Ce serait ici le lieu de parler de la frayeur qui se répandit dans les villes après la trop fameuse journée du 18 fructidor. La France fut terrifiée une seconde fois ; mais cet évènement tient à l’histoire générale de la révolution, et je n’écris que ma vie particulière.

    Une fois de retour à Nantes, je me procurai, par le moyen de connaissances que j’avais, une pension sûre. On me donna un logement où j’avais besoin de lumière même en plein jour ; mais je passais facilement sur ces désagréments, parce qu’il y avait près de moi une cache qui n’avait pas été découverte jusqu’alors, malgré les fouilles qu’on y avait faites.

    Il m’en coûtait fort cher dans cette nouvelle pension (Ma pension était de cent francs par mois ; on ne se fait pas l’idée de ce qu’il en coûtait à Nantes, pour vivre caché, surtout dans les maisons sûres). Je sentais l’impossibilité de pouvoir soutenir longtemps la dépense que j’étais obligé d’y faire. Mlle M…… se décida à mettre le comble à ses généreux procédés en venant elle-même habiter la ville avec une de ses tantes et sa cousine qui tenaient déjà leur ménage à Nantes. Après avoir passé environ trois mois dans mon obscure retraite, je pus me réunir de nouveau à Mlle M….. et à ses parents. Si on pouvait être heureux quand on a continuellement suspendu un glaive prêt à frapper, et qu’on éprouve sans cesse des inquiétudes pour soi et les personnes qui veillent à votre sûreté, je l’aurais été sans doute. Rien ne manquait au besoin de ma vie, on me prodiguait avec bonté tous les soins imaginables.

    J’ai passé plusieurs mois sans courir des dangers bien menaçants ; mais ma solitude fut bientôt soupçonnée, et mes alarmes devinrent plus vives ; elles furent journalières. Je ne tardai pas à devenir un nouveau sujet d’inquiétudes pour le gouvernement. De nouvelles mesures de rigueur furent prises contre moi : par un arrêté du Directoire du 6 octobre de l’an 6, je condamné individuellement à la déportation comme brigand insoumis et prêtre réfractaire (ce son les propres expressions du Directoire consignées sur les registres du département de la Loire-Inférieure).

    Je fus instruit de suite de ces nouvelles mesures de rigueur prises contre moi : il me fallut prendre de nouvelles précautions pour ma sûreté ; elles furent insuffisantes pour empêcher l’administration de découvrir mon domicile. On vint faire, à trois heures du matin, des visites domiciliaires dans la maison où j’étais. Heureusement que j’eus le temps de me sauver dans une cache que j’avais fait pratiquer ; mais les personnes qui demeuraient avec moi furent horriblement épouvantées.

    Cette première visite, faite par la gendarmerie, et à laquelle j’avais échappé, ne me laissa plus de repos ; j’en avais d’autant moins qu’on punissait très sévèrement les personnes chez qui on trouvait des prêtres cachés. Je craignais pour mes amis, pour mes bienfaiteurs, plus que pour moi-même, car j’étais si persécuté que la vie n’avait plus pour moi de charmes.

    Je passai quelque temps assez tranquille, aux frayeurs près que j’éprouvai nuit et jour. Je gardais sévèrement ma solitude, je ne voyais jamais personne ; mes précautions ne désarmaient point mes ennemis. Une seconde visite eut lieu dans mon domicile ; faite par les agents de la municipalité, elle fut moins sévère que la première. J’avais déjà prévenu qu’on devait rechercher des prêtres, je me sauvai dans ma cache.

    Voyant l’opiniâtreté de mes ennemis, après en avoir conféré avec des personnes éclairées, je pris la résolution de m’éloigner de Nantes, où l’on me cherchait avec rigueur. Je formai le dessein de me rendre à Paris. Mlle de M….. emprunta de l’argent pour m’en faciliter les moyens. Un commis de la municipalité, qui paraissait bien disposé pour moi avait promis de me procurer des passe-ports pour me rendre dans la capitale ; je lui fis donner deux louis ; j’en fus quitte pour perdre mon argent, je n’obtins point de passe-port. Il me fallut rester dans ma retraite, où je courais charque jour de nouveaux dangers.

    J’en éprouvai bientôt un plus grand que tous ceux qui m’avaient menacé jusqu’alors. Le jour de la Pentecôte, à trois heures du matin, je fus éveillé par la société de ma chambre. C’étaient vingt-deux gendarmes qui entouraient ma retraite, et qui demandaient à entrer précipitamment. Je n’eus pas le temps de m’habiller ; il fallut me sauver sans précautions dans ma cache. On trouva des habillements d’homme dans ma chambre, ce qui pensa me perdre. On mit un acharnement à me rechercher qui tenait de la fureur. J’entendais, à chaque instant, qu’on disait qu’on était sûr qu’il y avait un prêtre caché dans cette maison. Les armes que montraient sans cesse les gendarmes avaient jeté l’épouvante dans l’âme des personnes avec qui je demeurais. Enfin, après deux heures de saisissement et de craintes, je fus délivré de la présence de la force armée, et je bénis la Providence qui m’avait si souvent sauvé du danger.

    J’apprenais chaque jour que quelques de mes malheureux camarades, qui prenaient les mêmes précautions que moi, étaient arrêtés et conduits à Rochefort. Je ne dois pas passer sous silence une anecdote, qui eut lieu le même jour où je fus si rigoureusement recherché.

    Le commandant de la gendarmerie, chargé de faire la fouille chez moi, perdit dans la grande rue de Nantes l’ordre qu’il avait de m’arrêter, qui contenait mon signalement. Cet ordre fut apporté aux personnes qui vieillaient à ma conservation par un émigré honnête et sensible, qui passait lui-même pour mort dans la société, et qui allait à Nantes donner des leçons dans différentes maisons. Je lui fis porter, par mes amis, l’assurance de ma reconnaissance éternelle. Ce bienfait ne sortira jamais de ma mémoire. J’appris avec douleur que cet individu était lui-même fort à plaindre, et qu’il n’existait que du fruit de ses leçons. Il faut avouer qu’il y a des hommes qui sont destinés sur la terre à éprouver des revers de bien des genres. Partout à Nantes, les audacieux, les méchants se montraient avec sûreté et une sorte d’orgueil ; presque tous les hônnetes gens vivaient pauvrement et dans la solitude.

    Quand l’évènement qui m’avait causé tant d’alarmes fut passé, je m’occupai sérieusement à chercher un autre domicile. Je ne pouvais tenir plus longtemps dans ma solitude ; presque tout le monde qui habitait la même maison que moi avait plus ou moins connaissance qu’il y avait un prêtre caché parmi eux. Ma santé, d’ailleurs, souffrait de ma longue solitude : j’étais devenu d’une épaisseur énorme ; je ne prenais jamais l’air.

     

     

    Abbé Remaud

     

    (A suivre)

     

     

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